Sarasate et Paganini en mode violon-guitare
Pablo de SARASATE (1844-1908) : Carmen Fantaisie op. 25 ; Zigeunerweisen op. 20 ; Malaguena op. 21 ; Romance andalouse op. 22 ; Zapateado op. 23 ; Danse espagnole op. 26 n° 7. Nicolo PAGANINI (1782-1840) : Mose-Fantasia sur la corde de sol ; Cantabile ; Centone di sonata n° 1 : Sonate concertante en la majeur ; Romance ; Moto perpetuo op. 11. Kim Sjögren, violon ; Lars Hannibal, guitare. 2020. Livret en anglais. 78.00. Our Recordings 8.226913.
En 1991, la flûtiste Michala Petri, qui a notamment beaucoup joué avec l’Academy of Saint Martin in the Fields, et le guitariste Lars Hannibal se rencontrent et forment un duo ; ils se marient l’année suivante. Ils vont donner ensemble des centaines de concerts. Lorsque leur divorce est prononcé en 2010, ils décident de poursuivre leur collaboration musicale. Dans le cadre de celle-ci, ils avaient fondé en 2006 leur propre label OUR Recordings. Dans le catalogue, distribué par Naxos, Michala Petri est souvent mise en évidence, mais le travail commun avec son ex-mari guitariste est aussi très présent. Au cours des années 1980, Lars Hannibal avait formé un autre duo, cette fois avec le violoniste Kim Sjögren, un partenariat qui a duré une quinzaine d’années au cours desquelles les deux artistes ont donné plusieurs centaines de concerts. Le souvenir de cette association est rappelé dans le présent CD, dans des prises de son qui se situent entre 1983 et 1988.
Né en 1955, le violoniste danois Kim Sjögren étudie à l’Académie Royale de Musique d’Aarhus. A l’âge de 22 ans, il est membre de l’Orchestre Royal danois dont il devient le plus jeune konzertmeister. Ce virtuose qui est aussi compositeur pour le cinéma, la télévision et le théâtre, fonde en 1997 son propre ensemble, The Little Mermaid Orchestra (« L’Orchestre de la Petite Sirène »), très apprécié au Danemark. Pédagogue, investi en musique de chambre, il enregistre les grands concertos du répertoire : Bruch, Lalo, Mozart, Beethoven…, mais aussi les compositeurs danois pour Naxos, EMI ou Chandos. Le guitariste danois Lars Hannibal, né en 1951 à Aarhus, se forme lui aussi dans sa ville natale, et se perfectionne à La Haye pendant trois ans. Cet artiste, fan de Bob Dylan, des Beatles et des Rolling Stones, va rencontrer Michala Petri, comme précisé plus avant.
Le présent CD est divisé en deux parties. La première est dévolue à Pablo de Sarasate et comprend deux partitions très populaires, que tous les grands violonistes ont inscrites à leur répertoire. La Carmen Fantaisie de 1882 sur des thèmes de l’opéra de Bizet combine la virtuosité à la pyrotechnie et à des moments plus tendres. Les Zigeunerweisen de 1878 ne cachent pas leur influence gitane. Quant à la série de danses espagnoles qui complètent ce mini-portrait Sarasate, on y trouve le fameux Zapateado inspiré du flamenco et la Malaguena, proche de l’improvisation, la Romance andalouse gonflée de sève populaire et la Danse op. 26, elle aussi de source andalouse, celle du fandango. Les deux partenaires ont le bon goût de ne pas faire de ces morceaux des démonstrations gratuites d’exhibitionnisme. La virtuosité est certes présente, mais la finesse et la poésie sont de rigueur. Est-ce la présence de la guitare, empreinte de pudeur et de retenue, qui crée cette ambiance à la fois joyeuse et lyrique ? Le résultat est en tout cas très convaincant. On notera que Lars Hannibal s’est occupé lui-même des arrangements pour son instrument. La gravure date d’août 1985, et elle bénéficie d’une belle définition sonore. Sjögren joue sur un Stradivarius de 1714, avec un archet parisien Lamy de 1870. Il ne verse jamais dans l’excès, son Sarasate demeure un virtuose à visage humain, au milieu des fascinations mélodiques. Lars Hannibal utilise une guitare de 1983 réalisée par la maison de lutherie allemande Kazuo Sato.
La seconde moitié du CD est réservée à Paganini, qui a été aussi un guitariste de premier ordre. La Mose-Fantasia sur la corde de sol qui ouvre ce portrait du compositeur date de l’époque où il vit en 1814 à Gênes une aventure amoureuse avec une jeune fille. Accusé d’enlèvement, il est mis en prison pour quelques jours ; il aurait conservé son violon pendant son incarcération. Cette pièce démonstrative, combinée à des accents mélancoliques, serait le reflet de ses états d’âme. On entend aussi le populaire et spectaculaire Moto perpetuo op. 11, un Cantabile langoureux, la Sonate concertante op. 2, œuvre virevoltante des vingt ans de Paganini, et la gracieuse et colorée Centone di Sonata de la fin des années 1820. Un bel éventail de l’art du sorcier du violon, servi, encore une fois, sans excès ni forfanterie, mais avec la volonté de servir le compositeur sans l’utiliser à son profit. Lars Hannibal a l’occasion de se faire entendre seul dans une délicate Romance, gracieuse et rêveuse. Les enregistrements proviennent de deux sessions, l’une en novembre 1983, l’autre en avril 1988. Kim Sjögren utilise trois instruments : la Stradivarius déjà cité, un Guadagnini de 1756 et un Poulsen de 1926, dont on apprécie le velouté dans la Mose-Fantasia. De son côté, Hannibal joue sur le Sato mentionné, mais aussi sur une guitare Robert S. Ruck de 1971. Il a l’art d’offrir au violoniste un support de qualité, qui fait comprendre que ce duo complice a suscité beaucoup d’enthousiasme lors des centaines de concerts donnés ensemble. Voué à deux maîtres suprêmes du violon, ce beau CD est en plus un bel hommage aux deux partenaires.
Son : 8 Livret : 9 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix