Rencontres

Les rencontres, les interviews des acteurs de la vie musicale.

Roberto Forés Veses, perspectives transfrontalières 

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L’excellent chef d’orchestre espagnol Roberto Forés Veses, bien connu du public français, vient de prendre ses fonctions de directeur artistique de l’Orquesta de Extremadura  en Espagne. Il est, par ailleurs, Principal chef invité de l’English Chamber Orchestra basé à Londres tout en menant une carrière international de haut vol. En prélude à un concert avec l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, Roberto Forés Veses répond aux questions de Crescendo-Magazine.   

Cette saison vous prenez vos fonctions comme Directeur artistique de l'Orquesta de Extremadura en Espagne (OEX). Comment avez-vous rencontré cet orchestre ? 

J'ai rencontré cet orchestre en 2014. C'était la première fois que j'étais invité à leur pupitre et ensuite il y a eu 3 autres invitations et tous les concerts se sont toujours très bien passés. Nous avons exploré des œuvres d’un répertoire assez large : Symphonie n°104 de Haydn, Symphonie n°2 de Nielsen, Symphonie n°5 de Sibelius et Concerto pour orchestre de Bartók. Mon parcours m’a conduit à diriger des orchestres de chambre où la notion de famille est importante dans l’approche commune de la musique. J’ai tout de suite ressenti ce sentiment avec les musiciens de l’OEX. Au fil de ces 4 invitations, nous sommes devenus de plus en plus proches et il y a un an, alors qu”ils cherchaient un directeur musical, ils m’ont contacté  pour me proposer de devenir leur Directeur artistique.   

Quelle est votre ambition et quels sont vos projets pour cet orchestre ? 

La première étape est de placer l’OEX dans le panorama des orchestres espagnols. L’orchestre est basé à Badajoz dans la province d'Estrémadure, dans le sud-ouest de l’Espagne. Nous envisageons des concerts dans de grandes villes. Nous allons jouer à Madrid, ce qui est très important pour nous, mais aussi à Séville, qui est une autre grande ville pas si éloignée de Badajoz. Enfin, nous avons dans les plans de nous rendre au Portugal, à Lisbonne, car nous ne sommes qu'à deux heures de la frontière. Mon ambition est de donner une identité à cet orchestre qui est très jeune car il a été fondé en l’an 2000. L’OEX est un groupe de musiciens qui joue déjà très bien et naturellement, une seconde étape sera le développement à l’international.    

Quels sont les répertoires que vous allez développer ? Est-ce que vous allez programmer de la musique espagnole et je pense en particulier à Manuel de Falla, dont on célébrera l'anniversaire des 150 ans de la naissance en 2026 ? 

Nous allons être très attentifs à la musique espagnole et spécialement pour la saison prochaine. Je veillerai à programmer de la musique contemporaine car nous avons des compositeurs émergents de très grands talents ! Par ailleurs, c'est mon premier poste musical dans mon pays et je souhaite également programmer des œuvres qui m’accompagnent dans mon parcours de chef d’orchestre.  J'envisage le développement du répertoire sur plusieurs saisons, il y a tant de choses à faire !

Rencontre avec Coline Dutilleul

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La mezzo-soprano Coline Dutilleul fait paraître, chez Ramée, un album qui nous plonge dans les musiques des Salons du Premier Empire avec la découverte de très belles partitions, bien trop méconnues. La tournaisienne prend également par un album Musique en Wallonie qui nous fait découvrir les œuvres de la compositrice belge Lucie Vellère. Coline Dutilleul nous parle de ces deux parutions.  

Votre album porte le titre Au salon de Joséphine et il propose des romances et des airs d’opéra de l’époque du Premier Empire. Ce n'est pas un choix commun. Qu’est-ce qui vous a motivée à vous lancer dans ce concept éditorial ?

Le format intimiste de la musique de salon m’a toujours fascinée. J’aime raconter des histoires, vivre la musique à travers les mots et trouver ainsi une proximité avec l’auditeur que l’on peut rencontrer dans cette forme de concert plus intimiste.

Je me suis donc penchée sur cette époque avec Aline Zylberajch qui avait déjà une grande connaissance du répertoire en tant que pianofortiste, d’abord dans un projet sur les salons strasbourgeois du maire Dietrich à l’époque de la Révolution, avec une grande part de recherches à la bibliothèque de Strasbourg où nous avons découvert des partitions complètement inédites mais aussi des réductions d’orchestre, usage musical qui se développe beaucoup à l’époque dans le cadre du concert au salon. On entendait un opéra ou d’autres pièces de grande envergure avec orchestre et on s’attelait à les transcrire pour les jouer sur les instruments que l’on pouvait posséder à la maison : la harpe, le pianoforte, la guitare, parfois aussi des dessus comme la flûte ou le violon.

