Christina Pluhar et L’Arpeggiata :  un programme autour de la crise climatique

par https://www.crescendo-magazine.be/positive-effects-of-online-dating/

Terra Mater. Airs chantés et musique instrumentale de Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704), John Bennett (c. 1575-après 1614), Tarquinio Merula (1595-1665), Thomas Arne (1710-1778), Georg Caspar Schürmann (1672-1751), George Frideric Handel (1685-1759), Pietro Torri (c. 1650-1737), Claudio Monteverdi (1567-1643), Giovanni Bononcini (1670-1747), Francesco Gasparini (1661-1727), Giulio Taglietti (c. 1660-1718) et eden ahbez (1908-1995) ; ballades et danses traditionnelles anglaises. Malena Ernman, mezzo-soprano ; L’Arpeggiata, direction et théorbe Christina Pluhar. 2024. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes des airs insérés avec traductions. 55’ 24’’. Erato 5021732533753.

Depuis qu’elle a fondé en 2000 l’ensemble L’Arpeggiata, voué prioritairement à la musique baroque, la guitariste, gambiste et théorbiste autrichienne Christina Pluher (°1965), née à Graz où elle a étudié, ne cesse de multiplier des projets variés et originaux, centrés sur un monde musical poétique et festif, sensuel et jouissif, qui ne dédaigne pas la musique traditionnelle ou l’improvisation. Parmi ces projets, l’exploration musicale de la Méditerranée, les oiseaux perdus du Nouveau-Monde, le thème de la folie, des improvisations autour de Purcell, une relecture du mythe d’Orphée ou un regard sur des compositrices du XVIIe siècle, pour ne citer que cela, ont confirmé le caractère pittoresque et plein de curiosité de la démarche artistique, que les colonnes de Crescendo ont soulignée à plusieurs reprises. Cette fois, c’est la crise climatique qui est en toile de fond d’un programme destiné, comme l’explique Christina Pluhar elle-même, avec des références scientifiques qui débutent au XIXe siècle, à attirer l’attention sur les répercussions qu’elle entraîne sur la nature, la faune et la flore, mais aussi pour l’homme. Un programme, qui, au-delà du message incitant à la préservation, est un parcours recherché et séduisant.    

En charge des airs chantés (dix au total), la mezzo-soprano suédoise Malena Ernman, née à Uppsala (°1970), s’acquitte de sa tâche avec beaucoup de présence et de finesse. Cette artiste éclectique, qui a servi aussi bien Purcell, Handel et Cavalli que Mozart, Rossini ou Johann Strauss, a été la Julie de Philippe Boesmans lors de la création de cet opéra à la Monnaie de Bruxelles en 2005, sous la direction de Kazushi Ono. Mais elle s’est aussi illustrée dans le cabaret, la comédie musicale, le jazz ou la musique pop. En 2009, elle a même représenté la Suède au Grand Prix de l’Eurovision. Sa présence est emblématique dans ce projet Terra Mater ; Malena Erdman est en effet la mère de la jeune militante pour le climat Greta Thunberg, à laquelle elle a promis, il y a une dizaine d’années, de ne plus prendre l’avion pour se rendre à ses concerts, mais de se déplacer toujours en train.

Christina Pluhar écrit à son sujet : sans même parler de la beauté de sa voix et de sa virtuosité impressionnante, elle semble avoir dans son larynx une kyrielle d’instruments différents et dans son cœur une passion pour des musiques nombreuses et diverses. Cette affirmation se confirme dans des airs de Bennett ou Thomas Arne ou dans des ballades traditionnelles anglaises du XVIIe siècle, ainsi que dans des pages italiennes de Bononcini, Gasparini ou Orlandini que nous découvrons avec ravissement, car la voix est souple, chaude et se prête avec aisance à toutes les inflexions demandées. Elle témoigne ainsi de la circulation régulière interpays des musiciens et de leurs œuvres de l’époque, dont on lira les développements dans la notice très détaillée du musicologue padouan Alessio Ruffatti. Malena Erdman manie aussi bien le charme poétique que le divertissement populaire, les accents shakespeariens que les parodies dans lesquelles se glissent des allusions sans équivoque à la nature, aux fruits et aux animaux. On retrouve certains de ceux-ci (coucou chez Arne et Biber, poulet chez Merula, grenouille encore chez Biber, rossignol chez Torri, cygne chez Orlandini), dans des images qui parsèment les quarante pages en couleurs d’une notice très attrayante.  

La cantatrice sait aussi se révéler nymphe mélancolique, qui gémit pour son bien-aimé avant d’expirer, dans l’air poignant de Handel Twas When the Seas Were Roaring HWV 228 n° 19, ou tout à fait inattendue dans la conclusion du programme qui offre le standard de jazz de 1947 Nature Boy, qui est de la main du précurseur du mouvement hippie eden ahbez (ce pseudonyme de l’Américain George Alexander Aberle s’écrit sans majuscules), et que chanta Nat King Cole. Maintes fois adapté, notamment pour Ella Fitzgerald ou Céline Dion, ainsi qu’au cinéma, cette chanson du XXe siècle interpelle, après les évocations italiennes du XVIIe siècle, mais « le beau regard étrange et doux » d’un garçon qui passe et évoque la nécessité d’aimer et d’être aimé en retour, soulève une émotion que Malena Ernman souligne avec une chaleureuse intensité.   

Dans le reste du programme, où la nature est omniprésente avec bruitages circonstanciés, des pièces instrumentales variées complètent ce manifeste musical, dans un kaléidoscope d’allusions jouissives. Voilà une manière particulièrement réconfortante de rappeler, par des rythmes dynamiques et des atmosphères lyriques, l’affirmation de Christina Pluhar : nous devons faire tout notre possible pour préserver la nature dans toute sa beauté. Les dix musiciens de L’Arpeggiata, dont on est heureux de découvrir le portrait en couleurs de chacun d’eux avec leurs instruments, s’en donnent à cœur joie dans cet album stimulant.

Son : 10    Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix  

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