Beethoven par Antal Doráti, l’intégrale oubliée
Ludwig van Beethoven (1770-1827) : intégrale des Symphonies. Carole Farley, soprano ; Alfreda Hodgson, alto ; Stuart Burrows, ténor ; Norman Bailey, basse. Brighton Festival Chorus. Royal Philharmonic Orchestra, Antal Doráti. 1976 et 1977. Livret en allemand et anglais. DGG 00289 486 3762.
DGG remet en boîte l’intégrale des symphonies de Beethoven sous la direction du légendaire Antal Doráti. Gravée en 1976 et 1977, au début du mandat du chef auprès du Royal Philharmonic Orchestra de Londres (1976-1979), cette somme n’avait jamais encore été rééditée à l’échelle mondiale et en dehors du Japon, ces bandes restaient méconnues. Il faut dire que le tournant technique des années 1980 avec l’arrivée du CD et du DDD rendirent relativement obsolète cette intégrale au niveau technique. De plus, la fin des années 1970 et les années 1980 furent, chez DGG, riches de nouvelles intégrales : la dernière mouture de Karajan à Berlin, Bernstein avec le Philharmonique de Vienne et Claudio Abbado avec ce même Philharmonique de Vienne. Dès lors, cette intégrale tomba dans l'oubli...
Même si son nom reste attaché à ses gravures d’oeuvres du XXe siècle, Antal Doráti pratiqua en studio Beethoven tout au long de sa carrière. Lors de son mandat auprès de l’Orchestre de Minneapolis, il enregistra la Symphonie n°3 pour Mercury. Au pupitre du London Symphony Orchestra, il grava des versions magistrales des Symphonies n°5 à n°7. Le récent coffret du label du Concertgebouworkest d’Amsterdam nous propose également une captation de concert de la Symphonie n°9 réalisée à Amsterdam en 1985.
Cette intégrale londonienne peut être ainsi vue comme un aboutissement de ce parcours d’un chef qui s’inscrit dans une tradition qui allie la puissance orchestrale au sens du rythme et de la lisibilité. Le Beethoven d’Antal Doráti est massif et compact, témoignant d’une sorte de grandeur olympienne intimidante. La cursivité de la baguette sculpte une masse instrumentale imposante. Dès lors les Symphonies n°1 et n°2 peine à s’élever, victimes d’une direction très contrôlée même si les articulations du discours sont bien cernées et que l’équilibre des pupitres est des plus satisfaisants. Cette massivité caractérise aussi la Symphonie n°9, cernée avec une majesté statuaire faite de force et d’impact. Certes la conduite est toujours aussi logique que menée avec probité mais on peut rester réservé sur cette force brute qui ne ménage pas les nerfs. Si ces caractéristiques sont des atouts pour les Symphonies n°5 et n°7, il faut constater qu’elles manquent de dramatisme au profit de cet impact instrumental plus granitique que mobile. Les gravures de Doráti avec le LSO sont ainsi plus nerveuses et tendues.
Cependant, ce traitement convient assez bien aux Symphonies n°4 et n°8 qui y gagnent en maturité avec une baguette très attentive aux lignes mélodiques et à la beauté de l’orchestration. Enfin, on place aux sommets les Symphonies n°3 et n°6 très réussies car altières mais d’une narration fine et probe dans son respect du texte : une pointe certes sèche mais qui refuse les effets de manche.
Le Royal Philharmonic Orchestra est un bloc solide et homogène avec des individualités qui s'intègrent dans cette conception globale du son et où le fini instrumental ne s’envisage que dans le collectif. On sent la rigueur de conception métrique d’un chef qui serre la visse pour imposer une puissance d’ensemble. Cela ne devait pas franchement rigoler entre les sessions tant on respire une rigueur hongroise. Au niveau de la prise de son, cette dernière est assez massive et abrasive et elle renforce le côté compact de cette conception. On a évidemment entendu plus flatteur pour les oreilles.
Dès lors, cette intégrale est intéressante et elle rend hommage à l’immense chef que fut Antal Doráti. Mais elle s’impose plus comme un chemin de traverse documentaire que comme une somme définitive. C’est un regard personnel et une conception à l’ancienne qui pourront malgré tout passionner les amateurs d’art de la direction.
Son : 7 – Livret : 7 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8
Pierre-Jean Tribot