A l’époque, nous venions de rentrer dans les années Covid, il était donc aussi important de penser à de petites formes en musique de chambre. J’ai rencontré la directrice du château de Malmaison (Elisabeth Caude) qui m’a mise en contact avec des musicologues de la fondation Napoléon et ceux du château, et nous avons élaboré un axe de recherches pour essayer d’imaginer un programme qui aurait pu être joué dans le salon de la Malmaison en mettant l’accent sur les romances (les mélodies de l’époque), les airs d’opéra sérieux et bouffe en français et en italien, très présents dans cette « mode » des opéras au salon née à Paris sous la Régence, ainsi que des pièces instrumentales pour les instruments favoris de l’époque : la harpe et le pianoforte.  

J’ai aussi personnellement décidé d’axer le choix des textes sur des thématiques dans lesquelles j’avais envie de m’exprimer, laissant de côté les airs patriotiques ou coloniaux, par exemple, n’ayant pas envie d’entrer dans des sujets politiques.

Après plusieurs concerts en trio, invitées notamment par La Nouvelle Athènes (centre des pianos romantiques de Paris) qui nous a programmées dans le cadre du festival de Pentecôte au Château de Malmaison, nous avons décidé de proposer ce programme au disque, gardant cette idée d’un voyage musical dans une époque qui s’écouterait comme un concert au salon. 

Comment avez-vous sélectionné les compositeurs et les œuvres présentés sur cet album ?

Comme expliqué plus haut, l’impératrice Joséphine, mais aussi Napoléon avaient des goûts musicaux dont ils ne se cachaient pas.

J’ai trouvé dans des ouvrages musicologiques sur le Premier Empire, des compositeurs qui gravitaient autour de Malmaison, ainsi que des chanteurs adorés par Joséphine, comme le célèbre Garat.

Il existe aussi des périodiques musicaux de l’époque (Le Journal d’Euterpe) dans lesquels on peut retrouver des arrangements et des pièces inédites.

Évidemment, nous voulions aussi mettre à l’honneur Hortense de Beauharnais, la fille du premier mariage de Joséphine, qui avait de nombreux talents musicaux.

Sandra Chamoux, RéSonare

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©Simon Barral-Baron

La pianiste Sandra Chamoux revient au disque avec un album dont le titre est RéSonare et qui met en relief Brahms, Mendelssohn, Rachmaninov et Bach dans une transcription de Busoni. C’est un voyage musical en Ré mineur, porté par la forme du thème et variations, est un parcours éditorial original.  Sandra Chamoux répond aux questions de Crescendo Magazine. 

Votre nouvel album prend pour titre “RéSonare”. Pourquoi ce titre ? 

Pendant que j'enregistrais ce disque,  cherchant un titre, une nuit, je me suis réveillée en pensant RéSonare Fibris qui est une partie de l’hymne ayant servi à la construction du nom de nos 7 notes de musique occidentale.

La note RÉ est la contraction de la première syllabe de ce vers latin qui signifie "Résonner les cordes, les fibres résonnent...". J’ai également fait le jeu de mots avec Sonare qui en italien signifie Jouer , associé à Ré, devient RéSonare: Résonner…. 

Votre album propose des œuvres de Bach / Busoni, Brahms, Mendelssohn, et Rachmaninov. Comment avez-vous sélectionné les compositions et ces œuvres en particulier ?

L'œuvre de départ de ce projet est la Chaconne pour violon de Bach, transcrite au piano par Busoni. Je joue et travaille cette œuvre depuis que j'ai 20 ans, et j'ai un attachement profond pour cette œuvre magistrale pour violon. 

J'ai ensuite découvert le sublime mouvement lent du  Sextuor pour cordes n°1 de Brahms qu'il a transcrit au piano pour Clara Schumann. J'ai eu un véritable coup de cœur pour cette transcription et me suis orientée naturellement vers d'autres œuvres qui étaient déjà dans mon répertoire. Les points communs entre ces deux œuvres de Bach et Brahms m'ont amenée à Rachmaninov ainsi qu'à Mendelssohn. 

Dans le livret, dont vous avez signé le texte du booklet, vous écrivez que cet enregistrement est “un immense voyage relié par plusieurs points d’ancrage commun aux quatre oeuvres enregistrées”. Quels sont ces points d’ancrage communs ?   

