Didon et Énée de Purcell à l’Opéra-Comique en 2008 : réédition sur DVD

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Henry Purcell (1659-1695) : Didon et Énée, opéra en un prologue et trois actes. Malena Ernman (Didon), Christopher Maltman (Énée), Judith van Wanroij (Belinda), Hilary Summers (la Magicienne), Lina Markeby (la Seconde femme), Céline Ricci (la Première sorcière), Ana Quintans (la Deuxième sorcière), Marc Mauillon (l’Esprit), Damian Whiteley (le Matelot), Fiona Show (la comédienne du Prologue) ; Les Arts Florissants, direction William Christie. 2008. Notice et synopsis en anglais et en français. Sous-titres en anglais, en français, en allemand, en italien, en japonais et en coréen. 66.00. Un DVD Naxos 2. 110709. Aussi disponible en Blu Ray.

Après Carmen de Bizet, Mireille de Gounod, Atys de Lully ou Ciboulette de Reynaldo Hahn, Naxos poursuit la réédition de productions de l’Opéra-Comique, parues précédemment sous étiquette Fra Musica. Cette fois, c’est le tout premier opéra de la série, Didon et Énée, filmé les 7 et 9 décembre 2008, qui est mis à l’honneur. Ce spectacle est un véritable petit bijou théâtral et musical. Hélas, comme dans les autres rééditions, le bonus, qui consistait en un entretien avec William Christie et Deborah Warner, n’est pas repris. C’est vraiment dommage, car ce moment était des plus intéressants. 

La notice d’Agnès Terrier en reprend en quelque sorte la substance, en expliquant que pendant longtemps on a estimé que, présentée en décembre 1689 dans une institution pour jeunes filles, l’œuvre avait été commanditée par Josias Priest, directeur de ce pensionnat et maître de ballet renommé. Mais Didon et Énée, qui a suivi Vénus et Adonis de John Blow, joué en 1683 à la Cour de Charles II, aurait pu être présenté l’année suivante devant le souverain, disparu au début de 1685. Quoiqu’il en soit, la remarquable mise en scène de Deborah Warner invite sur le plateau à plusieurs reprises un essaim de jeunes demoiselles qui rappellent, dans une animation enjouée, l’ambiance que l’on imagine dans l’établissement pédagogique de Priest. Cela ajoute une fraîcheur compensatoire à l’action dramatique bien connue. Celle-ci va de la déclaration joyeuse d’un amour réciproque entre Didon et Énée jusqu’à la rupture brutale du couple et au suicide de l’héroïne après le départ de son bien-aimé, suite aux machinations d’une magicienne et de deux sorcières et à l’intervention d’un esprit maléfique qui, après un orage, persuadera le Troyen de reprendre la mer. Tout cela au cœur d’un ensemble où la concision fait merveille : une petite heure de spectacle, riche en airs, récitatifs, chœurs et danses, dans une atmosphère qui fascine d’un bout à l’autre.

On sait que la musique du prologue n’existe plus. Dans catta production, le texte du prologue, issu du livret du poète anglo-irlandais Nahum Tate (1652-1715) d’après L’Énéide de Virgile, a été remplacé par trois textes lyriques, successivement de Ted Hughes (1930-1998) -suspecté d’être à l’origine du suicide de son épouse, la poétesse Sylvia Plath, puis de celui de sa maîtresse Assia Wevill, dans des circonstances identiques-, de Thomas Stearns Eliot (1888-1956), poète spiritualiste qui a souligné la douleur de son époque en 1922 dans The Waste Land, et de l’Irlandais William Butler Yeats (1865-1939), Prix Nobel de littérature 1923. Ce choix qui pourrait paraître insolite est au contraire judicieux pour installer un climat qui annonce la tragédie à venir, ce que met en évidence de façon transparente l’allusion aux soupçons portés à l’égard de Ted Hughes. Ces textes sont admirablement récités par la comédienne Fiona Show, qui a joué dans la saga Harry Potter mais a aussi mis en scène Britten ou Massenet à Glyndebourne. Sa collaboration régulière avec Deborah Warner la désignait idéalement pour ce prologue qu’elle anime avec une réelle force théâtrale.  

