Bach pour violon et orgue, magnifiquement joué et enregistré

par

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto en ré mineur BWV 596 ; Sonate en Trio en mi mineur BWV 528 ; Ertöt uns durch dein Gute BWV 22, 5 ; Kommst Du nun, Jesu, vom Himmel hinunter BWV 650 ; Praeludium en ré mineur BWV 1001, Fugue en ré mineur BWV 539,2 ; Toccata & Fugue en ré mineur BWV 565 (trans. la mineur) ; Nun komm, der Heiden Heiland BWV 659, Bwv 660 ; Jesu, meine Freunde BWV 227 ; Concerto en ré mineur BWV 974. Annegret Siedel, violon. Ute Gremmel-Geuchen, orgue König/Verschueren de la Paterskirche de Kempen. Juin 2020. Livret en anglais, allemand. TT 78’45. Aeolus AE-11281

Le logo copyright sur la pochette situe malicieusement le concept : dans quelle mesure emprunta Bach et peut-on lui emprunter ? Sous et avec quel crédit ? Après le bel album Intuitions enregistré par Stéphanie Paulet et Élizabeth Geiger à l’église de Charolles, qu’en ces colonnes nous avions commenté en février dernier, voici une nouvelle anthologie adaptée pour les deux instruments sur lesquels excellait Bach. Rappelons que cette pratique de mêler cordes et tuyaux ne présente rien de neuf, puisqu’elle se rencontrait déjà au temps d’Heinrich Scheidemann et Mathias Weckmann, à Hambourg. Alors que les musiciennes françaises transcrivaient en duo toutes les pièces, leurs consœurs allemandes conjoignent, mais aussi alternent, l’orgue et le violon. Une œuvre est commune à ces deux programmes, la Sonate en Trio que l’on pense d’ailleurs dérivée d’une pièce pour oboe d’amore, viole et continuo, et dont le dessus se partage ici entre archet et main droite au clavier.

Certains arrangements sont du Cantor lui-même, ou proviennent d’autres compositeurs. Voire sèment un doute persistant, à l’instar de la célébrissime Toccata & Fugue en ré mineur, qu’on attribue à Bach sans certitude. Certains traits de son écriture laissent supposer un original pour violon, instrument qui a été choisi sur ce disque, moyennant reconstitution et transposition en la mineur. On découvre à cette occasion un splendide spécimen (1670) du luthier Jacob Stainer, au service d’une approche privilégiant la solennité plutôt que les démiurgies et le zèle pentecôtiste qu’on entend d’ordinaire. L’autre diptyque inclus dans le disque relève d’une autre sorte de reconstitution : un assemblage. Partant du constat que le Prélude du BWV 539 se marie mal avec la Fugue dont on le fait suivre habituellement et que Bach débaucha de sa Sonate pour violon seul BWV 1001, Ute Gremmel-Geuchen l’a remplacé par l’Adagio qui introduit cette même Sonate, transcrit par Gustav Leonhardt.

Les transcriptions que Bach intégra à son Klavierwerke concernent surtout des pages italiennes, et plus précisément vénitiennes. Ainsi les deux Concertos en ré mineur (le BWV 596 d’après le RV 565 de Vivaldi, et le BWV 974 d’après un concerto pour hautbois d’Alessandro Marcello), pour lesquels nos interprètes ont limité l’intervention du violon aux seuls mouvements lents ; dans ces onctueux moments lyriques, on admire respectivement le Stainer et un Leopold Widhalm (Nuremberg c1770).

Le reste du menu convie quelques pages liturgiques, la plupart confiées au duo. Tirés des « chorals de Leipzig », deux préludes pour le temps de Noël, sur le même texte Viens Sauveur des Païens, où le violon se voit ici attribuer le déchant. Bach déclina pour l’orgue quelques extraits de cantate : ainsi Kommst Du nun, Jesu, vom Himmel hinunter, le dernier des « Chorals Schübler », trouve-t-il son origine dans l’air de contralto Lobe den Herren tiré de la BWV 137. D’autres transcripteurs se sont essayés au même exercice, ainsi Klaus Jürgen Thies pour Ertöt uns durch dein Gute issu de la BWV 22. On se souviendra qu’Ute Gremmel-Geuchen avait participé à cinq volumes de l’intégrale Bach enregistrée par Aeolus à des tribunes alsaciennes voilà une dizaine d’années. Cette brillante organiste s’est attelée au motet Jesu, meine Freunde BWV 227 dont l’historien suisse Alfred Berthollet tira une Suite qu’elle nous présente comme une Partita. De quoi valoriser le Verschueren (28 jeux) reconstruit en l’an 2000 par cette société hollandaise, conformément à l’état originel de 1752 (incluant le Chorton à 452 Hz) érigé par Christian Ludwig König. On aurait souhaité que le livret précise les registrations employées. En tout cas la sonorité prodigue autant de plénitude, d’autorité (les Principaux !) que de caractérisation, notamment ces anches dans les reprises au Presto du BWV 974. 

Comme d’habitude, Christoph Martin Frommen assure une prise de son plus vraie que nature. Quel espace, quelle consistance des volumes, quelle véracité des timbres ! La lecture SACD restitue les deux instruments avec un réalisme saisissant. Ils se marient parfaitement dans l’acoustique de l’église Paterskirche, dans laquelle on a l’impression d’être assis face aux artistes. Lesquelles nous offrent, dans ce parcours à gages multiples, une distribution équilibrée des participations, et une réalisation d’un goût judicieux. Bravo !

Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire & Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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