Au Juillet Musical, le 4+1 de Musiques Nouvelles 

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C’est une simple graine du Royal Juillet Musical de Saint-Hubert que je m’en vais picorer à l’Église Saint-Remacle, le jour de la fête nat’ (le 21 juillet, pas le 14, pour ceux qui confondent Marseillaise et Brabançonne), dans le Marche-en-Famenne ancien, la spore contemporaine au sein d’une programmation classique, base du levain de demain, nourri à un répertoire moderne mais sans à-coup, du genre de ceux qui peuvent apprivoiser des oreilles effarouchées par la réputation tranchante de l’avant-garde née après-guerre.

Jean-Paul Dessy dirige Musiques Nouvelles depuis 1997, un ensemble qui célèbre cette année ses soixante ans (l’occasion de s’insinuer dans un maximum d’événements en Belgique francophone), depuis sa fondation en 1962 par Pierre Bartholomée : une douzaine de musiciens (un noyau à géométrie variable, aujourd’hui le quatuor en compte… quatre, en plus de Lucas Cortoos, jeune baryton habitué de la Monnaie), attentionnés découvreurs et promoteurs de la création musicale – toute relative aujourd’hui puisque la set list allie nouveauté et consensus (« cohésion » a seriné le roi Philippe hier).

« Nous sommes des consommateurs, et aujourd’hui nous consommons de la culture – qui nous fait du bien », explique, avec plus d’enthousiasme que d’adresse, l’échevin en charge – qui se réjouit, avec plus de flamme que d’à-propos, de promouvoir ce jour les compositeurs wallons : Philip Glass, Arvo Pärt et Henryk Górecki sont honorés de leur nationalisation.

Qu’importe, la petite scène de l’église (aux colonnes ornées et aux vitraux colorés) est joliment préparée, l’acoustique, sans réverbération immodérée ni amplification désordonnée, se prête à l’intime de la formation, et s’installent les musiciens, dans l’ordre de la tradition, partitions pour moitié papier, pour moitié numérique, partant sur Quasi una fantasia, le deuxième quatuor à cordes d’Henryk Mikolaj Gorecki, écrit en 1991 pour le Kronos Quartet (comme le précédent), avec dans l’âme, l’héritage authentique de son pays (la Pologne…), sa culture, ses traditions, son église : de lugubre, la progression impose le poignant, l’urgence nécessaire, une gravité sereine.

Elle contraste avec la sérénité pleine (une hyperbole ?) qu’insuffle le quatuor dès les premières notes de Summa, un des premières morceaux composés par Arvo Pärt après sa longue rupture créatrice de la fin des années ’60 : dans la lignée de Für Alina ou de Fratres, cette courte pièce, d’abord (en 1977) pensée pour chœur, puis révisée, pour orchestre, cordes, quatuor de trombones ou de saxophones, marque la seconde étape esthétique du compositeur, après l’abandon du sérialisme et la crise créatrice, coquettement qualifiée de style tintinnabuli – du nom des tintinnabules de la liturgie catholique et en lien avec l’empreinte mystique qui connote alors sa vie. L’œuvre se prête mieux à un effectif réduit (les Italiens de l’Alea Saxophone Quartet en proposent une délicieuse version chez Col Legno) et l’interprétation de Musiques Nouvelles est d’une fascination lumineuse.

Bien plus mélancolique est le Wallfahrtslied, ce Chant du pèlerin (adapté ultérieurement pour orchestre à cordes et chœur) qui signe l’entrée en scène de Cortoos, au visage ombré du souvenir du rasoir électrique, aussi long que son chant est profond et dont on se demande où la vibration de la voix l’emportera : à l’affliction, il ajoute le mystère ; au mouvement indolent de la musique, il oppose la dignité immobile du chant.

Enchaîner sur Mishima, de Philip Glass, écrit en 1985 pour accompagner les images du film de Paul Schrader contant la vie de de l'écrivain japonais Yukio Mishima, relâche illico les épaules des auditeurs, reconnaissants envers une musique qu’ils connaissent peut-être peu, mais à l’abord tentant, chatoyante par contraste, qui propose repères et plaisir – ce qui apaise. Aux six parties de ce troisième quatuor à cordes répond un extrait de In the Penal Colony, opéra de chambre (« opéra de poche » comme le qualifie Glass) créé en 2000 d’après la nouvelle éponyme de Franz Kafka, avant de proposer la nouvelle pièce de Jean-Paul Dessy, For Kate, écrite en mémoire de Kate de Marcken : quatre mouvements basés sur des textes de Shakespeare, qui évoluent autour d’un fantôme entêtant de trois notes, d’abord égrenées au pouce par le violoncelle avant de contaminer et sublimer cet hommage à la pianiste belgo-américaine, assassinée par son mari en 2014.

Entre tragique et promesse de vie, l’un et l’autre insufflés par un programme émouvant, c’est la vitalité qui prend le dessus auprès d’un public qui en redemande – et qui en reçoit, les musiciens revenant pour un rappel apprécié, et fleuri.

Marche-en-Famenne, Église Saint-Remacle, 21 juillet 2022

Bernard Vincken

Lucas Cortoos  et le Quatuor Musiques Nouvelles © Jarek Frankowski

 

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