L’action musicale se déroule ensuite dans un décor sobre, constitué par un lourd rideau de fond fait de longs fils perlés, avec un portique en son milieu d’où entrent et sortent les protagonistes, petites filles comprises. Les événements vont se succéder au centre du plateau, dans un espace déterminé, autour duquel les chœurs sont installés. Des allusions à la nature lors du deuxième acte au cours duquel se déroule un orage, et une immense toile tendue évoquant les préparatifs du départ en mer au troisième acte complètent l’agencement. C’est esthétiquement très réussi, d’autant plus que les prises de vue de François Roussillon sont excellentes, avec des lumières dosées. Les costumes proposent un amalgame entre période contemporaine (les choristes et les jeunes demoiselles) et époque de Purcell (les principaux protagonistes), la robe élégante portée par Malena Ernman mettant en valeur sa silhouette et sa douce blondeur.

Dans le bonus que Fra Musica présentait en 2009, William Christie avait évoqué son choix pour la composition de l’effectif instrumental, celle d’origine n’étant pas établie. Il a décidé l’ajout de flûtes, hautbois, basson et théorbe, ce qui donne à l’ensemble de l’orchestration un éblouissant contexte, coloré et chaleureux. L’enthousiasme général est au rendez-vous, il est palpable, de même que l’investissement des remarquables chœurs. Si l’on ajoute l’une ou l’autre acrobatie effectuée avec art et un plateau vocal de premier ordre, on peut réaliser à quel niveau on se situe. Dans le rôle de Didon, la mezzo suédoise Malena Ernman crève l’écran. Sa voix, à la fois sombre et profonde, traduit aussi bien les émois de l’amour que la colère face à la trahison de celui qu’elle aime et qui l’abandonne. Excellente comédienne, elle exprime sa capacité tragique à la fin de l’opéra. Sa mort est un moment bouleversant dans le geste, l’attitude et le chant ; son Remember me donne des frissons. A ses côtés, l’Énée du baryton anglais Christopher Maltman est bien en place pour cette prestation somme tout assez courte, qu’il endosse avec l’ampleur nécessaire, y compris dans les hésitations qu’il exprime lorsqu’il est poussé à quitter Didon. La soprano hollandaise Judith van Wanroij est Belinda, la digne sœur de l’héroïne, qui compatit à ses sentiments avec la justesse requise. On se délecte avec les épisodes satiriques où évoluent la Magicienne (la mezzo Hilary Summers) et les deux sorcières (les sopranos Céline Ricci et Ana Quintans). Méchantes et destructrices à souhait, elles composent un numéro délirant au cours duquel les contorsions, les inconvenances, l’addiction à l’alcool et à la cigarette sont traitées jusqu’à l’exagération, avec une ironie sardonique qui fait mouche. Les autres rôles, Marc Mauillon en Esprit, Damian Whiteley en Matelot sont bien attribués, une mention particulière allant à l’émouvante Lina Markeby en fidèle suivante.   

Cette interprétation magnifique méritait largement cette réédition. Mais l’édition Fra Musica présentait des avantages non négligeables : au-delà du bonus de 23 minutes non repris ici, l’objet était en lui-même un régal pour l’œil et le toucher : un emboîtage, une somptueuse gravure en couverture, de superbes photographies en couleurs insérées dans une notice sous format de livre, une présentation en plusieurs langues et la liste complète de tous les participants, même les acrobates et les demoiselles. On ne retrouve pas chez Naxos le même niveau de présentation, les photographies en couleurs étant en nombre limité ; quant au tableau d’honneur de tous les partenaires, il a disparu. Ceux qui possèdent le DVD Fra Musica le conserveront précieusement. Les autres mélomanes salueront comme il se doit l’arrivée de la réédition Naxo, qui, malgré ses éminentes qualités, se voit privé du Joker en raison de l’absence du bonus initial. 

Note globale : 10

Jean Lacroix 

 

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