Christophe Rousset est le maître d’œuvre  d’une nouvelle gravure d’Acis et Galatée de Lully 

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Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Acis et Galatée, pastorale héroïque en un prologue et trois actes. Ambroisine Bré (Galatée, Diane), Bénédicte Tauran (L’Abondance, Scylla, une Naïade), Robert Getchell (Comus, Télème), Cyril Auvity (Apollon, Acis), Deborah Cachet (Une Dryade, Aminte, une Naïade), Philippe Estèphe (Un Sylvain, Neptune), Edwin Crossley-Mercer (Polyphème), Enguerrand de Hys (Tircis, le Prêtre de Junon) ; Chœur de chambre de Namur ; Les Talens Lyriques, direction Christophe Rousset. 2021. Notice en anglais et en français. Texte complet du livret en français, avec traduction anglaise. 111'00''. 2CD CD Aparté AP269.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Acis et Galatée aura dû attendre près de vingt-cinq ans pour trouver une succession à l’équipe formée par Marc Minkowski à la tête des Musiciens du Louvre et par des chanteurs d’excellence comme Véronique Gens, Jean-Paul Fouchécourt, Laurent Naouri ou Mireille Delunsch (Archiv). Voici enfin une nouvelle version de cette pastorale héroïque de Lully, dernier opéra achevé par ce dernier. Le défi est de taille, car la gravure de 1998 était une parfaite réussite ; il est tenu par une équipe instrumentale et vocale menée par Christophe Rousset, qui est un familier de l’œuvre du compositeur du XVIIe siècle. 

Le 6 septembre 1686, le Duc de Vendôme Louis-Joseph de Bourbon et ses amis reçoivent en grandes pompes le fils du Roi Soleil, le Grand Dauphin Louis, qui aura bientôt 25 ans, au Château d’Anet, en Eure-et-Loir, une propriété qui a appartenu au siècle précédent à Diane de Poitiers. Une belle occasion pour ces aristocrates de s’attirer les faveurs du souverain et de sa descendance, même si les lieux ne sont pas vraiment adaptés pour une représentation de ce genre, faute d’équipements et d’une machinerie adéquate. Mais la musique légère de Lully convient bien à la circonstance. 

Jean Galbert de Campistron (1656-1723), auteur de tragédies jouées à la Comédie-Française, a succédé à Pierre Quinault comme librettiste auprès de Lully ; il s’inspire du Livre XIII des Métamorphoses d’Ovide. L’intrigue met en scène la nymphe Galatée, amoureuse du berger Acis, mais convoitée par le cyclope Polyphème. Dans sa fureur de ne pas être le préféré, le géant écrase Acis sous un rocher. Neptune est touché par le désespoir de Galatée et transforme Acis en fleuve ; l’union aura bien lieu. Au couple principal, s’ajoutent celui des confidents, Scylla et Télème, et des personnages mythologiques, notamment Diane (un rappel subtil de Diane de Poitiers) qui va lancer le Prologue (« Qu’avec plaisir, je reviens en ces lieux,/Que jadis mon bonheur rendit si glorieux »). Comme il est de coutume, celui-ci, en un peu plus de vingt minutes, glorifie le souverain, mais aussi son premier-né. Le salut au Dauphin est éloquent : « Le Fils du plus puissant, du plus juste des Rois »). On baigne dans le bonheur et l’exaltation du moment, avec une ouverture à la française, reprise en conclusion de ce Prologue. L’ambiance globale de splendeur et de finesse, tout comme l’action, entre drame et sentiments fluides, au cœur d’une narration menée avec vivacité, sont bien accueillies à Anet. L’œuvre va être reprise à de multiples occasions dans les décennies qui suivent, tant en France qu’en Europe ; Madame de Pompadour fera même partie de la distribution d’une version abrégée. 

On est en présence d’une partition dynamique, qui mélange la souplesse et l’élégance et qui est bien caractérisée au niveau des personnages. Jérôme de La Gorce, dans sa biographie sur Lully (Fayard, 2002, p. 709) précise : A l’instar des tragédies en musique, Acis et Galatée présente une succession de scènes permettant une alternance heureuse d’airs, de récitatifs, d’ensembles vocaux et de pièces instrumentales variées, avec notamment, à chaque acte, un divertissement où interviennent des chœurs et des danses. 

Dans la présente version, on n’aura que des éloges pour le Chœur de Chambre de Namur, aux interventions impeccables. Par contre, on émettra quelques réserves de détails, tant sur le plan orchestral que du côté des solistes du chant. Si Christophe Rousset souligne le déroulement avec son habituelle sensibilité, il semble parfois quelque peu endiguer le côté tragique, voire ardent, du récit, soucieux peut-être de réaliser un équilibre entre les couleurs et les accents, qui jaillissaient pourtant avec plus de spontanéité sous la direction de Minkowski. Cela donne une atmosphère souvent lisse, que l’on aimerait mieux envahie par des inflexions plus sensuelles, dont les Talens Lyriques sont souvent de savants transmetteurs. La fameuse magnifique passacaille qui clôture la partition est néanmoins très convaincante, solistes et chœurs libérant ici tout leur potentiel. On adhère à l’exhortation : « Sous ses lois l’Amour veut qu’on jouisse/D’un bonheur qui jamais ne finisse ;/Tendres cœurs venez tous/En jouir avec nous. »

Sur le plan des solistes, on mettra en évidence le baryton-basse Edwin Crossley-Mercer, impressionnant et menaçant Polyphème, et la mezzo-soprano Ambroisine Bré, à l’expressivité délicate et décidée à la fois ; c’est une excellente Diane et une émouvante Galatée. Le ténor Cyril Auvity assure les rôles d’Apollon et d’Acis ; ses aigus laissent parfois à désirer, ce qui ne l’empêche pas de se révéler charmeur, comme dans la scène 4 de l’Acte II : « Après le don de votre cœur/Aurais-je encore des vœux à faire ? ». De son côté, le baryton Philippe Estèphe aurait peut-être pu accentuer la majesté de la stature salvatrice de Neptune. Les autres interprètes, dont Deborah Cachet, servent de façon appropriée cette partition séduisante, non dépourvue d’humour, riche en contrastes et en intensité. On appréciera la qualité globale de la diction des interprètes, pas toujours aussi limpide que dans la version de Minkowski, mais qui se révèle en situation.

Les mélomanes qui possèdent la version Archiv de Minkowski la conserveront comme un objet précieux. Ils ne feront cependant pas la fine bouche face à cette nouveauté bienvenue. Car Lully, c’est toujours du bonheur, et Christophe Rousset en procure ! 

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix     

 

 

 

  

 

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