Beethoven et l’année du Testament d’Heiligenstdat

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Beethoven 1802, A l’espérance. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Variations « Eroica » en mi bémol majeur op. 35 ; Sept Bagatelles op. 33 ; Sonate en ré mineur n° 17 op. 31 n° 2 « La Tempête » ; Six Variations en fa majeur op. 34. Jonas Vitaud, piano. 2020. Notice en français et en anglais. 81.00. Mirare MIR562.

Jonas Vitaud (°1980), qui a joué du piano dès ses six ans et de l’orgue à onze ans, a été formé par Brigitte Engerer, Jean Koerner et Christian Ivaldi. Il a travaillé avec Henri Dutilleux, Thierry Escaich, Gÿorgi Kurtag ou Philippe Hersant. Depuis 2013, il enseigne au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et a enregistré, déjà pour Mirare, un programme voué aux « Jeunes années de Debussy », ainsi qu’un CD intitulé « Miroirs », où l’on retrouve Liszt et Dutilleux. Cette fois, il s’intéresse à l’année 1802 au cours de laquelle Beethoven, face à la progression de sa surdité, va rédiger, au début du mois d’octobre, le fameux « Testament d’Heiligenstadt ». Pour ce projet, Vitaud a écrit un texte (neuf pages, notes comprises) qui situe les œuvres retenues dans leur contexte et pose des questions sur les liens entre « extrême souffrance et intense activité créatrice », et sur le paradoxe qui apparaît dans la composition d’une musique « aussi puissamment joyeuse, dans un état de désespoir ». Cette longue présentation personnalisée en dit bien plus sur l’interprète qu’un descriptif biographique ne pourrait le faire. En la lisant, on découvre avec intérêt la réflexion engagée par le pianiste autour du thème de l’espérance et de la recherche du bonheur. Nous le suivrons donc en sa qualité de guide éclairé. 

Le programme regroupe plusieurs opus pianistiques qui datent de cette année 1802, à commencer par les Variations Eroica op. 35 dont le thème, repris du ballet Les Créatures de Prométhée de 1801, va se retrouver dans le final de la Symphonie n° 3 « Héroïque ». Jonas Vitaud retrace le processus créatif de Beethoven et insiste sur le fait que ces Variations ouvrent la période musicale qui va s’étendre jusqu’en 1810, et sera l’affirmation de l’homme sur son destin. Il évoque en même temps des aspects philosophiques et artistiques du temps, et la personnalité de Napoléon Bonaparte ; on sait ce que fera Beethoven de sa dédicace de l’Héroïque. Le pianiste aborde ces Variations Eroica avec une tonicité et une énergie d’une grande vitalité, conférant à chacune des quinze variations sa part de contrastes et d’expressivité. On ressent l’importance qu’il accorde à ce défi symbolique lancé à Zeus par Prométhée et, au-delà de cet acte de non-soumission, au sérieux de la création beethovenienne. Le récital de Vitaud s’achèvera par une autre série de Variations composées pendant le même été à Heiligenstadt, celles de l’opus 34 que le pianiste rattache à toute cette série d’œuvres célébrant la nature, en précisant que le ton de fa majeur est utilisé aussi pour la Sonate Le Printemps op. 24 ou la Symphonie « Pastorale » op. 68. Vitaud met en application les caractéristiques mises en lumière dans son texte : un lyrisme apaisé, une douceur que l’on peut qualifier de veloutée et un toucher délicat.

Ces belles versions de deux séries de variations, en introduction du CD puis en sereine apothéose, sont complétées par les Sept Bagatelles de l’opus 33, encore placées sous l’influence de Haydn et de Mozart, certaines écrites sans doute avant 1802. Pleines de fraîcheur, de charme, d’aspects dansants, elles sont proposées par Vitaud comme il les décrit : destinées à être jouées dans les salons, notamment par des jeunes femmes. Le pianiste souligne le lyrisme de quatre des Bagatelles qui annoncent Mendelssohn et ses Romances sans paroles. C’est plastiquement très réussi, d’autant plus que Vitaud allie l’élégance à la finesse, n’accordant à ces pages que l’esprit de légèreté suggéré par leur intitulé. Il reste un morceau de choix : la sonate La Tempête, dont Vitaud avance qu’elle est la seule oeuvre qui reflète réellement l’angoisse, la désorientation morale, le désespoir, état d’esprit global de Beethoven au moment du Testament. On connait sa réponse alors qu’on lui demandait quelle signification pouvait avoir cette sonate : « Lisez La Tempête de Shakespeare. » Le pianiste a ici le mérite de ne pas pousser le drame à l’excès ni d’accentuer le côté tragique que l’on pourrait avoir tendance à lui conférer. Il vise au contraire un équilibre entre les contrastes et la dynamique dans les deux mouvements extrêmes, mettant en avant l’image du feu qui anime le Largo - Allegro et celle de l’eau que symbolise l’Allegretto dans son rythme répété. Au milieu, l’Adagio s’inscrit comme un acte à la fois plein de réconfort et de profondeur contemplative, dont Vitaud tient la tension avec un sens certain du mystère, accordant à ce cantabile la part d’espoir qu’il contient. 

La démarche interprétative de Jonas Vitaud est à saluer, car elle est le fruit d’une réflexion sur la création artistique face à la prise de conscience de l’inéluctabilité. Il souligne ainsi les aspects visionnaires du compositeur qui vont se développer de plus en plus. Cet enregistrement a été effectué du 31 août au 3 septembre 2020 à l’Abbaye-école de Sorèze, dans le département du Tarn. Jonas Vitaud conclut ainsi son projet : En cette période d’effondrement culturel et de crise sanitaire, où l’Autre est parfois perçu comme une menace, un potentiel contaminateur, la musique de Beethoven peut nous permettre de nous sentir reliés, en harmonie, humains sans distinction. Elle nous aide à résister.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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