Le principal est la tonalité commune de Ré mineur , le second est une immersion dans la forme « thème et variations », et pour finir trois oeuvres sur les quatre (Bach, Brahms et Rachmaninov) sont inspirées par des oeuvres à l’origine composées pour les cordes : la Chaconne de Bach, les Thèmes et variations de Brahms, et le thème de "La Folia" de Corelli qui est l'inspiration sur laquelle s'est portée Rachmaninov pour écrire ses Variations sur un thème de Corelli.

Goran Filipec, Chopin en perspectives 

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Le pianiste Goran Filipec construit une discographie de haut vol où prédomine des œuvres de Liszt. Pour le label Naxos, avec lequel il collabore depuis de nombreuses années, il fait paraître un nouvel album consacré à Chopin. Goran Filipec apporte un regard neuf sur le compositeur au travers d’un album remarquablement pensé. Goran Filipec répons aux questions de Crescendo Magazine. 

Cet album est le premier de votre belle discographie qui est consacré à Chopin. Pourquoi enregistrer Chopin à ce moment de votre carrière ? 

Chopin faisait toujours partie de mon répertoire. Je l’ai joué beaucoup en concert, mais, comme il y a un grand nombre d’enregistrements de ses œuvres, je n’étais pas particulièrement attiré par l’idée de l’enregistrer. En outre, on trouve quelques enregistrements vraiment exceptionnels des œuvres de Chopin, et je me réfère surtout aux enregistrements historiques. La proposition qui m’est arrivée de M. Klaus Heymann fondateur de Naxos, a réveillé mon enthousiasme et je me suis lancée dans ce projet en essayant de retrouver la fraîcheur dans ces morceaux beaucoup joués, et de contextualiser le répertoire d’une façon qui n’est pas neuve, vu qu’elle date des siècles précédents, mais qui est pratiquement oubliée aujourd’hui. 

Votre album propose les Ballades et les Scherzos et quelques Préludes. L'œuvre de Chopin est vaste, mais pourquoi avoir choisi ces partitions précisément et pas d’autres ?  

Le programme m’a été suggéré par la maison discographique, et j’ai apprécié la suggestion car elle était pertinente. Il y a une correspondance entre les Ballades et les Scherzos au niveau des périodes où ces morceaux ont été composés. Ce sont des morceaux de forme moyenne qui dans le contexte d’un programme communiquent très bien entre eux. 

Sur cet enregistrement, les œuvres mêlent formant un parcours mélangé, avec des Préludes parsemés au fil de l’album, comme des points d'équilibre.  Comment avez-vous conçu ce voyage à travers ces partitions de Chopin ?  

Pour chaque Ballade, chaque Scherzo et la Fantaisie, j’ai choisi, comme introduction, une Prélude du compositeur qui pourrait correspondre à ces morceaux au niveau de tonalité, texture, ou de caractère. Chopin n’a jamais joué les Préludes comme un cycle, mais il les jouait comme introduction aux formes plus grandes, comme les Ballades. La pratique de préluder avant les grands morceaux était habituelle au 19e siècle, et ces miniatures ont été conçues dans l’esprit des préludes de l’époque. Souvenons-nous des Préludes de Clara Schumann ou de Kalkbrenner.  Le programme dans sa totalité a finalement résulté trop long pour un CD, et l’éditeur a décidé de le découper, et de publier en forme numérique ce qui ne rentrait pas dans le disque.  

Grégor Chapelle lance la troisième phase de développement de la Music Chapel

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La Music Chapel (anciennement Chapelle Musicale Reine Elisabeth) étend à partir du 1er janvier 2026 ses activités au domaine d’Argenteuil afin de créer un campus musical international au sein de la nature.  Six mois de travaux d’aménagement précéderont l’installation des premiers résidents en septembre 2026. Une période d’analyse de trois ans permettra ensuite de définir les paramètres de bon fonctionnement de l’institution rénovée.

Pour faire le point sur cette opération, nous avons rencontré Grégor Chapelle, le CEO désigné de la Chapelle après le décès de Bernard de Launoit.

Selon lui, on peut répartir l’histoire de la Chapelle Musicale sur trois grandes périodes. La première s’étend de 1939 à 2004 : c’est l’époque où la Chapelle destinée aux jeunes musiciens belges s’organise selon le schéma préparé par Ysaÿe et mis en œuvre après sa mort sur la supervision de le Reine Elisabeth. L’objectif est d’offrir aux jeunes musiciens un lieu de travail et de réflexion qui permette une grande concentration tout au long de l’année.

