Barbara Hannigan galvanise le Philhar’ et le public dans Stravinsky, Offenbach et Weill

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C’était un programme particulièrement festif pour ce concert où Barbara Hannigan, dans le cadre de sa résidence à Radio France, dirigeait l’Orchestre Philharmonique. 

Tout d'abord, Pulcinella, pour lequel Igor Stravinsky a repris, pour l’essentiel, des pièces de Jean-Baptiste Pergolèse. La suite d’orchestre, qui permet à tous les instrumentistes de briller, est souvent jouée. Le ballet intégral est moins connu et c’est bien dommage, car c’est ainsi que nous saisissons réellement le contenu émotionnel de ce chef-d'œuvre néo-classique.

Dès l’Ouverture, nous sentons que la générosité sera au rendez-vous. Le hautboïste et les chefs de pupitres des cordes recherchent l’expression, loin de tout maniérisme. Le ténor Ziad Nehme entre pour la Serenata ; la voix est claire et directe, et il pose un décor pastoral et sentimental qui ne laisse pas encore présager les tourments qui vont venir. Suivent quelques pièces d’orchestre contrastées, puis l’Allegretto dans lequel la mezzo-soprano Julia Dawson se charge de nous faire comprendre, avec ses graves terrifiants, que la commedia dell’arte a ses côtés glaçants. Et en effet l’Allegro assai qui s’enchaîne, outre de nous faire admirer la virtuosité des cordes et de la flûtiste, nous emmène bien dans le tumulte, confirmé par l’arrivée peu après du baryton-basse, Douglas Williams, aux vrais airs de Don Giovanni. À son départ l’orchestre exprime une bien émouvante tristesse.

Avec les ensembles vocaux qui suivent, nous sommes bien dans l’intensité dramatique. Le parti pris de Barbara Hannigan est maintenant bien affirmé : certes empreint de second degré, mais en évitant toute surenchère humoristique ou grinçante. Les sonorités restent rondes, pleines, sans rechercher une acidité pourtant tentante avec cette orchestration. Dans l’air « Se tu m’ami », Julia Dawson ne minaude pas ; elle assume sa volatilité amoureuse avec une certaine gravité. Suit une longue séquence instrumentale, dans laquelle la cheffe cesse par moments de diriger, laissant aux musiciens la liberté de la musique de chambre. Le hautbois retrouve un rôle de premier plan et nous enchante par sa sensibilité, souvent en duo avec la flûte. Les bassonistes sont parfaits dans le rôle si particulier couramment attribué à leur instrument dans la musique ancienne. Et puis, il y a le fameux Vivo, avec un tromboniste subtilement sarcastique et un contrebassiste qui maîtrise artistiquement son sujet. 

Après un trio vocal où l’on est confronté aux désabusements de l’amour, ce ballet de quarante minutes se termine par un Allegro assai où les musiciens font preuve d’une légèreté et d’une vivacité entraînantes, concluant un Pulcinella de haute tenue, absolument convainquant !

La Gaieté parisienne est un ballet concocté par Manuel Rosenthal sur des musiques de Jacques Offenbach. Pour ce concert, Barbara Hannigan n’en a malheureusement choisi que des extraits (12 numéros sur 23, qui représentent en durée environ la moitié de l’œuvre complète), ce qui nous prive, entre autres, de plusieurs danses savoureuses. Par ailleurs, elle n’enchaîne pas toujours les morceaux ; nous perdons ainsi la cohérence du ballet intégral, contrairement à ce qui nous avait séduits dans Pulcinella.

Pour autant, pas question de bouder le plaisir, aussi bien du public que des musiciens. Car ils nous réjouissent à nouveau dans ces pièces qui sont, jouées ainsi, tout simplement irrésistibles. Barbara Hannigan adopte des tempos plutôt mesurés, et elle prend tout son temps dès que la musique devient nostalgique. Nous ne pouvons que succomber à tant de charme et de délicatesse. D’autant que l’approche n’est en rien superficielle. La cheffe croit à cette musique, et si les musiciens s’amusent souvent, leur rire n’est jamais gras. L’orchestre est fort bien équilibré. En plus des instrumentistes qui ont été cités précédemment, il faut louer les flûtes piccolos, tant leur talent est grand dans le rôle important que cette orchestration brillante leur confie.

Dans le ballet intégral, le N° 11, Vivo, qui dure quelques secondes, s’enchaîne avec la Valse des Contes d’Hoffmann (N° 12) par une tenue de clarinette. L’effet est saisissant. Barbara Hannigan a choisi tout autre chose. Le Vivo n’est plus qu’un clin d’œil qui ne débouche sur rien. Ce qui suit est ce que Manuel Rosenthal avait prévu pour terminer son ballet, quand tous les protagonistes quittent tristement la scène. Il s’agit de la fameuse Barcarolle, également tirée des Contes d’Hoffmann. Dans le ballet, où il n’y a pas de chanteurs, elle est prévue dans une version purement instrumentale. Mais à notre concert, nous avons vu ici Julia Dawson revenir sur scène, puis la cheffe se tourner vers le public ; en effet, la version originale est un duo pour soprano et mezzo-soprano (et en principe, il y a aussi des chœurs). Succès garanti, et l’occasion de vérifier que Barbara Hannigan n’est ni une cheffe qui chante, ni une chanteuse qui dirige, mais qu’elle excelle dans les deux !

Puis, après une courte transition (seule pièce de Manuel Rosenthal du ballet, mais tellement dans la veine du reste qu’il faut le savoir...), ce sont les célèbres cancans qui ont fait la gloire de Jacques Offenbach. Ils terminent dans l’allégresse une Gaieté parisienne qui porte délicieusement bien son nom, pendant laquelle nous aurons entendu ces airs archi-connus avec un relief inhabituel. La frustration de ne pas avoir tout entendu demeure. Une autre fois, et pourquoi pas avec les danseurs ?

Le concert, décidément fort séduisant, se terminait avec Kurt Weill et sa chanson Youkali (suivie de Lost in the Stars en bis). Cette musique semble avoir été écrite pour être chantée par Barbara Hannigan ! Sa voix chaleureuse, sensuelle, capable des nuances les plus expressives, y fait merveille. 

Pierre Carrive 

Paris, Philharmonie de Paris, le 28 mai 2021 

Crédits photographiques : GP

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