Pour danser la musique de Lully, le Roi-Soleil accompagnait aussi Madame,  sa belle-soeur

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Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Ballet royal de la naissance de Vénus, ballet à douze entrées LWV 27. Airs et extraits du Ballet royal des amours déguisés LWV 21, de Psyché LWV 45, du Carnaval LWV 52 et du Bourgeois gentilhomme LWV 43. Déborah Cachet et Bénédicte Tauran, dessus ; Ambroisine Bré, bas-dessus ; Cyril Auvity, haute-contre ; Samuel Namotte, taille ; Guillaume Andrieux et Philippe Estèphe, basses-tailles ; Chœur de chambre de Namur ; Les Talens Lyriques, direction Christophe Rousset. 2021. Notice en anglais et en français. Livret en français, avec traduction anglaise, et en italien, avec traductions française et anglaise. 73.00. Aparté AP255.

Sommets du genre, les ballets et comédies-ballets créés par Lully entre 1657 et 1670 seront pour le compositeur un réservoir musical dans lequel il puisera ensuite pour ses tragédies lyriques. On sait qu’à la Cour du Roi-Soleil, le jeune souverain, entouré de princes et de membres de la noblesse qui se joignaient aux professionnels de la danse, se prêtait volontiers à l’exercice. Mais à cette activité ludique, le chant venait s’ajouter, donnant ainsi à la poésie une place en vue. On lira dans l’instructive et copieuse notice, signée par la musicologue Catherine Massip, l’historique du genre, qui remonte à la fin du XVIe siècle et dont la tradition a été bien établie sous Henri IV et Louis XIII. 

Dans le chef de Louis XIV, la passion de la danse naît très tôt, dès 1651 ; il a alors treize ans. Il incarnera, au cours des vingt années qui vont suivre, une septantaine de rôles différents, dans des personnages glorieux, et fera l’admiration de ses contemporains. L’indispensable Lully propose un premier ballet, dont il ne reste que des bribes, dès 1654. Les autres vont se succéder, de façon régulière. Le compositeur utilise le schéma du ballet à entrées, une danse ou plusieurs associées, ou une pièce vocale associée à une ou plusieurs pages instrumentales. L’orchestre est en cinq parties de cordes, avec présence occasionnelle d’instruments à vent. Lully, habile à manier les architectures qui seront sa marque de fabrique ultérieure, sait combiner avec éloquence l’orchestre, les voix solistes et la masse chorale. Le Ballet royal de la naissance de Vénus est créé à Paris, au Palais-Royal, le 26 janvier 1665, en hommage à Madame, la belle-sœur du roi, Henriette d’Angleterre alors âgée de 21 ans. Les forces artistiques sont sollicitées, au nombre desquels l’ingénieur Carlo Vigarani (1637-1713) et le poète Isaac de Benserade (1612/13-1691), doué et fécond dans le genre précieux et apprécié par les milieux aristocratiques. Le ballet connaît le succès, est représenté à neuf reprises, ce qui permet à la foule d’apprécier la fraîcheur de Madame qui, dans le rôle de Vénus, est entourée de douze danseuses. Son époux, Philippe d’Orléans, fait partie des interprètes et le Roi son beau-frère fera lui-même une apparition en Alexandre le Grand. 

Le sujet est centré sur l’évocation de couples mythiques comme Apollon et Daphné, Europe et Jupiter, Ariane et Thésée ou Orphée et Eurydice. Les aspects vocaux sont bien présents. Le tout se compose de deux parties de six entrées chacune. Un « Dialogue des trois grâces » qui ouvre la seconde séquence est de la main de Michel Lambert, le beau-père de Lully. On y apprécie le dialogue entre les voix splendides de Déborah Cachet, Bénédicte Tauran et Ambroisine Bré. La musique de ce ballet est gracieuse et révélatrice de ce type de divertissement particulièrement prisé à l’époque et auquel toutes les faveurs (décors, costumes, déploiements fastueux) étaient accordées. De mêmes soins ont été apportés à cet enregistrement, réalisé les 11 et 12 janvier 2021 à la Cité de la musique-Philharmonie de Paris par les spécialistes du baroque que sont les Talens lyriques, dont on admire toujours la vitalité ainsi que la tenue et le raffinement instrumental, si bien ciselés par Christophe Rousset. On apprécie sans réserve les parties chantées dont, après l’ouverture de la première, un « Chœur des Tritons » qui met en évidence Guillaume Andrieux (Neptune) puis Bénédicte Tauran (Thétis), mais aussi Cyril Auvity et Samuel Namotte (1er et 2e Tritons) et le Chœur de Chambre de Namur, dont il ne faut plus vanter les mérites, confirmés dans « Quelle gloire pour la mer », qui annonce la venue de la déesse. Déborah Cachet, dont la souplesse expressive fait merveille, est très émouvante en seconde partie, dans une Plainte d’Ariane qui déplore la lâcheté et la perfidie de l’amant (« Rochers, vous êtes sourds »). 

On saluera l’initiative de prolonger le Ballet Royal de la naissance de Vénus, dont le minutage est d’un peu moins de cinquante-cinq minutes, par des compléments additionnels qui consistent en extraits de quatre autres partitions -les airs chantés de trois d’entre elles sont en italien- qui se situent entre 1664 (Ballet des Amours déguisés) et 1675 (Le Carnaval), avec Le Bourgeois gentilhomme de 1670 (une Chaconne d’Arlequin instrumentale qui clôt le programme) et Psyché de 1671. On y retrouve, selon les moments, la majorité des solistes vocaux. On sera ému par l’expressivité d’Ambroisine Bré dans les reproches douloureux faits par Armida à Rinaldo qui l’a abandonnée (« Ah ! Rinaldo, e dove sei ? »), et on savourera les effets comiques du Barbacola de Philippe Estèphe dans « Son dottor per occasion », un air dont Lully se chargea lui-même lors de la création. Mettons aussi au crédit du label Aparté de belles photographies de tous les protagonistes de cet enregistrement. Il est plaisant de pouvoir mieux connaître les visages des artistes qui nous enchantent. Sauf erreur, il s’agit d’une première discographique de ce ballet dédié à Marie-Henriette.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

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