La deuxième phase qui commence en 2004 est celle de l’internationalisation qui répond à une réalité nouvelle de l’enseignement de la musique. Elle a été portée à bout de bras par Bernard de Launoit. On fait appel à des maîtres réputés internationalement (Dumay, El Bacha, Van Dam) qui seront rejoints au fil du temps par des artistes du calibre de Gary Hoffman, Louis Lortie ou Frank Braley. On multiplie les master classes et les contacts avec d’autres institutions internationales. Le nombre de jeunes artistes en résidence ne cesse d’augmenter, ce qui implique la disponibilité de nouveaux locaux. Bernard lance alors le projet de construction de l’aile de Launoit qui est une grande réussite.

Aujourd’hui, la Chapelle est reconnue comme un lieu d’excellence international. Mais son succès ne va pas poser quelques problèmes. Quand je suis arrivé en 2024, on avait atteint les 80 artistes en résidence. Avec pour effet que celle-ci changeait un peu de structure. Sur les 20 studios disponibles, 10 sont occupés de manière permanente, les 10 autres étant mis à disposition sous forme de rotation entre classes d’instruments. Dumay arrive-t-il que tous les violonistes convergent et qu’il faut les héberger mais ce sera pour les remplacer très vite par les pianistes dès l’arrivée de Frank Braley. Le rythme est donc infernal et ne permet pas toujours les rencontres latérales entre disciplines, ni la pratique en profondeur de la musique de chambre que préconise le projet. De plus, la Chapelle a traversé quatre années difficiles avec l’assaut du COVID en 2020/1 et la maladie de Bernard qui se déclare en 2022 et l’emporte en mars 2023. La Chapelle n’a plus de CEO mais est gérée avec un bel engagement par les équipes en place. Aujourd’hui, on peut dire qu’elle rentre en vitesse de croisière. Mais elle doit définir un nouveau business plan pour absorber les problèmes déjà connus.

Notre situation est très différente de celles de nos concurrents directs : en Allemagne, Kronberg bénéficie d’un très gros soutien public et, aux Etats Unis, Curtis, Colburn et Julliard disposent d’endowment funds colossaux qui vont de 200 millions à un milliard de $. Le budget de la Chapelle, lui, est financé à concurrence de 10% par des subsides publics et pour le solde par des supports privés (mécènes et sponsors).

Rose Naggar-Tremblay, Haendel en menu dégustation

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La contralto  Rose Naggar-Tremblay fait paraître un album consacré à Haendel (Arion). C’est un choix logique tant les partitions du compositeur accompagnent la carrière de la jeune artiste qui nous offre un véritable menu de roi au fil des airs, accompagnés par l'Orchestre de chambre de Toulouse.  Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec cette musicienne, bien dans son temps et qui développe une carrière loin des catégories passant avec aisance du lyrique à la chanson.    

Pour votre premier album, vous avez choisi le répertoire des airs de Haendel ? Pourquoi ce compositeur ? 

Enregistrer un album solo, dans le climat financier mondial actuel, est un immense privilège. Je voulais m’assurer de proposer un répertoire qui me colle à la peau. Haendel est le compositeur que j’ai chanté le plus souvent sur scène. Il n’y a pas un seul de ses rôles pour contralto (ou contre-ténor) du registre de Senesino que je ne me sentirais pas apte à défendre en production. J’ai d’ailleurs accepté de changer de rôle à la dernière minute l’an dernier, passant de Cornelia à Cesare dans une production du Capitole de Toulouse sous la direction de Christophe Rousset, à peine une semaine avant le début des répétitions. J’ai pu relever ce défi parce que je savais que le rôle de Cesare serait idéal pour ma voix, et que le plus grand défi, pour moi, serait simplement de le mémoriser. 

Une fois le compositeur choisi, il vous a fallu déterminer les œuvres et le nombre de partitions de Haendel est colossal. Comment avez-vous choisi les airs ? 

Bien qu’il y ait encore plusieurs rôles que je rêvais d’interpréter au moment du choix de pièces (Orlando, Bertarido, Cesare pour n’en nommer que quelques-uns ), je me suis inspirée des apprentissages découlant de l’enregistrement de mon album de chansons. En effet, mon seul regret suite à celui-ci avait été de ne pas avoir prévu ma tournée de spectacles avant d’aller en studio. La scène est le meilleur laboratoire. La relation avec le public et les collègues transforme nos interprétations, les font passer du papier à la chair vibrante. J’ai donc choisi d'interpréter sur l’album uniquement des œuvres que j’avais déjà vécues sur scène. À l’exception des airs de Cornelia, que j’aurais dû faire une semaine après à Toulouse, et de Polinesso, clin d’œil à la gigantesque Ewa Podles qui nous a quittés l’année dernière. 

Dans le communiqué de presse qui accompagne la sortie du disque, vous déclarez “J’ai envie que l’on offre ce disque à ses amis, à l’heure de l’apéro, comme une délicatesse qui inspire la joie du partage.”. La musique ne peut-elle être que synonyme de bonheur et de joie ? 

