Chostakovitch mis à l’honneur à Bozar par le Belgian National Orchestra

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Ce concert a lieu dans le cadre du Festival Chostakovitch organisé à Bozar du 25 au 27 février. C’est donc tout naturellement que les deux œuvres interprétées ce soir sont du compositeur russe. Le Belgian National Orchestra, sous la direction de Hugh Wolff, commence avec le Concerto pour piano, trompette et cordes. Le soliste du soir est l’excellent Lucas Debargue, rapidement devenu une star du piano depuis son 4e Prix du Concours Tchaïkovski en 2015. Il sera accompagné des cordes du BNO et du chef de pupitre des trompettistes Léo Wouters. Ensuite, ils interprètent la Symphonie n°13 « Babi Yar » avec l’ensemble vocal Octopus et Mikhail Petrenko.

Avant le concert, un mot concernant la situation en Ukraine : il est souligné que des musiciens d’origine russe et ukrainienne font partie de l’orchestre et jouent ensemble. Une minute de silence est observée pour rendre hommage aux victimes de ce conflit.

Le Concerto, en quatre mouvements, est une pièce humoristique qui reflète une période héroïque, animée et pleine de joie de vivre. Dans le premier mouvement, le pianiste joue de manière puissante et presque hypnotisante, et il fait résonner le piano dans salle Henry Le Boeuf. Il est accompagné par des pizzicati précis, avec un chef qui mène son orchestre à la baguette et un trompettiste qui vient ponctuer certaines phrases du piano. Le deuxième mouvement est une valse lente. Le début est assez neutre jusqu’à l’arrivée du pianiste. Un moment calme et apaisant se profile avec l’intervention du trompettiste en sourdine mais avec plusieurs fausses notes. Le troisième mouvement est un intermezzo assez court, sans trompette, qui commence avec le pianiste, rejoint par les cordes avant d'enchaîner avec le dernier mouvement, un Allegro con brio où nous pouvons apprécier une belle connexion entre le soliste, le chef et l’orchestre. La cadence est jouée dans un style assez  guilleret. Nous avons droit à un véritable récital du pianiste, accompagné par un orchestre très précis grâce à son chef et un trompettiste solennel malgré sa prestation en demi-teinte. Le Concerto est dûment applaudi par le public et le pianiste français nous gratifie d’un bis de toute beauté : le mouvement lent, à l’allure de mazurka, d’une sonatine du compositeur polonais Milosz Magin.

Après la pause, place à la Treizième Symphonie « Babi Yar ». L’orchestre est au complet, le soliste Mikhail Petrenko en place et le chœur Octopus est positionné au deuxième balcon, juste au-dessus de la scène. Cette œuvre qui tient autant de la cantate que de la symphonie est basée sur cinq poèmes d’Evgueni Evtouchenko. Chaque mouvement illustre un de ces 

poèmes. Le premier mouvement, inspiré de « Babi Yar », évoque un lieu de la ballieue de KIev où a été découverte une fosse avec des cadavres de Soviétiques juifs assassinés par des nazis. Cela se traduit musicalement par une musique funèbre interprétée par l’orchestre, ponctuée par les cloches. Puis intervient pour la première fois le chœur d’hommes suivi par le chanteur russe. Il est convaincant et a une belle présence scénique, tout comme Hugh Wolff qui contrôle tous les protagonistes. Le deuxième mouvement est basé sur le poème « Humour » et fait l’apologie de celui-ci. Le soliste déclame sa partie tandis que le choeur ponctue ces paroles de façon assez amusante avec des bribes de vers. Le poème « Au Magasin », inspire le troisième mouvement. Il fait la louange des femmes russes et de toutes les tâches qu’elles exercent, comme faire la file dans un magasin. Ce mouvement commence avec les cordes graves à l’unisson. L’écriture est certes linéaire, mais cela donne un côté doux et pensif que viennent interrompre de petites répliques rythmiques. 

Le quatrième poème, « Les Terreurs », évoque le passé récent et la déstalinisation. Au début, le climat mystérieux offre un tapis pour le solo du tuba basse qui, entre deux phrases, laisse la place aux percussionnistes. S’en suivent des reptations des cordes et des montées des cuivres avec les sourdines. Après le point culminant de ce mouvement, un grand decrescendo mène à la fin avec les cordes, le cor et la harpe. Le dernier mouvement, basé sur le poème « La Carrière », rend hommage à toutes les personnes à qui le courage de leurs opinions a fait courir des risques. Au début, un tapis de cordes permet aux flûtes 

d’énoncer le thème qui reviendra plus tard. Il y a des passages joyeux en pizzicato, un chanteur en belle complicité avec le chœur, notamment dans une session de questions-réponses. Enfin, nous avons droit à un passage en toute harmonie entre le concertmeister, le premier alto et quatre violoncelles puis c’est le célesta qui, par ses notes cristallines, clôture l’œuvre.

Le public remercie les musiciens d’une standing ovation méritée : le Concerto a été brillamment interprété par le pianiste Lucas Debargue avant la symphonie, menée par un chef magistral qui a su tenir en haleine le public mais aussi les musiciens. Ces derniers ont livré une belle interprétation, avec de beaux solos, notamment de la part du corniste, du clarinettiste et du bassoniste. Les intentions musicales donnaient beaucoup de contrastes à l’œuvre. Les percussionnistes méritent aussi d’être mis à l’honneur parce qu’ils ont un rôle important et l’ont bien assumé. Le chœur était juste et dialoguait avec l’orchestre, le chef et le soliste qui a livré une prestation assez impressionnante, tant par sa technique vocale que sa musicalité et sa présence scénique.

Bruxelles, Bozar, le 25 février 2022.

Thimothée Grandjean

Crédits photographiques : Caroline Talbot

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