Cappella Mariana explore d’anciennes polyphonies d’Europe centrale et deux rares messes de Richafort
Jean Richafort (c1480-c1550) : Missa O Genitrix gloriosa. Motet Veni Sponsa Christi. Missa Veni Sponsa Christi. Loyset Compère (c1445-c1518) : O Genitrix gloriosa – Ave Virgo gloriosa. Cappella Mariana. Vojtěch Semerád, ténor, direction. 2024 Livret en français, néerlandais, anglais, allemand. Paroles en latin, traduction quadrilingue. 68’49’’. MEW 2308
Flemish Polyphony in Central Europe. Heinrich Isaac (c1450-1517) : Kyrie, Gloria [Missa Chargé de deuil.] Johannes Tourout (fl. c. 1460) : Virga restauratrix. Credo, Sanctus [Missa sine Kyrie]. Pange lingua gloriosi. Ave Virgo Gloriosa / O praeclare Jesu. Nova instant cantica. Gaspar van Weerbeke (c1452-post 1517) : Animea mea liquefacta est. Quem terra pontus. O Lumen. Salus aeterna [attrib]. Johannes Ghiselin (fl 1491-1507) : O gloriosa Domina. Anonymes : Kyrie paschale. Victimae paschali laudes. Ave Maria ancilla Trinitatis. Ave Maria gratia plena. Paradisus Trinitatis. Michael, praepositus Paradisi. O Altissime. Cappella Mariana. Vojtěch Semerád, ténor, direction. 2023. Livret en anglais, français, néerlandais ; paroles en langue originale traduite en anglais. 65’16’’. Passacaille 1133
Originaire de Namur, clerc dans le diocèse de Liège, maître de chant à la collégiale Saint-Rombaut de Malines, Jean Richafort gravita ensuite à la cour de France, dans l’entourage d’Anne de Bretagne et François Ier, qui l’emmena dans sa suite à Bologne en 1515, à la rencontre du pape Léon X. Sa biographie devient alors mystérieuse : on retrouve sa trace en 1528 comme chantre à Aardenburg et invité à l’église Saint-Gilles de Bruges, où en 1543 il prit les fonctions de zangmeester, avant de s’éteindre dans les environs quelques années plus tard.
Imprimées ou manuscrites, plus de deux cents sources prouvent sa notoriété et son influence dans la sphère franco-flamande. En subsiste un large corpus vocal dans le champ profane et sacré, dont l’édition moderne doit au musicologue américain Harry Elzinga, alors professeur à la Baylor University (1981-2003). Mais seulement trois messes, dont la Missa pro defunctis qui reste la plus connue, plusieurs fois enregistrée (Huelgas Ensemble chez Harmonia Mundi, The King’s Singers chez Signum, Cinquecento chez Hyperion).
Dans la foulée de Josquin Des Prés, si ce n’est son maître tel que le prétendit Ronsard du moins son modèle, Richafort appartiendra à cette génération qui développa le genre particulièrement fécond de la messe-parodie. On en jugera par les deux exemples contenus en ce disque, fondés sur des motets homonymes de Loyset Compère et du « Clericus Leodensis » lui-même, captés en appoint de programme. Comme toujours, on saluera la notice abondamment documentée et illustrée que propose le label Musique en Wallonie, et on y consultera avec intérêt l’analyse détaillée des œuvres par Agostino Magro et Philippe Vendrix.
La Cappella Mariana s’était déjà penchée en concert sur le Requiem (ainsi au festival d’Utrecht en 2018) et livre ici des lectures lumineuses de ces deux messes. Confiées à trois voix féminines, les parties supérieures tendent à dominer la polyphonie, d’autant que le diapason semble assez haut. Clarté, lisibilité et volontarisme caractérisent cette interprétation qui, malgré l’ingénieuse écriture du compositeur, ne convainc toutefois pas d’entendre des chefs-d’œuvre parmi les plus émouvants du genre. Cette valeureuse parution comble néanmoins un vide discographique et s’appréciera comme telle.

Manuscrits de Trente, Livres de chansons de Schedel, Codices Strahov, Speciálník et de Wrocław : plusieurs sources alimentent cette nouvelle exploration de l’ensemble Cappella Mariana dans les polyphonies pratiquées en Europe centrale à la Renaissance, et auxquelles la musicologie moderne n’avait jusque-là accordé qu’un intérêt circonscrit. Le livret du disque explique comment les œuvres furent adaptées aux contextes locaux, parfois fragmentées par les scribes, sélectionnant voire réorganisant des mouvements de messe (Credo et Sanctus de la « Missa sine Kyrie ») ou des sections de recueil (Animea mea liquefacta est et Quem terra pontus empruntés au cycle marial Ave Mundi domina).
L’appropriation pouvait se plier aux particularismes liturgiques : ainsi O Lumen répliquant la seule musique d’un Agnus Dei de la messe O Venus bant de Gaspar van Weerbeke, –exfiltré en raison de la conception eucharistique de la doctrine utraquiste. À l’instar du Ave Virgo Gloriosa / O praeclare Jesu qui dans un précédent album consacré à Johannes Tourout se calquait sur le rondeau Mais que ce fut secretement, la technique du contrafactum concerne aussi des textes latins appliqués à des chansons françaises dont la langue n’était pas familière aux terres de Bohême ou de Silésie.
Lesquelles surent aussi décliner l’esthétique franco-flamande dont elles accueillirent si volontiers les compositeurs, du moins leurs créations, pas toujours authentifiées, justifiant l’anonymat qui les entoure aujourd’hui. Parmi ces rares contributions, on prêtera l’oreille à la séquence pascale de la plage 10 (Victimae paschali laudes), suivie par une dévotion à la Vierge (Ave Maria ancilla Trinitatis / Ave Maria gratia plena) défendue avec ferveur.
Mais globalement, l’ensemble tchèque se distingue surtout par son chant sobre, homogène, méthodiquement rythmé. Capté à Prague dans deux acoustiques plutôt distantes, ce témoignage manque un peu de chaleur, de matière et de caractère. Malgré une démarche sérieusement informée, et sans déparer l’attrait documentaire de cette fenêtre ouverte sur un fonds négligé du répertoire, riche de découvertes et de perspectives croisées, le résultat sonore intéresse mieux qu’il ne séduit.
Christophe Steyne
Passacaille = Son : 7 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8,5
MEW = Son : 8,5 – Livret : 10 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8,5