Concert d’inauguration de l’orgue reconstruit au Centre Saint-Jean de Gdańsk
Princess of Gdansk. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Toccata et Fugue en fa majeur BWV 540. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ BWV anh. II 73 ; Sonate en sol mineur Wq 70/6. Franz Joseph Haydn (1732-1809) : Musique pour Flötenuhr (1792), douze pièces Hob. XIX. Johann Gottfried Müthel (1719-1788) : Phantasienfuge en ut majeur. Domenico Bellando (1868-1922) : Marche pontificale. Andrzej Mikołaj Szadejko, orgue de chœur du Centre culturel Saint-Jean de Gdańsk. Mars 2020. Livret en polonais/anglais. TT 57’05. Ars Sonora. ARSO-CD-193
Ce disque capté en public le vendredi 6 mars 2020 nous convie à l’inauguration de l’orgue du Centre Saint-Jean de Gdańsk. C’est sous ce nom que l’église de même patronage (Kościół św. Jana), sévèrement touchée par la Deuxième Guerre mondiale, se trouve convertie en base culturelle depuis 1995, grâce à un cofinancement du Fonds européen de développement régional, obtenu par la Voïvodie de Poméranie. Le projet de revitalisation a permis la reconstruction de l’orgue de chœur, dont la façade (Johann Heinrich Meissner) avait été préservée des bombardements, alors que la partie instrumentale (construite par Johann Rhode en 1761 et remplacée en 1912 par 17 jeux à traction pneumatique) ne survécut pas aux avaries.
Le Dr Andrzej Szadejko mena les recherches et supervisa le cahier des charges artistique de cette réhabilitation, visant la fidélité à l'original du XVIIIe siècle. Les travaux furent confiés à un consortium belgo-polonais (le facteur Guido Schumacher d'Eupen et Szymon Januszkiewicz) ainsi qu’au Letton Janis Kalnins pour l’accord et l’intonation. La restauration du buffet Rococo fut réalisée sous la direction de Jolanta Pabiś-Ptak avec la participation de l'équipe du Pracownie Konservatorskie DART de Gdańsk. Signalons que malgré les trente jeux, il s’agit du « petit orgue » de cette église, qui complétait alors la tribune initiée à la Renaissance (1625-1629) par Mertin Friese, intégrée en 1982-1985 à l’orgue reconstruit dans la voisine église Sainte-Marie par la maison Hillebrand.
Un événement. Les billets du concert furent, paraît-il, vendus en vingt minutes ! Le lendemain, un autre programme chambriste faisait entendre l’orgue accompagné par l’Ensemble Goldberg : le CD aurait pu y piocher en complément de sa relative brièveté. Le versant solo se consacre judicieusement au classicisme germanique et à l’Empfindsamkeit, particulièrement adaptés à l’esthétique délicate et moelleuse de cet orgue. Lui conviennent parfaitement ces piécettes ingénues que Haydn (« Franz » dans le livret bien qu’il utilisât plutôt son second prénom Joseph) écrivit pour l’horloge à flûte ; on nous en propose ici douze parmi les trente-deux qu’on lui connaît. On observera d’ailleurs que le choralvorspiel Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ est joué dans son adaptation par le fils Bach, plus conforme à l’Affektenlehre que le pieux original du papa. On aurait souhaité davantage de verve et de vivacité dans les allegros de la Sonate de Carl Philipp Emanuel, si versatiles et ardus à animer, certes -il n’y a guère que Kei Koito (Harmonic Records, septembre 1991) qui parvint à saisir leur ardent caprice.
En tout cas, on doit saluer une exaltante lecture de la Fantaisie fuguée de Müthel, qu’Andrzej Szadejko avait déjà enregistrée pour Motette (2008) : le piquant doux-amer des anches, une prestation électrisante, et la puissance de la conclusion épaulée par un pédalier herculéen (la Quinta Major !). Au sommet de ce récital, un BWV 540 interprété en maître : coulant et lié dans la Toccata, remarquablement concentré dans la Fugue. Les applaudissements contribuent au réalisme de ce document sonore qui nous associe à cette heure de baptême : auspices inspirés, appelant nos vœux de réentendre bientôt ces capiteux tuyaux de caractère.
Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 7-10 – Interprétation : 9,5
Christophe Steyne