Concilier Messiaen et Richard Strauss ?

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Tel était le défi impossible auquel étaient confrontés Ludovic Morlot et son Orchestre symphonique de la Monnaie. Qu'y a-t-il en effet de commun entre l'extase religieuse des Trois Petites Liturgies de la présence divine du compositeur français et Burleske, et la suite du Chevalier à la rose du Maître munichois ? Rien. Voilà une curieuse programmation qui, pourtant, a amené un public nombreux -et donc éclectique- au Studio 4 de Flagey, à Ixelles. On ne joue pas trop souvent Messiaen même si, récemment, on a pu entendre à Bruxelles la Turangalîlâ-Symphonie ou Des Canyons aux étoiles. Raison de plus d'aller entendre ces Trois Petites Liturgies qui suscitèrent tant de scandale lors de leur création à Paris en 1945. Ecrites pour choeur de femmes à l'unisson, cordes, piano, Onde Martenot et percussions sur un texte mystique de l'auteur lui-même, elles ont surpris par leur simplicité même. Jamais encore, on n’avait célébré la religion catholique en des termes si naïfs, si directs et si modernes en même temps. Cette nouveauté étonne encore et c'est ce qui fait la force unique de cette oeuvre d'à peine 35 minutes. Le climat éthéré du choeur et des cordes l'empreint d'une ambiance extatique que la fulgurance lumineuse de l'onde Martenot souligne à l'extrême. Seul le piano, virtuose dans la première partie, et les percussions (célesta, xylophone, maracas, tam-tam) semblent déroger un temps à la beauté céleste érigée en dogme. Quelques harmonies debussystes rappellent que l'oeuvre n'appartient pas encore à la pleine maturité du compositeur. Mais l'obsession de l'accord parfait, une constante chez Messiaen, est déjà bien présente. Et ce sentiment de pure beauté radieuse qui atteint son sommet dans la troisième et dernière partie (le refrain "Posez-vous comme un sceau sur mon coeur"), moment de grâce ineffable que l'on souhaiterait figer.
Le charme bavarois de l'auteur du Chevalier à la rose est à des années-lumière, bien sûr. Burleske n'est pas un concerto pour piano et orchestre, plutôt une fantaisie rhapsodique. D'inspiration encore clairement brahmsienne, elle se signale surtout par son thème initial entonné par les quatre timbales soli. Timbales qui jouent un rôle essentiel, dialoguant sans cesse avec le pianiste. Brillant virtuose, Bertrand Chamayou a paru plus d'une fois distant, froid même, comme s’il craignait le climat ouvertement postromantque de cette page de jeunesse de Strauss.
Bien connue et populaire, la suite du Chevalier à la rose clôturait brillamment la soirée. Ludovic Morlot a bien conduit sa phalange en excellente forme (les cors!) même s’il n'a pas toujours évité l'écueil redoutable qui pèse sur certains moments de la partition : celui de la vulgarité. Mais la salle lui a réservé un accueil enthousiaste... Concert hybride donc, dont je ne comprends toujours pas l'idée. Mais la musique était là, c'est l'essentiel.
Bruno Peeters
Bruxelles, Flagey, le 17 avril 2014

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