Concertos pour piano et pour violoncelle  de Feliks Nowowiejski en première mondiale

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Feliks Nowowiejski (1877-1946) : Concerto pour piano et orchestre ré mineur op. 60 ‘Slave’ ; Concerto pour violoncelle et orchestre op. 55. Jacek Kortus, piano ; Bartosz Koziak, violoncelle ; Orchestre Philharmonique de Poznan, direction Lukasz Borowicz. 2022. Notice en polonais et en anglais. 76.30. Dux 1883.

Natif du comté d’Olzstyn, le Polonais de culture allemande Feliks Nowowiejski n’est guère connu au-delà des frontières de son pays. Pourtant, son oratorio Quo vadis ? créé en 1909 et inspiré par le roman d’Henryk Sienckewicz, Prix Nobel 1904, a connu un succès phénoménal dans toute l’Europe et aux Etats-Unis jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il en existe un enregistrement chez CPO qui révèle toute la grandeur de cette histoire qui se déroule au temps des persécutions des premiers chrétiens. Bien réhabilité par le label Dux qui a, lui aussi, gravé Quo Vadis ? -avec Alexandra Kurzak dans la distribution- et d’autres partitions, Nowowiejski avait retenu notre vive attention le 18 septembre 2022, grâce à la découverte d’un autre oratorio, remarquable : Le Retour du fils perdu (1902). Cette fois, le label polonais ouvre la porte à deux concertos de ce compositeur qui fut notamment un élève de Max Bruch, se produisit comme organiste et chef d’orchestre et fut un pédagogue recherché. 

Jusqu’aux années 1920, Nowowiejski est un ardent représentant du néo-romantisme. Mais son style évolue à cette époque et suit d’autres voies, notamment celle de la volonté d’une culture nationale (la Pologne est devenue indépendante depuis peu). Il prend des positions nettes à cet égard et s’investit dans l’organisation de concerts ; il met en valeur ses contemporains nationaux ou internationaux, comme Ravel ou Strawinsky, et est tenté par de nouvelles sonorités. La période de l’entre-deux-guerres n’est guère prolixe en compositions concertantes destinées au violoncelle. Le Concerto de Nowowiejski date de 1938 ; il est dédié au virtuose Dezyderiusz Danczowski (1891-1950), un élève à Leipzig de Julius Klengel (1859-1933), lui-même soliste au Gewandhaus pendant plus de quarante ans. Le chef d’orchestre Lukasz Borowicz, qui signe la notice, précise que l’œuvre se situe dans la ligne d’un « modernisme slave » : elle combine le rythme, le lyrisme et une inspiration à partir de motifs slaves avec des accompagnements symphoniques à la manière d’Albert Roussel (que Nowowiejski dirigea en concert à plusieurs reprises). Le résultat est éloquent : orchestration opulente, intensité permanente, difficultés techniques, timbres variés et multiples. L’écoute donne la sensation d’un foisonnement constant et d’épanchements tumultueux, avec, en guise de troisième mouvement, une passacaille spectaculaire qui entraîne un discours solennel entre le violoncelle et les divers groupes instrumentaux. Le soliste polonais Bartosz Kosiak, formé à Varsovie et à Paris, joue sur le violoncelle du dédicataire Danczowski. Il se révèle aussi démonstratif que maître de sa technique pour faire vibrer cette vaste composition aussi chaleureuse que virtuose. A noter que la Passacaille est ici gravée en deux versions, le compositeur ayant apporté des variantes à ce mouvement final, avec deux conclusions de climat différent. 

Le Concerto pour piano de 1941 porte le sous-titre « Slave », ajouté à la main sur le manuscrit. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Nowowiejski, un temps détenu par les Allemands (certaines sources évoquent une possibilité d’espionnage pour le compte de la Russie), quitte Poznan et se réfugie à Cracovie jusqu’à la fin du conflit. Il y écrit ce concerto, peu avant d’être victime d’une hémorragie cérébrale qui le laissera partiellement paralysé et l’empêchera de composer par la suite. La partition est particulièrement brillante et baigne dans une atmosphère de romantisme tardif, au sein de laquelle le piano se lance dans des élans généreux et vigoureux. L’œuvre apparaît comme monumentale, dans un registre grandiose et plein de tensions. Les trois mouvements, le premier de forme sonate libre, le second d’un lyrisme éperdu, et le troisième, un rondo, proposent à l’auditeur un panorama coloré, riche en émotions. C’est le pianiste Jacek Kortus, issu de l’Académie de Musique de Poznan, qui officie. Né en 1988, il a été primé au Concours International Chopin en 2005. Il traduit avec fougue et passion cette aventure musicale qui surprendra maints auditeurs par ses qualités imaginatives, et mériterait d’être inscrite à l’affiche de concerts. A la tête d’un Orchestre de Poznan bien en forme avec lequel il a gravé plusieurs albums pour le label Dux ou pour d’autres éditeurs, Lukasz Borowicz (°1977) confirme qu’il est un spécialiste de cette musique polonaise dont bien des richesses sont encore à découvrir.  

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix   

 

 

 

 

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