Beethoven olympique avec Gustav Mahler
Ludwig van Beethoven (1170-1827) / Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°5 en ut mineur, Op.67 ; Symphonie n°3 en mi bémol majeur, Op;58 “Eroica” ; Symphonie n°7 en la majeur, Op.92 ; Symphonie n°9 en ré mineur Op.125 ‘Ode an die Freude” ; Ouvertures de Coriolan, Op.92, Leonore n°2, Op.72 ; Leonore n°3, Op72b ; Quatuor à cordes en Fa mineur, Op.72. Margarita Vilsone, soprano ; Evelyne Krahe, mezzo-soprano ; Michael Müller-Kasztelan, ténor ; Derrick Ballard, baryton. Czech Philharmonic Choir de Brno ; Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz, direction : Michael Francis. 2021-2023. Livret. en allemand et anglais. 3 CD Capriccio C5484
Gustav Mahler avait une profonde admiration pour Beethoven, ainsi il déclara : « parmi les poètes et les compositeurs de l'époque la plus récente, nous ne pouvons peut-être en citer que trois : Shakespeare, Beethoven et Wagner ». Mais Mahler, homme de son temps, d’une époque industrielle, conquérante et innovante qui édifiait de nouvelles salles de concerts à son image, considérait qu’il fallait adapter les partitions de Beethoven à leur temps. Pour Mahler, il était indispensable de moderniser Beethoven car l’environnement musical était complètement différent avec des instruments à la facture moderne et des salles de concerts bien plus vastes que celles du début du XIXe siècle et des orchestres en mode riquiqui des temps classiques ne pouvaient s'y adapter. Dès lors, le grand compositeur proposa ses différentes versions de grandes partitions, réunies ici en un coffret sous la direction de Michael Francis. Notons que si enregistrer ce remix mahlérien du Grand sourd n’est pas nouveau et qu'il existe d’autres enregistrements, c’est la première fois qu’un coffret intégral est publié. Dans un contexte discographique souvent trop atone à force de se répéter, cette initiative est bienvenue.
Bien évidemment, connaissant le gigantisme mahlérien et son goût pour des instrumentations démesurées, l’orchestre de Beethoven a été bien augmenté avec forces de vents et des cuivres, souvent doublés et un effectif de cordes en tutti. Il en découle que le matériaux est aussi retouché avec des changements dans les parties comme des modifications de tessitures, des altérations, d’accords. L’effet recherché est évidemment le côté massif et les dynamiques creusées et explosives comme dans le final de la Symphonie n°7. C’est puissant, caréné vrombissant, telle une locomotive à vapeur lancée à pleine vitesse. Les Symphonies n°3, n°5, n°7 et n°9 sont toutes en force de muscles bandés alors que les ouvertures sonnent moins massivement.
Michael Francis dirige avec ce qu’il faut de puissance et d’impact mais sans en rajouter à cette mécanique sportive à grosse cylindrée. Sa direction travaille les dynamiques et l’impact nerveux et les Symphonies n°3 et n°7 sont très bien rendues. Dans la Symphonies n°9, il construit pas à pas ce gigantesque édifice tellurique, qui n'avait pas convaincu les auditeurs quand Mahler avait dirigé cet “l’Ode à la joie” XXL à Vienne en 1900 au pupitre des Wiener Philharmoniker.
Comme toutes les phalanges germaniques, la Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz est un orchestre solide et homogène qui livre une très belle prestation. Si le collectif est impeccable, les individualités sont un peu en retrait, ce qui s’entend dans un répertoire qui dans l’absolu a été marqué par les plus grands orchestres.
Alors bien évidemment, on pourra détester ces réorchestrations à une époque qui survalorise le texte avec parfois des excès de règles mathématiques dans la volonté de restituer les effectifs instrumentaux des premières de Beethoven. Si dans l’absolu, peu de gens se relèveront la nuit pour écouter Beethoven arrangé par Mahler, le résultat artistique reste de très bon niveau et le concept éditorial sort des sentiers rebattus. Du symphonique bodybuildé en ces temps olympiques…
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 7/8 – Interprétation :8/9
Pierre-Jean Tribot