Chouchane Siranossian et Andrea Marcon dans Tartini : l’éblouissement

par

Giuseppe TARTINI (1692-1770) : Concertos pour violon et orchestre D. 44, 45, 56, 96 et Concerto en sol majeur. Chouchane Siranossian, violon ; Orchestre baroque de Venise, direction : Andrea Marcon. 2020. Livret en français, en anglais et en allemand. 79.22. Alpha 596.

Il y a des disques dont l’audition vous donne la sensation de l’éblouissement. La gravure de ces cinq concertos pour violon de Tartini est de ceux-là ! Ce CD exemplaire nous fait entrer dans un univers où tout semble à ce point couler de source que cela relève du miracle musical. Les œuvres pour commencer, avec une première mondiale discographique à la clef, celle de ce Concerto en sol majeur non publié, découvert par la musicologue Margherita Canale, qui signe la très intéressante notice du livret. Cette dernière explique qu’il existe une copie manuscrite du XVIIIe siècle, conservée aux archives de la Cappella Antoniana de Padoue et que l’analyse a permis de dater des années de maturité. Mais elle précise aussi que les autres concertos « n’ont pas été publiés du vivant du compositeur : ils appartiennent à différentes périodes de son évolution créatrice et nous sont tous parvenus sous forme de partitions autographes. » On lira avant audition les divers détails de la recherche et les considérations sur le matériau musical de ces différentes pages. 

Giuseppe Tartini, né à Pirano en Istrie, étudie le violon en milieu ecclésiastique, puis le droit à l’Université de Padoue et se trouve mêlé à l’âge de 19 ans à des problèmes judiciaires après un mariage secret avec la protégée d’un Cardinal. Il doit fuir dans un monastère d’Assise, où il participe à l’orchestre de l’opéra. Blanchi, il va se retrouver à Venise, revenir à Padoue avant de voyager à Prague et de s’établir à nouveau sur la rivière Bacchiglione. Violoniste d’exception, il se produit partout dans la Péninsule avant de devoir arrêter ses concerts pour des raisons de santé. Compositeur prolifique (plus de cent concertos pour le violon), mais aussi théoricien à la base de découvertes sur le son et ses interférences, il est connu avant tout par une sonate qui porte le nom de « Trille du diable ». Le résumer à cela serait injurieux, car sa réputation était bien établie de son vivant pour la qualité de sa musique et pour son apport technique, notamment dans la tenue de l’archet. Comme le souligne la notice, « il fut aussi une référence culturelle du monde musical européen de l’époque ». On le comprend aisément en écoutant ce programme à la fois virtuose, brillant, riche au niveau de l’ornementation et de l’harmonie, avec en plus une intelligence confondante de l’accompagnement orchestral.

La Franco-arménienne Chouchane Siranossian est née à Lyon en 1984. Elle s’est formée en Suisse, d’abord à Lyon avec Tibor Varga, puis à Zurich avec Zakhar Bron ; elle devient premier violon de l’Orchestre Symphonique de Saint-Gall. En 2009, elle se perfectionne au Mozarteum de Salzbourg avec Reinhard Goebel qui l’oriente vers la musique baroque, sans qu’elle néglige pour autant les créateurs de notre temps, comme en témoigne son premier CD pour le label Ohms où se côtoient des œuvres d’El Khoury, Tanguy, Rust, Stamitz et Leclair. Chez Alpha, on la retrouve en 2016 dans un programme intitulé « L’Ange et le Diable » où apparaît déjà Tartini, aux côtés de Locatelli, Leclair et Forqueray. Plus récemment, elle a interprété la première version du Concerto pour violon de Mendelssohn avec Anima Eterna Brugge. On a pu l’écouter l’an dernier au Festival de Wallonie dans plusieurs prestations, dont l’une avec Kristian Bezuidenhout. Le livret montre quelques jolies photographies de cette artiste rayonnante ; auprès d’Andreas Marcon, elle semble respirer la joie de vivre et de transmettre le message musical. C’est avec le fondateur de l’Orchestre Baroque de Venise, qui existe depuis 1997 et dont la réputation n’est plus à faire, que l’idée est venue d’enregistrer, en septembre 2019, au Teatro Eden de Trévise, des concertos de Tartini. Une note, signée conjointement par la soliste et le chef d’orchestre, précise : « Nous avons la chance d’avoir une copie manuscrite des ornements originaux des deuxièmes mouvements des concertos D 44 et D 45. Les autres mouvements lents ainsi que les cadences ont été agrémentés en tâchant de rester fidèle au style de Tartini et s’inspirant de sa palette infinie de trilles, fioritures, rubatos, gammes, appoggiatures, messa di voce… ». 

Les partitions choisies sont un bel éventail de la créativité de Tartini à plusieurs moments de son évolution. Ce qui frappe tout au long du parcours, c’est la fraîche élégance des détails, la qualité des contrastes, mais surtout le déploiement du chant violonistique qui entraîne une atmosphère tour à tour intimiste, émotionnelle et finement esquissée. A cet égard, les concertos D 44 et 45, cités plus avant, sont révélateurs de l’attention avec laquelle les protagonistes soignent l’architecture mélodique comme la ligne, que suggèrent les inscriptions autographes de la main du compositeur retrouvées sur les partitions et qui évoquent notamment le poète et librettiste Métastase (1698-1782) : la parole n’est pas loin, et elle se traduit aussi bien dans les murmures de l’archet que dans les accents sonores. On admirera les concertos D 56, aux allures ludiques, et D 96, traversé de courants bondissants ou langoureux. Quant à l’inédit, comme l’explique Margherita Canale, la musicologue qui l’a découvert, il reflète la dernière phase compositionnelle de Tartini par « des accompagnements des passages solistes par les seuls violons I et II (sans basse) ». 

Qu’ajouter de plus ? On sort de cette expérience musicale comblé, ravi, enchanté, avec, répétons-le, la sensation d’avoir vécu un miracle sonore servi par des partenaires exemplaires, dans une prise de son claire et précise. Un moment de grâce, tout simplement…

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

 

 

 

  

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