Bien sûr que non,  l’album comprend bon nombre de moments mélancoliques ou suspendus, mais la tristesse est déjà tellement plus douce quand elle est partagée. Haendel était lui-même un gourmand notoire, c’est ce qui m’a donné l’idée d’évoquer la joie d’un festin de jour de fête sur la pochette. 

Vous êtes Canadienne et contralto colorature et naturellement, on pense aussitôt à votre compatriote Marie-Nicole Lemieux, bien connue ici en Belgique. Je crois savoir qu’elle est une figure particulièrement inspirante pour vous ? Quelles sont les autres chanteuses qui vous inspirent ? 

J’ai suivi la carrière de Marie-Nicole de loin depuis mon adolescence, mais j’ai eu le bonheur de travailler avec elle tout récemment alors que j’étais sa doublure pour une production de Carmen. Quel bonheur de pouvoir la côtoyer de plus près ! C’est un véritable feu roulant d’idées musicales et théâtrales, il faut arriver en pleine forme pour pouvoir la suivre. J’ai toujours été fascinée par le timbre unique et la bravoure d’ Ewa Podles et le raffinement de Nathalie Stutzmann. Je rêverais d’ailleurs de pouvoir chanter sous sa direction.

Robin Pharo, cap sur l'Angleterre 

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Robin Pharo est directeur de l'ensemble Près de votre oreille (Near your ear) avec qui il fait paraître un album intitulé “Lighten mine eies” (Harmonia Mundi). Ce nouvel enregistrement  marque une étape importante dans le parcours de l’ensemble « Près de votre oreille ». Depuis sa création en 2017, l’ensemble explore la musique de chambre ancienne, en particulier le répertoire anglais, de l’époque élisabéthaine aux débuts de la restauration de la monarchie anglaise. Avec ce nouvel opus, c’est le compositeur William Lawes qui est à l’honneur.  Robin Pharo répond aux questions de Crescendo Magazine pour nous présenter ce disque qui s’impose comme une référence. 

Pour votre premier album pour Harmonia Mundi, vous avez choisi de mettre à l’honneur William Lawes. Pourquoi ce choix ? 

C’est une décision qui s’est faite un peu par hasard… En écoutant un disque magnifique de l’ensemble Correspondances, Perpetual night, j’ai découvert une pièce sublime de William Lawes, qui ouvre aujourd’hui l’album Lighten mine eies. J’ai alors fait le lien avec un nom qui m’était familier. Pourtant, je n’avais jamais écouté à ce moment ses célèbres pages pour consort de violes de gambe et orgue, que j’ai depuis eu la chance de jouer avec l’ensemble Près de votre oreille. Je savais simplement qu’elles existaient parce que je suis violiste. J'ai alors cherché à en savoir plus sur William Lawes et notamment sur sa musique vocale. Je ne savais pas que je tomberais alors sur des dizaines de pièces jamais enregistrées, d’une beauté exceptionnelle.

Comment avez-vous sélectionné les œuvres présentées sur cet album ? 

Comme pour tous les programmes que je crée, je cherche instinctivement une forme de dramaturgie et d’éloquence, comme celle qu’on recherche lorsqu’on peint un tableau (je dessine très mal mais je me débrouille mieux avec la musique !). À la différence par exemple d’une pièce qu’on compose d’après un texte existant, lorsqu’on crée un programme de récital, il faut aussi trouver une idée à dépeindre. Celle-ci ne vient pas immédiatement. Je dirais qu’on ne lève réellement le voile sur un tel récital qu’une fois que celui-ci est terminé. C’est comme si on peignait à l’aveugle, avec pour seule boussole, le son, et qu’on parvenait enfin à une image à la fin du travail de sélection. En quelque sorte, l’histoire qu’on a dépeinte est alors le fruit du hasard, et aussi de contraintes très pragmatiques, la nécessité de présenter des formes variées, des moments rythmiques, tendres, etc… Et puis on cherche un début qui attire notre attention, un milieu qui nous permet d’exulter, et une fin qui nous transcende… Composer un programme est un exercice absolument fascinant mais il est aussi très exigeant. 

Comment l'art de Lawes s’intègre-t-il dans son temps, en particulier à la suite de Byrd et Gibbons ? 

