Bartók et Strauss par l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam
Ce jeudi 2 novembre a lieu le concert de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam à Bozar. L’orchestre est placé sous la direction du jeune chef Tarmo Peltokoski. Ce dernier est depuis peu, le premier chef invité de la phalange néerlandaise. La pianiste acclamée Yuja Wang nous fait le plaisir de venir se produire aux côtés de ces artistes. Au programme de ce concert, les Six Danses populaires roumaines, Sz. 56, BB 68 ainsi que le Concerto pour piano et orchestre n° 2, Sz. 95, BB 101 de Béla Bartók pour terminer avec le poème symphonique Also sprach Zarathustra, op. 30 de Richard Strauss.
La soirée débute donc avec les Danses populaires roumaines de Béla Bartók. Cette pièce est à l’origine une suite pour piano composée en 1915. Ce n’est que deux années plus tard, en 1917, que le compositeur hongrois fait une transcription pour orchestre, version que nous entendons ce soir.
Cette œuvre est constituée de six danses basées sur des mélodies issues de Transylvanie. La musique de Bartók est intimement liée à la musique folklorique de Hongrie et de Roumanie. L’orchestre donne un caractère différent à chacune des danses. Notons la très belle exécution du solo de piccolo dans la troisième danse avec des tierces et secondes augmentées qui confèrent un style oriental à cette partie de l’œuvre. Cette courte pièce enjouée est une belle mise en bouche avant le Concerto pour piano et orchestre n° 2, lui aussi de Bartók. La véritable star de cette soirée est sans conteste Yuja Wang qui se lance dans l’un des concertos pour piano les plus difficiles du répertoire. Dans le premier mouvement, le jeu est virtuose et percussif. Elle est accompagnée avec précision par l’harmonie, les cordes étant mises au repos par Bartók. Le second mouvement est divisé en trois parties : Adagio-Presto-Adagio. Les deux adagios mettent en exergue les cordes (l’harmonie est à son tour au repos) jouant dans une nuance à peine perceptible. Cela permet à Wang d’exprimer ses intentions musicales avec élégance mais aussi avec un côté mystérieux. Il s’en suit un dialogue avec les timbales, brillamment exécuté par la pianiste et le timbalier Danny van de Wal, dont toutes les interventions sont calibrées. Le presto de la partie centrale est vif. L’orchestre peut enfin se déployer totalement dans le dernier mouvement, usant d’une échelle des nuances assez large. Yuja Wang continue d’impressionner par sa vivacité et son agilité dans ce final triomphal. L’orchestre, sous la baguette attentive de Peltokoski, accompagne plus que consciencieusement la soliste. La sallen comble pour l’occasion, acclame pendant près de quinze minutes les artistes du soir. Pendant ce laps de temps, Wang et Peltokoski font le show avec deux bis : l’Etude en la mineur Op. 76 N°3 de Sibelius et un extrait de Petrouchka de Stravinsky.
Après l’entracte, place au poème symphonique Also sprach Zarathustra, op. 30 de Richard Strauss. L'introduction de cette œuvre, rendue célèbre par le film 2001, l'Odyssée de l’espace, est plus que probablement l’une des plus connues du répertoire symphonique. En revanche, les huit parties qui suivent sont bien moins connues du grand public. Ce poème symphonique datant de 1896 est, comme le sous-titre Strauss, « librement inspiré de Friedrich Nietzsche ». En effet, Strauss comprend rapidement qu’il lui sera impossible de transcrire musicalement l’ensemble de la philosophie de ce chef-d’œuvre littéraire complexe.
L’ouverture imitant le lever du soleil est magistrale. Durant les huit parties suivantes, l’orchestre déploie différentes facettes afin d’affirmer les caractères distincts constituant cette œuvre habillement conçue mais ô combien virtuose. L’ambiance est tantôt sombre, tantôt plus pittoresque comme dans Das Tanzlied (Le Chant de la danse ) par exemple.
Pour le côté virtuose, il suffit de regarder de plus près au niveau des cordes. Bien que les divisi ne soient pas rares, il est quand même assez exceptionnel d’avoir autant de divisi au sein d’un même pupitre. Chaque pupitre se doit donc d’exceller pour obtenir une balance parfaitement équilibrée afin de ne pas perdre un motif de cette œuvre. Ce pari est réussi pour l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam. L’ensemble de la section des cordes se distingue par sa justesse et sa précision à l’instar de l’harmonie. Les différents solos sont interprétés avec brio et implication. De plus, l’échelle des nuances est équilibrée. Tarmo Peltokoski nous propose une lecture claire et lisible de l’œuvre. Le jeune chef mène la phalange néerlandaise avec brio pour nous offrir une deuxième partie saisissante. Le public, à nouveau ravi, livre une standing ovation méritée.
Bruxelles, Bozar, le 2 novembre 2023
Thimothée Grandjean, Reporter de l’Imep
Crédits photographiques : © Peter Rigaud