Christian Zacharias : un impeccable retour à Haydn

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Joseph Haydn (1732-1809) : Sonates pour clavier Hob. XVI : 21 en do majeur, 44 en sol mineur, 39 en sol majeur et 46 en la bémol majeur. Christian Zacharias, piano. 2021. Notice en en anglais, en français et en allemand. 69.04. MDG 940 2257-6.

Le pianiste et chef d’orchestre allemand Christian Zacharias (°1950), qui a été second lauréat du Concours Van Cliburn en 1973 avant de remporter le Concours Maurice Ravel à Paris deux ans plus tard, a mené une carrière au cours de laquelle il a servi avec bonheur les compositeurs classiques et romantiques, et tout particulièrement Mozart et Schubert. Il a en revanche peu fréquenté Haydn. Les mélomanes à la mémoire aiguisée se souviendront néanmoins d’un excellent 33 Tours qu’il avait signé pour EMI à la fin des années 1970 où figuraient les Sonates Hob. XVI : 20 et 32, ainsi que les Variations Hob. XVI : 6. Sur la pochette, on découvrait le visage juvénile d’un artiste à l’aube d’un parcours qui allait conjuguer prestations en soliste et animation de formations orchestrales. Quatre décennies plus tard, Zacharias revient à Haydn en solo, et l’on constate que l’expression de son visage est toujours aussi franche et ouverte, deux adjectifs que l’on peut aussi attribuer au programme offert aujourd’hui, qui fait regretter que l’auteur de La Création n’ait pas retenu l’attention du virtuose de façon régulière. 

Les quatre sonates ici proposées ont été composées pendant la période où Haydn a été maître de chapelle du Prince d’Esterhazy, pour le compte duquel il œuvra dès 1761 pendant une trentaine d’années. Ecrites entre 1767 et 1780, elles ont, comme l’indique le signataire de la notice, un trait commun qui consiste en leur idiome, au caractère de monologue très prononcé : un ton badin presque chantant, en particulier au niveau des voix supérieures. Le commentateur, qui se lance dans une explication que le mélomane francophone découvrira (saluons le label allemand MDG qui se donne la peine d’un texte en notre langue), ajoute que l’on y perçoit l’influence, l’héritage de Carl Philipp Emanuel Bach.

On sait que Haydn a laissé un catalogue important pour le clavier qui comprend non seulement plus de soixante sonates, mais aussi des concertos, des fantaisies ou des variations. Un riche répertoire au sein duquel Zacharias a voulu sertir des bijoux d’une grande inventivité. Des constantes apparaissent dans l’art interprétatif du virtuose allemand : une liberté dans le discours, un équilibre dans l’approche de la sonorité et, surtout, une fluidité qui n’est jamais démentie, acquise sans doute, au fil du temps, par une pratique mozartienne dont Zacharias est un transmetteur de grande qualité. 

On retrouve tout cela dans les quatre partitions du programme. Tout d’abord dans la Hob. XVI : 21 avec son Allegro incisif, son touchant Adagio et son Presto primesautier. Alors que les autres pages sont en trois mouvements, le Hob.XVI : 44 qui suit n’en comporte que deux. Cette sonate date sans doute du début des années 1770, elle se développe dans un climat plus intimiste, très chantant, le Moderato initial se révélant assez nostalgique alors que l’Allegretto, qui prend des allures de menuet, déploie un rythme charmant. Nous avouons un faible particulier pour cette œuvre qui est la plus courte du récital (treize minutes) : Zacharias l’aborde avec une lumineuse souplesse.

Une chaleureuse ampleur envahit le Hob. XVI : 39 qui débute par un Allegro con brio généreux avec des variations de tonalité, se prolonge dans un Adagio qui avoue son lyrisme, puis dans un alerte Prestissimo. Quant au Hob. XVI : 46, l’un des plus joués par les pianistes, il offre un brillant Allegro moderato, où la vitalité le dispute aux effets de contrastes, alors que l’Adagio est d’une pureté qui ne cesse de s’épanouir. Le Presto final est à l’avenant, d’une fluidité et d’un ton badin qui penche vers l’humour autant que vers l’élégance.

Voilà un superbe programme qui fait regretter, répétons-le, que Christian Zacharias n’ait pas plus enregistré Haydn au cours de sa déjà longue carrière. Car il y a plus que de la compréhension entre le compositeur et son interprète : une complicité de chaque instant. On ne peut que souhaiter que l’artiste prenne encore le temps de se pencher sur les partitions d’un créateur qu’il appréhende si bien. On notera la belle profondeur sonore, teintée de délicatesse, du Grand Steinway de concert « Manfred Bürki » daté de 1901. Il participe grandement à la réussite de cette belle affiche Haydn.

Son : 10  Notice : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix    

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