Rares pages chambristes du style galant, sur un « clavecin roïal » récemment réinventé

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Binder & clavecin roïal. Christlieb Siegmund Binder (1723-1789) : Deux Quatros pour clavier, deux violons & basse en fa majeur, en la majeur ; Trio pour clavier et alto en ré majeur ; Trio pour clavier et flûte en ré majeur. Ensemble Klangschmelze. Ricardo Magnus, clavecin roïal. Swantje Hoffmann, violon, alto. Lorena Padron Ortiz, violon. Leonard Schelb, flûte. Stephan Schulz, violoncelle. Christian Berghoff-Flüel, basse. Livret en anglais, allemand, français. Juillet 2021. TT 68’23. Et’cetera KTC 1753

Contemporain de Carl Philipp Emanuel Bach, Christlieb Siegmund Binder n’est pas le plus notoire des compositeurs allemands du XVIIIe siècle, et sa diffusion ne dépassa pas la sphère d’Europe centrale. Il fut pourtant honoré à la Cour de Dresde, prestigieux foyer des arts avant la Guerre de Sept ans. Après ses ravages et l’austérité qui s’ensuivit, Binder se recentra opportunément sur le clavier, et accéda à divers postes d’organiste jusqu’à sa mort. Au sein de son catalogue entièrement voué au genre instrumental, on lui connaît pour clavier une trentaine de concertos et autant de pièces solistes, ainsi que quelques pages chambristes, perméables à la sensibilité de l’époque. 

Ricardo Magnus découvrit l’un de ses deux Quatros alors qu’il collaborait avec Reinhard Goebel, avant de le jouer au clavecin en 2010 en compagnie de Johannes Prahmsoler et l’Ensemble Diderot. Intuitions et rencontres providentielles guidèrent ensuite vers le présent disque. En 2018, le musicien argentin eut l’opportunité d’essayer un dulcimer de grande taille, originellement inventé par Pantaléon Hebenstreit (1668-1750). Lequel initia Binder à son usage dès 1742. Sur l’ordre d’Auguste III lui-même ! On retrouve ce « pantaléon » à l’honneur dans un récent album Bach. Séduit par ses sonorités et convaincu qu’elles conviennent parfaitement au style galant, Ricardo Magnus parvint aux mêmes conclusions en découvrant un modèle de « clavecin roïal » achevé en 2020 par Kerstin Schwarz, fruit d’une fervente reconstruction instiguée par le pianiste et musicologue espagnol Pablo Gómez Ábalos, en prolongement d’une thèse de doctorat.

La reconstitution d’un tel instrument, qui connut son heure de gloire en Europe du nord au second XVIIIe siècle, fut une entreprise pionnière et unique en son genre -d’autant difficile que presqu’aucun de la quinzaine d’exemplaires survivants n’est indemne ni jouable. L’abondante notice du CD détaille le fonctionnement et les différents timbres qu’il permet en actionnant des genouillères : contrairement à ce que laisserait supposer le nom, le son évoque moins le clavecin que le pianoforte, le clavicorde, le luth, ou la harpe. Les registrations employées dans le Tempo di Minuetto en plage 6 révèlent particulièrement cet éventail digne du caméléon. Le qualificatif roïal suggère moins un caractère impérieux que la richesse de nuances, tant en couleurs qu’en dynamique, plutôt intimiste au demeurant, malgré un dispositif d’amplification modulable, coiffant la table d’harmonie (démonstration sur cette vidéo). « On y reconnait en outre un soupçon de cymbalum ou de psaltérion », légitimant son emploi pour la musique de Binder, tôt aguerri comme « pantaléoniste ». 

D’ailleurs, si l’on en croit l’inventaire de ses biens, CPE Bach possédait un tel clavecin roïal. On comprend dès lors le désir d’en utiliser un dans les quatre œuvres au programme, issues du fonds de la Landesbibliothek de Saxe. Trois apparaissent pour la première fois au disque : les deux Quatros incluant deux violons et basse, et le Trio en ré majeur dialoguant avec flûte. Le Trio avec alto avait déjà bénéficié d’un récent enregistrement par Pauline Sachse et Andreas Hecker (Avi, 2017), se dispensant du renfort d’un violoncelle, à l’instar du présent album. L’exhumation de rares opus émanés du terreau de l’Empfindsamkeit, cumulé avec l’attrait organologique pour cette reconstruction d’un cordophone qui leur est contemporain et leur sied si bien : on salue tant le projet que la réalisation de ce disque, nanti d’un érudit livret, superbement illustré. Notre conclusion ne surprendra personne : puisque que Ricardo Magnus semble avoir percé tous les secrets d’élocution et de poésie de ce tendre clavecin roïal, on espère admirer bientôt l’artiste dans un répertoire soliste qui valorisera à découvert ses textures aussi diaphanes qu’innombrables.

Son : 9 – Livret : 10 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 



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