Je dirais que l’art de Lawes est à la fois un chemin vers l’ailleurs et un aboutissement. Comme Byrd et Gibbons, ses prédécesseurs, William Lawes connaît à la perfection les secrets du contrepoint le plus subtil et le plus virtuose. C’est ainsi qu’il compose des fantaisies à 6 voix spectaculaires. William Lawes dévoile aussi dans ses œuvres contrapuntiques un réel désir de nouveauté. Il n’hésite pas à emprunter des ostinato marquant et de fausses relations violentes. Il est capable de se saisir de l’étrangeté comme personne à son époque. Pour le répertoire instrumental, nous lui devons des pièces exceptionnelles comme ses fantaisies Sunrise et Sunset, qui ressemblent à de petites symphonies bien plus tardives pour orchestre à cordes… Ses harp consorts et ses royal consorts sont aussi une illustration de son avant-gardisme qui l’amène à des associations d’instruments inédites. Comme son grand frère, Henry, il écrit aussi pour la voix et je dirais que sa musique vocale profane ressemble encore plus que celle de son aîné, à ce qu’on pourra découvrir chez des compositeurs plus tardifs comme John Blow. Elle a donc une importance probablement plus grande sur l’évolution de la musique vocale. Pour moi, William Lawes est donc un compositeur très important pour l’évolution globale de la musique classique britannique. Ses talents de musicien l’ont amené à composer beaucoup pour le théâtre et les spectacles de cours qu’on appelle mask. Cette notoriété acquise a rendu sa disparition encore plus tragique pour le monde culturel anglais, lors de la Grande Rébellion. 

Anna Besson, la flûte et Mozart 

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La flûtiste Anna Besson fait l'événement avec un album intégralement consacré à Mozart et à ses concertos avec flûte (Alpha). Cet enregistrement s’impose comme l'un des sommets dans une discographie déjà bardée de références ! Anna Besson, qui est liée à la Belgique, puisqu’elle enseigne au Conservatoire royal néerlandophone de Bruxelles, répond aux questions de Crescendo Magazine. 

Pour les flûtistes, ces concertos de Mozart sont parmi les œuvres les plus connues et l’un des fondements de votre répertoire. Qu’est-ce qui vous a motivé à les enregistrer ? 

J'ai tant joué ces concertos sur flûte moderne depuis mon enfance sans jamais vraiment comprendre comment parvenir au plus proche de ce qu'avait imaginé Mozart que la redécouverte de ce répertoire sur instrument d'époque a été un vrai déclic pour moi. Les jouer sur la flûte traversière traversière en bois (conique à une clé) répondait à presque toutes mes questions d'interprétation que ce soit au niveau du phrasé, des couleurs ou du timing, en apportant un tel éclairage à mon jeu et ma conviction de musicienne que l'idée de les graver au disque s'est imposée comme une évidence. 

Vous êtes accompagnée pour cet enregistrement de l’ensemble A Nocte Temporis sous la direction de notre compatriote Reinoud van Mechelen. Comment avez-vous amorcé la perspective d’enregistrer avec cet ensemble et son chef. 

Après avoir enregistré le dernier volet de la trilogie autour de la voix de haute-contre consacré au chanteur Legros, muse de Gluck, nous avions envie de continuer vers le répertoire classique et notamment Mozart : les airs de concert pour ténor pour lui et les concertos pour moi, en imaginant une sorte de diptyque, d’où les pochettes de nos disques qui une fois réunies forment une seule et même image. Nous nous sommes beaucoup renseignés sur la formation de l’orchestre à l’époque de Mozart, aux cadences, aux longueurs d’appoggiatures et autres questionnements pour être au plus proche de ce qui aurait pu se faire à la fin du XVIIIeme siècle à Vienne.

On connaît bien Reinoud van Mechelen comme chanteur. Est-ce que jouer et enregistrer ces concertos avec un chef d’orchestre qui a une pratique de chanteur a amené une réflexion différente sur la manière d’envisager les œuvres, les équilibres, les respirations ? 

Travailler sous la direction d’un chanteur est un véritable atout. Ça l'est depuis notre tout premier enregistrement de cantates de Bach en 2016 et pour tous les projets de musique française qui ont suivi. La vocalité de l’ensemble, la capacité à exprimer les émotions contenues dans les œuvres ont été notre première mission depuis les débuts de l’ensemble et travailler avec Reinoud est une grande chance, dans Mozart comme dans Rameau !

Sur cet album, il y a le célèbre Concerto pour flûte et harpe, instrumentation assez rare. Comment trouver les bons équilibres entre ces deux instruments  à la base si différents ? 

Ces deux instruments n’ont en effet rien en commun mais leurs sonorités se marient extrêmement bien. Il y a par ailleurs pléthore de répertoire pour ce duo, notamment au début du XIXe siècle. Le grand avantage de jouer avec une harpe est que sa sonorité laisse toute la marge nécessaire pour aller chercher l’extrême des nuances et couleurs propres à chaque instrument sans crainte d’être couverte par l’autre (comme ça peut être le cas avec un piano). Nous avons d’ailleurs décidé de monter un programme en duo avec Clara en mettant à l’honneur le répertoire pour flûte et harpe de la période du Premier Empire en France. 

