Concours Reine Elisabeth : avant-dernière soirée de finale

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Une soirée coréenne et belge marquée par la prestation exceptionnelle de Sumi Hwang. 

Chiara Skerath lors des demi-finales © Bruno Vessiez
Chiara Skerath lors des demi-finales © Bruno Vessiez

La soprano belgo-suisse Chiara Skerath débute la soirée avec une belle lecture des Illuminations de Britten (« Ville – Phrase – Antique »). Energie appropriée pour la première pièce dans un tempo dynamique. Elle présente des contrastes intelligents comme dans  « Phrase ». Nous lui trouvons un timbre plus doux et des aigus ravissants pour cette partie lente. Elle conclut avec charme grâce notamment à un beau solo du Konzertmeister. Caractère plus linéaire et solennel pour « Ihr habt nun Traurigkeit » (Ein Deutsches Requiem, Brahms). Elle nous fait entendre une interprétation touchante et pleine de finesse. Diction excellente et style profond. Elle poursuit avec une Mimi qui lui convient à la perfection (« Si, mi chiamano Mimi, La Bohème, Puccini). Souvent interprété lors de ce concours mais jamais réellement convaincant, cet air est ici parfaitement exécuté. Style tout à fait différent, plus proche du caractère de la candidate. Même le timbre n’est plus pareil, il est davantage expressif. Elle chante avec fluidité et simplicité offrant par endroits quelques couleurs innocentes, caractéristiques du personnage. Elle est l’une des rares à avoir compris la différence de style qu’il faut intégrer entre l’exécution d’une mélodie/lied et celle d’un air d’opéra. C’est la première fois que l’on entend cet air avec orchestre dans le concours : quel soulagement, l’accompagnement au piano reste en deçà de l’orchestration brillante de Puccini. Autre tube avec « Mesicku na nebi hlubokem »  (Dvorak). Pour aborder l’air de la fragile Rusalka, Chiara Skerath change une nouvelle fois et pour le mieux de style. Très beau legato, une intimité saisissante et une douceur déconcertante caractérisent son interprétation. Elle assume un tempo plus lent que la normale qui permet de saisir chaque cellule tant mélodique qu’harmonique mais périlleux si l’on ne maîtrise pas totalement la langue tchèque, délicieuse mais redoutable. Enfin une candidate qui a compris l’hétérogénéité des styles : chaque œuvre a son interprétation, son atmosphère et ses couleurs spécifiques ; le tout dans un timbre délicieusement suranné.

Hansung Yoo lors des demi-finales © Bruno Vessiez
Hansung Yoo lors des demi-finales © Bruno Vessiez

Prestation en dents de scie pour le baryton Hansung Yoo qui présente les mêmes difficultés qu’aux épreuves précédentes. Il débute par une belle lecture de « Grosser Herr und starker König » (Weinachts Oratorium, Bach). Dynamiques appropriées, style droit et animé. Bonne diction générale mais un timbre pas toujours homogène. Même si on perçoit de la profondeur dans « Vy tak pechalny – Ya vas lioubliou » (Pikovaya Dama, Tchaikovsky), l’étudiant de Hambourg ne semble toujours pas convaincu de ce qu’il chante. L’émission est un peu plus homogène mais les aigus sont « «plafonnands ». Les problèmes techniques que l’on reprochait en demi-finale réapparaissent au galop dans cette partition. Malheureusement, sa puissance vocale est souvent accompagnée d’une tension handicapante. Il est à plus l’aise dans Mahler (« Ich hab’ein glühend Messer », Lieder eines Fahrenden gesellen) que Sarah Laulan avait déjà interprété hier. Sa version est plus convaincante, plus claire et plus sonore. Belle cohésion avec l’orchestre qui saisit mieux le sens de l’œuvre. Cette partition lui convient parfaitement, cela se ressent notamment par l’émission de ses aigus, beaucoup moins douloureuse. Il retombe dans la monotonie avec Gounod (« Oh sainte médaille – Avant de quitter ces lieux », Faust). Le français n’est pas du tout clair et les soucis techniques refont surface. Le timbre reste commun alors que la marche est nettement plus dynamique. Cette incertitude ne se perçoit absolument pas dans Ravel (« Chanson à boire », Don Quichotte à Dulcinée) où le chanteur semble plus sûr de lui et plus évocateur. Timbre exotique pour un style plus hispanisant. Même si la diction n’est pas parfaite, félicitons le candidat d’avoir choisi deux pièces en français, cette langue si délicate. Il achève sa prestation douloureusement avec un tube de Rossini (« Largo al factotum della citta », Il Barbiere di Siviglia). Manque de dynamisme évident, trop peu de contrastes, un tempo qui tend à ralentir, une justesse extrêmement limite et une voix se brisant pour la dernière partie de l’air qu’il ne peut pas assumer. Il garde une nuance piano et chante les aigus (s’il les chante vraiment) une octave plus bas.

Sumi Hwang lors des demi-finales © Bruno Vessiez
Sumi Hwang lors des demi-finales © Bruno Vessiez

Prestation de toute beauté pour Sumi Hwang. Si elle nous avait déjà convaincu de sa sincérité lors de la demi-finale, on la retrouve ce soir plus confiante et d’une finesse remarquable. Elle débute par « Quel guardo il cavaliere – So anch’io la virtu magica (Don Pasquale, Donizetti). Des aigus magnifiques grâce à une technique redoutable. Esprit parfois aguicheur mais teinté d’une énergie débordante et d’une communication permanente avec le public. Grâce à de beaux contrastes et des couleurs vives, l’ancienne étudiante de Munich parvient à dialoguer  avec l’orchestre comme aucun autre candidat. Excellente idée de poursuivre avec Die Nachtigall d’Alban Berg. Jusqu’à maintenant, peu de candidats se sont aventurés dans ce répertoire si riche et troublant. Style adéquat, contours mélodiques raffinés et toujours ce rapport à l’orchestre qui excelle ici. Tant pour la technique que pour la musicalité, cette candidate semble chanter tous les répertoires avec une facilité déconcertante. C’est le cas avec Puccini (« Signore ascolta », Turandot) où l’on apprécie l’homogénéité du timbre et la fluidité de la ligne vocale. Langage souple et aéré pour des phrases d’une construction idéale. Charpentier était (enfin !) à l’honneur ce soir avec « Depuis le jour » (Louise). Si la diction n’est pas toujours claire, la construction générale de l’œuvre est aboutie tandis que la puissance vocale semble naturelle chez la candidate. Aigus magnifiques soutenus par une interprétation sincère. Pour terminer la soirée, elle offre un Strauss remarquable, peut être l’exécution la plus touchante du concours (Im Abendrot) : langage éclairé, homogénéité du son, continuité parfaite du discours et un ton plus solennel. Une seule ligne découle tel un souffle imperturbable. Aussi, l’orchestre semble, pour la première fois, en parfaite cohésion avec la candidate en offrant des couleurs et des dynamiques jamais perçues jusqu’à maintenant. Si en demi-finale, nous avions été ébloui par ses talents de musicienne malgré une technique un peu faible par moment, elle nous prouve le contraire ce soir en se hissant au sommet du concours. Bravo !
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Bozar, le 29 mai 2014

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