Une nouvelle étape dans la redécouverte de Weinberg

par

Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Intégrale des Sonates pour alto seul. Viacheslav Dinerchtein (alto). 2019-DDD- 2 cd : 40’19 et 53’44 -Textes de présentation en anglais et allemand- Solo Musica SM 310.

Décidément, chaque nouvelle parution discographique le confirme: l’ignorance dans laquelle la musique de Weinberg aura été laissée toute sa vie hors URSS -tout comme l’oubli dans lequel elle sombra peu à peu en Russie même après une période de gloire autour des années 1960- est injustifiable. Bien sûr, l’air du temps n’y était pas pour rien. Car qui, dans l’Occident éclairé, se serait donné la peine d’aller voir de plus près ce que pouvait bien écrire celui qui passait au mieux pour un épigone de Chostakovitch, compositeur vu comme résolument d’arrière-garde à l’époque ?

Il est aussi permis de se demander si -outre sa modestie naturelle et ses dernières années marquées par la dépression et la maladie- Weinberg n’a pas été desservi de son vivant par son côté inclassable: ni adepte du médiocre réalisme socialiste, ni tenant de la rigueur post-schoenbergienne exigée de l’avant-garde occidentale à l’époque, il rappelle bien sûr beaucoup Chostakovitch dont il est une espèce d’âme-soeur et certainement pas un pâle imitateur.

Heureusement, depuis quelques années maintenant, de jeunes et talentueux interprètes se sont engagés en faveur de ce compositeur de premier plan, nous offrant peu à peu de passionnantes découvertes dans le domaine de l’opéra, de la musique symphonique et concertante comme de la musique de chambre.

On saluera donc comme il se doit la formidable découverte qu’est cette nouvelle intégrale des Sonates pour alto, écrites entre 1971et 1983, où Weinberg traite l’instrument avec une maîtrise certainement égale à celle de Reger ou de Hindemith qui nous ont laissé de très belles oeuvres pour alto solo.

Admirablement défendues par l’altiste Viacheslav Dinerchtein (qui, né à Minsk, passa sa jeunesse à Mexico, étudia aux Etats-Unis et réside à présent à Zurich), il s’agit d’oeuvres extrêmement exigeantes pour l’interprète (à qui Weinberg n’épargne aucune difficulté technique) et qui requièrent de l’auditeur une concentration et une disponibilité totales.

L’impression la plus durable que laisse cet enregistrement est avant tout la façon dont ces oeuvres nous parlent et nous touchent. Cette musique, souvent intense et austère, peut aussi faire preuve d’une énergie véritablement beethovénienne. Weinberg peut également se montrer d’un extraordinaire laconisme, comme dans le Finale de la Première Sonate, Op. 107 où il parvient à dire beaucoup de choses en bien peu de notes. 

Le sommet de ces quatre œuvres est certainement la Troisième Sonate, composée en 1982. On n’oubliera pas de sitôt l’implacable intensité du premier mouvement, ni la chaleur et la tendresse inattendues du quatrième qui se conclut cependant sur une mélodie glaciale et désincarnée. Quant au cinquième et dernier mouvement, il s’agit d’un Finale virtuose, une danse grinçante avec des doubles cordes à foison.

Par rapport aux rigoureuses Première et Troisième, les Sonates paires ont quelques chose de plus accessible, de moins intimidant. Le deuxième mouvement de la Quatrième est ainsi à la fois un mouvement perpétuel qui exige beaucoup d’’endurance de l’interprète et un scherzo ironique et mordant que n’aurait pas renié Chostakovitch.

Pour terminer cet enregistrement en beauté, le troisième et dernier mouvement nous en dit beaucoup sur le compositeur. Entièrement joué avec sourdine, il témoigne d’une intériorité infiniment touchante, d’une douleur aussi profonde et digne que totalement exempte d’auto-apitoiement . C’est bien Weinberg -cet homme qui a beaucoup souffert mais sans jamais se plaindre- qu’on entend ici.

Son 10 - Livret 10 (excellente analyse des oeuvres de David Fanning, intéressantes contributions de Viacheslav Dinerchtein) - Répertoire 10 - Interprétation 10

 

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