Tour des Flandres, Jan Vandenhouwe à propos d’Opera Ballet Vlaanderen 

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Crescendo Magazine amorce un tour des Flandres pour évoquer les grandes institutions musicales du Nord de notre pays. Des opérateurs culturels particulièrement intéressants, créatifs et dynamiques dont nous ne parlons que trop peu. Pour cette première étape, nous rencontrons Jan Vandenhouwe, directeur artistique Opera Ballet Vlaanderen (OBV), la plus grande institution musicale flamande. 

Ma première question est sous forme de constatation. La saison 2025-26  d’OBV commence extrêmement bien, un
Parsifal qui en a mis plein la vue et les oreilles au public, un Wozzeck qui a été repris en Chine, un ballet Grand finale qui a été un grand succès, un concert Beethoven/Mahler magnifique sous la baguette d’Alejo Perez . Tout va bien, alors, à Opera Ballet  Vlaanderen  ?


Oui, je pense que ça va bien ! J’ai pris mes fonctions  en septembre 2019. Après trois productions, la pandémie de Covid-19 est survenue. Cette période nous a permis de réorganiser et de structurer les opérations complexes de notre institution, qui regroupe différentes entités, deux sites à Anvers et Gand, mais aussi, l'opéra, le ballet et l’orchestre.  

Depuis la pandémie, nous observons une augmentation significative du public, même des abonnements, pour le ballet. Cela suggère que notre public adhère à l'orientation que nous prenons. 

Cependant, nous constatons également un changement dans les habitudes du public. Avant la pandémie, la fréquentation était plus stable et les spectateurs prenaient des tickets en bien en amont des représentations.  Aujourd'hui, chaque nouvelle production doit créer un véritable engouement, un "buzz", comme ce fut le cas pour Wozzeck. Quelques semaines avant la première, nous avions l'impression que le ticketing avait un peu de mal à démarrer et finalement les articles de presse ont été très bons, le bouche à oreille à très bien fonctionné et le public est finalement venu en grand nombre. 

Vous revenez de Chine où votre production de Wozzeck présentée, à Anvers et Gand,  à la fin du printemps dernier, a été donnée dans le cadre du Festival de musique de Pékin. Comment OBV a été associé à cet évènement qui a marqué la création de Wozzeck en Chine ?   

Le  Beijing Music Festival avait présenté, il y a quelques années Lulu, en première chinoise.  La découverte de cet opéra a été marquante pour le public chinois, et le festival a rapidement souhaité monter l’autre opéra d’Alban Berg : Wozzeck.  C'est ainsi qu'ils ont contacté des maisons lyriques européennes pour trouver une nouvelle production de Wozzeck à importer. Connaissant le travail du metteur en scène Johan Simons lorsqu'il dirigeait le Kammerspiele de Munich (et qui avait été en tournée en Chine), ils se sont intéressés à notre production. Après la présentation du concept, ils ont été convaincus.

Sur place, j'ai été impressionné par le public, souvent très jeune, extrêmement bien préparé et particulièrement intéressé. J'ai eu le sentiment que chacun s'était beaucoup renseigné sur l’opéra, considérant la première représentation de Wozzeck en Chine comme un véritable événement. Le festival était également très bien organisé, avec des techniciens efficaces. Le décor a été entièrement reconstruit sur place pour s'adapter à la scène, qui était cinq mètres plus large que la nôtre. L'exécution a été d'une grande efficacité et d'une précision remarquable. Ce fut une très belle collaboration. 

L’orchestre est à un tournant, puisque son directeur musical Alejo Pérez vient de quitter ses fonctions avec une production de Parsifal et un concert Beethoven / Mahler magnifique ! Quel bilan tirez-vous de son mandat et quelles sont les perspectives futures ? 

La collaboration avec Alejo Pérez a été fructueuse. Je le connaissais déjà de l'époque où je travaillais avec Gérard Mortier.  Il avait été l'assistant de Christoph von Dohnányi  et il avait dirigé des productions à Madrid. Je savais qu'il était très ouvert à la collaboration avec les metteurs en scène novateurs. C'est également un spécialiste de la musique contemporaine, ce qui lui permet d'aborder l'ensemble du répertoire avec cette perspective. De plus, il avait déjà dirigé avec succès Pelléas et Mélisande et Lohengrin pendant le mandat de mon prédécesseur Aviel Cahn, et ayant constaté la satisfaction de l'orchestre à travailler avec lui, il m'a semblé naturel de lui proposer de nous rejoindre. 

