La Chanson du vent de Clothilde Van Dieren 

par

Oeuvres de Adolphe Biarent  (1871-1916), Hector Berlioz (1803-1869),  Charles Gounod  (1818-1893), Georges Bizet (1838-1875), Camille Saint-Saëns ( 1835-1921), Ernest Chausson (1855-1899).  Clotilde Van Dieren, mezzo-soprano ; Katsura Mizumoto, piano. 2020. Booklet en français et anglais, texte chanté en français. 54’16’. Cyprès. CYP 8614.

Adolphe-Paul-Ghislain-Joseph Biarent connut en son temps une brillante renommée. Né en 1871 à Frasnes-lez-Gosselies dans la province de Hainaut (Wallonie), mort en 1916, il est aujourd’hui remis à l’honneur notamment par le label Cyprès qui lui a déjà consacré trois enregistrements. Les voici complétés par les Huit Mélodies pour mezzo-soprano présentées en ouverture de ce récital.

Formé à Gand et Bruxelles, Adolphe Biarent se distingue d’abord comme violoncelliste, organiste et pianiste. Élève de Kufferath, il admire Beethoven, Wagner et Franck. La parenthèse du Prix de Rome, qu’il remporte à son premier essai en 1901, succédant à Joseph Jongen et Albert Dupuis, l’année même où Maurice Ravel à Paris reçoit sa seule récompense (un deuxième second Grand Prix !), lui permet de voyager en Europe. Mais toute sa carrière -et même semble-t-il sa vie- seront vouées au Conservatoire de Charleroi et à sa terre natale que célèbre notamment la Rhapsodie wallonne pour piano et orchestre.

Les Huit Mélodies pour mezzo-soprano séduisent de prime abord par leur fluidité naturelle tandis que le choix des poèmes traduit un vif intérêt pour ses contemporains, en particulier, les poètes symbolistes. C’est le cas de Pierre Quillard, érudit dreyfusard et proche des milieux anarchistes, qui lui fournit son premier et délicat Lied. Le second texte, Désir de mort, dû à Jean Lahor, relève de la même inspiration.

En revanche, Le chant de ma mère d’Anatole Le Braz se rattache au Renouveau breton associant des personnalités aussi différentes que l’admirable Jean-Pierre Calloc’h ou le barde Théodore Botrel. Tropisme à l’égard de la Bretagne déjà présent avec Fingal et le poème symphonique ossianique Trenmor. Le compositeur rejoint par là un courant régionaliste commun à toute l’Europe, illustré en France par Vincent d’Indy (Symphonie sur un chant montagnard français dite « cévenole »,1886) ou Isaac Albéniz, (Poème symphonique pour orchestre, Catalonia, 1899) parmi beaucoup d’autres .

Le compositeur se tourne ensuite vers la poétesse roumaine Hélène Vacaresco, écrivain et diplomate, pour peindre les orages de l’âme (Il passa) avant que Maurice Maeterlinck ne traite avec autant de brio que de raffinement le même thème inversé (La Chanson). Subtile également, La lune blanche de Verlaine offre une évasion bienvenue précédant la terrifiante Ballade au Hameau de Paul Fort dont la stylisation exacerbe la cruauté. Enfin, La Chanson du vent qui referme le cycle, sollicite à nouveau le poète Jean Lahor. Les dernières notes résonnent comme un éclat de rire diabolique.

Cette esthétique de tendresse et de mort, caractéristique du début du XXe siècle, inspire au compositeur une musique qui semble sourdre spontanément du cœur, parfois âpre, toujours concise, scandée par des contrastes rythmiques assez marqués. Ainsi de cette litanie de notes répétées, brefs arpèges, pédale grave qui descend brusquement dans la tombe en trois notes (Chanson). Une telle écriture appelle un arrière-plan suggestif certes, mais jamais insistant. L’influence de César Franck affleure parfois, comme une certaine sensibilité mystique. Enfin, l’interprétation se révèle exigeante, l’indépendance de la ligne mélodique supposant une grande sûreté d’intonation.

La mezzo-soprano Clotilde Van Dieren met son timbre pur et chaleureux au service d’une interprétation marquée d’abord par la simplicité ; son engagement, en dépit d’une tessiture limitée, met en valeur la sensibilité singulière du compositeur. De son côté, le piano au son alourdi et confus reste trop distant pour suggérer un imaginaire poétique réellement habité (à l’exception du glas !).

Pour compléter ce programme, plusieurs pages aux styles variés sont réunies autour du thème de l’Orientalisme. Idée attrayante qui rejoint certaines des compositions de Biarent entendues dans les enregistrements précédents (Contes d'Orient). Mais, surtout, heureuse occasion de réécouter des chefs-d’œuvre (La Captive de Berlioz sur un poème de Victor Hugo) ou de découvrir des raretés littéraires ou musicales. Ainsi de La Chanson mauresque de Tunis de Francisco Salvador-Daniel, pionnier de l’ethnomusicologie, successeur d’Auber au Conservatoire et fusillé au moment de la Commune, de La Brise de Saint-Saëns sur un poème d’Armand Renaud, familier de Mallarmé, lui aussi tombé dans l’oubli ou encore d’Alger le soir de Félix Foudrain, organiste, disciple de Massenet, agréable coloriste, pour conclure avec l’étonnante Caravane d’Ernest Chausson. 

Son 8 – Livret 9 – Répertoire 9 – Interprétation 9

Bénédicte Palaux Simonnet

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