Antal Dorati et le Philharmonia Hungarica

Antal Dorati - Philharmonia Hungarica - The Mercury Masters. Philharmonia Hungarica, direction : Antal Doráti. 1957-1975. Livret en anglais. 8 CD Decca Eloquence. 484 5517
Decca Eloquence poursuit son exploitation du legs du chef d'orchestre Antal Doráti pour le label Mercury avec un coffret qui regroupe les enregistrements du maestro avec le Philharmonia Hungarica. Moins connu que ses enregistrements avec l’Orchestre symphonique de Minneapolis ou avec l'Orchestre symphonique de Londres, cette somme mérite une attention particulière.
Avec le Philharmonia Hungarica, la musique et l'histoire se rencontrent. En 1956, suite à la répression de l'insurrection de Budapest par les troupes soviétiques, de brillants musiciens hongrois s'exilent en Autriche. A Baden-bei-Wien (près de Vienne), sous la direction du chef Zoltán Rozsnyai, ancien directeur musical de l’orchestre philharmonique national hongrois, ils fondent le Le Philharmonia Hungarica. Zoltán Rozsnyai en devient le chef principal et Vladimir Nabokov, le frère de l’écrivain Nicholas Nabokov, est chargé des aspects administratifs et il parvient à stabiliser l’orchestre. Antal Doráti est rapidement invité à diriger le Philharmonia Hungarica avec lequel l’entente est rapidement parfaite et dont il accepte le poste de Président. Il n’a pas grand mal à convaincre le label américain Mercury, dont il est l’une des têtes d’affiche, de le suivre dans des enregistrements. Le premier album, consacré à des œuvres de Béla Bartók et Léo Weiner, est enregistré, en 1957, à Vienne et il rencontre d’emblée un grand succès critique. En 1958, le Philharmonia Hungarica s’installe dans la petite ville de Marl dans le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie en Allemagne où il bénéficie d’un soutien financier du gouvernement de la République fédéral allemande qui voit dans cette aide un vecteur pour alimenter le narratif anti-soviétique. Le nom de cette phalange reste particulièrement associé à celui d’Antal Doráti que ce soit avec des enregistrements Mercury ou l’intégrale des Symphonies de Haydn, pour Decca, dans les années 1970.
Cependant, avec la fin de la Guerre froide, le gouvernement fédéral allemand n’a plus la volonté de continuer à financer la phalange et la petite ville de Marl est incapable d’y suppléer d’autant que le public vient à manquer. En 2001, le Philharmonia Hungarica donne son dernier concert dans l’indifférence générale.
Mais revenons à ce legs d’Antal Doráti. Sauf l’album proposant la Musique pour cordes, percussions et célesta et la Suite de danse de Béla Bartók, enregistré en 1975, tous les autres albums ont été gravés, entre 1957 et 1959, à Vienne, majoritairement dans la grande salle du Konzerthaus. Antal Doráti y récite son répertoire de prédilection : Bartók, Kodály, Haydn, mais aussi Respighi ainsi que des valses d’Europe centrale ou la Sérénade pour Cordes de Tchaïkovski et les Variations sur un thème de Tchaikovsky d’Arensky dont il s’agit de ses seuls enregistrements.
Saluons d’abord le niveau de l’orchestre car même si fort jeune au moment de ces enregistrements, le Philharmonia Hungarica fait preuve d’une grande virtuosité d’ensemble, d'une homogénéité exemplaire et de solistes de hauts vols. La direction d’Antal Doráti, moins cursive qu’avec des albums avec les orchestres de Minneapolis ou de Londres, se fait toujours narrative mais semble plus attentive au dialogue et à la fluidité entre les pupitres. La maîtrise stylistique est comme toujours avec Antal Doráti magistrale. Prenons l’album consacré aux exigeants Airs et danses antiques de Respighi, qui donne ici dans la leçon de musique : c'est frais, léger, bondissant avec une vivacité communicative. Antal Doráti magnifie cette musique, certes un peu secondaire, mais qui trop souvent sonne de manière académique et pompeuse sous des directions peu inspirées.
Autre grande réussite cet album nommé “Wiener Walzer Paprika” avec des partitions de Franz Lehár, Josef Strauss, Emmerich Kálmán, Ernő Dohnányi, Émile Waldteufel et Joseph Lanner. Il faut apprécier cette direction virevoltante et légère, une sorte de tradition en mode urtext, anti matière grasse du concert du nouvel an à Vienne.
Dès lors, on thésaurise ce coffret, certes un peu de niche par rapport aux autres témoignages d’Antal Doráti mais qui place la barre artistique très haut. Le soin Decca Eloquence est, comme toujours admirable, que ce soit dans la conception graphique du coffret, dans la reproduction des couvertures d’origine ou encore dans la notice toujours exhaustive. Que ce soit en mono, ou en stéréo, la qualité Mercury est une garantie audiophile.
Son : 10 Notice : 10 Répertoire : 9/10 Interprétation : 10