De plus,  nous avons eu le départ à la retraite de nombreux musiciens ces dernières années et à l'arrivée de jeunes musiciens. Alejo Pérez a été activement impliqué dans les processus de recrutement, et il a su motiver et créer une dynamique avec l'orchestre. Enfin, il est bénéfique que l'orchestre ne soit pas cantonné à la fosse, mais qu'il participe également à des concerts et à des ballets. 

Alejo Pérez est resté en poste 6 ans et je trouve que c’est une bonne durée pour un travail commun. Je constate que le niveau de l’orchestre a encore progressé sous sa direction. 

Gautier Capuçon, objectif terre 

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Le violoncelliste Gautier Capuçon rend hommage à la terre, avec son nouvel album “Gaïa”. En 17 partitions de 16 compositrices et compositeurs, il alerte sur le réchauffement climatique et ses conséquences. Aventurier de son temps, il emmène son violoncelle sur les hauteurs du Mont Blanc pour témoigner des bouleversements que subit cette montagne de légende, toit de notre Vieux continent. Gautier Capuçon est un artiste engagé qui aime défendre la musique de son temps et aider la jeune génération d'artistes. Crescendo Magazine se réjouit de s'entretenir avec ce très grand musicien.  

Un album qui porte le titre de Gaïa, ce n’est pas commun ! Pouvez-vous nous présenter le concept ? 

Cet album est en effet dédié à  notre planète la terre mais également à la problématique du réchauffement climatique en lien avec les images du Mont-Blanc, montagne qui m’est chère et qui en subit les conséquences de manière spectaculaire. 

Les compositeurs et les compositrices présents au programme de cet album  expriment leurs liens avec la terre de différentes manières. Certaines œuvres sont plus alarmantes, plus  angoissantes  et on sent l'inquiétude des conséquences du réchauffement climatique derrière les notes. D'autres sont beaucoup plus lumineuses et célèbrent cette terre. J’avais laissé les compositeurs complètement libres. Les seules indications qu'ils avaient, c'était bien sûr l’instrument à disposition : le violoncelle. 

Sur cet album, il y a 17  œuvres de compositrices et compositeurs différents.  Comment les avez-vous choisies ? 

C'est un projet qui a mis du temps à se construire parce qu'effectivement il y a  17 œuvres de 16 compositrices et compositeurs différents. J’avais vraiment envie de poursuivre cette exploration de la musique, la musique avec un grand “M”,  mais avec des compositrices et compositeurs qui viennent d'univers et de genres musicaux différents, donc pas nécessairement des noms que l'on peut rencontrer sur des programmes de concerts de musique classique ou dans des salles traditionnelles. 

Personnellement, j’ai le privilège de pouvoir explorer des œuvres de musique très différentes.Ces dernières années, j’ai eu la chance de travailler et de créer des oeuvres de Thierry Escaich, Lera Auerbach, Wolfgang Rihm, Jörg Widmann, Karol Beffa, Qigang Chen, Bryce Dessner, Richard Dubugnon, Philippe Manoury, Bruno Mantovani, Wolfgang Rihm….et c’est pour moi aussi une exploration nouvelle de m’ouvrir à d’autres genres musicaux et c’est infiniment enrichissant.

Il y a des singularités fort différentes mais ce qui les rassemble c'est la musique.  La musique représente pour moi des émotions que l'on reçoit en tant qu'auditeur et en tant qu'artiste. 

Je pense que, pour toucher un public avec ses émotions, il faut déjà qu'on les ressente en tant qu'artiste. Il faut qu’une œuvre me plaise et me parle avant que je puisse en parler et l'interpréter avec mon cœur et mon âme. 

À la lecture des noms, certains de ces créateurs appartiennent à la mouvance New Classical plutôt orientée vers une forme d'easy listening et pas vers l'avant-garde. Cette dernière ne peut-elle pas témoigner des douleurs de la Terre ? 

Je pense que chacun a des choses à dire et c'est ce qui fait aussi l'extrême richesse  de la musique. Je n'ai pas voulu mettre ces compositrices et compositeurs dans  une certaine catégorie. C'est pour ça que j'ai voulu explorer avec un champ très large et les sélectionner par rapport aux émotions que je ressens et non pas par rapport à d'éventuelles catégories. 

D'ailleurs, ce sont souvent des commentateurs qui mettent les artistes dans certaines catégories ! Ce n'est certainement pas le compositeur (ou rarement) qui se définit  comme appartenant à une certaine catégorie ! 

Ces artistes ont été sélectionnés pour la musique qu'ils écrivent et pour ces émotions qui sont véhiculées par leur musique.