Cantatilles, vielle et musette : le Baroque français se met au vert avec l’ensemble Danguy
Le Berger innocent. Louis Lemaire (c1693-1750) : cantatilles La Musette, Les Plaisirs champêtres. M. Ravet (fl1750) : Sonate La Champêtre. Jean-Baptiste Dupuits ( ?-1759) : sixième Sonate à deux vielles. Airs de la Quatrième Suite d’Amusements en Do. Servais Bertin( c1687-1759) : air pour la vielle et la musette Tu ne m’écoutes point Lisette. Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) : Cinquième Gentillesse. Jean-François Boüin (c1716-c1781) : Les Folies d’Espagne. Anonyme : Le Berger innocent. Ensemble Danguy. Tobie Miller, vielle, direction. Monika Mauch, soprano. François Lazarevitch, musette. Alice Humbert, vielle. Ellie Nimeroski, violon. Caroline Richier, basse de viole, violoncelle. Nora Hansen, basson. Sam Chapman, théorbe, guitare. Nadja Lesaulnier, clavecin. Octobre 2022. Livret en français et anglais ; paroles en français, traduites en anglais. TT 73’58. Ricercar RIC 448
Après les albums La Belle vielleuse (2017) et Les Saisons amusantes (2019) déjà publiés par Ricercar, l’ensemble Danguy revient planter le décor arcadien qui sied à son effectif et à sa vocation : le baroque français dans son inspiration bucolique, entre Cour et campagne. À l’instar du Hameau de la Reine où Marie-Antoinette et sa compagnie s’émoustillaient d’une vie rurale controuvée, face aux salons poudrés et boudoirs du Trianon. Au programme, un répertoire vocal imprégné d’évocations champêtres : deux cantatilles par Louis Lemaire (maître du genre, qui en légua soixante-six), l’air Tu ne m’écoutes point Lisette, et Le Berger innocent tiré d’une compilation anonyme qui donne son titre à ce disque. Tout cela chanté par Monika Mauch, prononciation idoine et châtiée, distillant l’art ingénu qui convient à ces pièces, frémissantes comme vernales amours.
Mais aussi des pages instrumentales où la vielle à roue et la musette sont à l’honneur. En des mains expertes, les manivelles soutirent toute la gouaille de ces tableaux. On admire une impeccable virtuosité (quelle maîtrise du registre aigu dans le Modérément de la Sonate de Ravet !) et un raffinement qui sait être déchirant : le Rondeau de la Sonate à deux vielles de Dupuits arracherait des larmes. Selon la nomenclature des œuvres, l’équipe multiplie les configurations : depuis le duo (dans l’extrait de la Suite d’Amusements, on ne manquera pas le tandem avec François Lazarevitch, spécialiste de la musette) jusqu’au petit ensemble. Le récital culmine sur un Divertissement qui intègre dix-huit variations sur le célèbre thème de La Folia, où Sam Chapman troque son théorbe pour la guitare, garante de couleur hispanisante.
Humour, tendre candeur, un brin d’exotisme : la vie pastorale, ses pâtres et ses idylles, telle que rêvée par l’aristocratie entre la Régence et le règne de Louis XVI. Subtilité, plaisir et émotion sont au rendez-vous de cet album aussi touchant que réjouissant. On ne saurait imaginer troupe plus aguerrie pour réveiller les textures et les parfums de cet Eden fantasmé par la monarchie versaillaise. Une captation particulièrement dynamique et savoureuse (église Saint-Léger de Leymen) contribue à charmer l’oreille. Un disque tour à tour frais comme le printemps et doré comme les blés : on succombe à ce goût du vrai qui a vaincu l’artifice.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 10