Daniele Pollini, Schubert avec Maurizio Pollini
Deutsche Grammophon publie le dernier enregistrement de Maurizio Pollini, un projet entièrement consacré à Schubert avec la Sonate en sol majeur D 894 (que le pianiste italien n'avait jamais enregistrée auparavant), les Moments musicaux D 780 interprétés par son fils Daniele et la célèbre Fantaisie en fa mineur D 940 à quatre mains, où pour la première fois le père et le fils jouent ensemble dans ce type de formation. Une interview de notre collègue Nicola Catto, Rédacteur en chef de la revue italienne Musica et secrétaire du jury des ICMA.
Commençons par le commencement : comment cet album a-t-il vu le jour ?
J'avais collaboré avec mon père en 2016, en enregistrant avec lui En blanc et noir de Debussy pour compléter l'album consacré au Deuxième livre des Préludes de Debussy. C'était une expérience très positive, alors après quelques années, j'ai eu l'idée de faire un enregistrement avec mon père autour de la musique pour piano à quatre mains de Schubert. Il a été intéressé par la proposition et l'a retravaillée d'une manière différente : pas seulement des pièces à quatre mains, mais quelque chose de « solo » joué par chacun d'entre nous et ensuite la Fantaisie D 940, peut-être l'œuvre suprême de Schubert. L'idée était de juxtaposer différents éléments de l'œuvre de Schubert : ainsi, après diverses hypothèses, notre choix s'est porté sur la Sonate D 894 - qu'il avait jouée, mais jamais enregistrée - et sur les Moments musicaux, l'un de ses cycles de pièces courtes les plus connus, et enfin sur la Fantaisie.
Comment s'est passé le fait de jouer à quatre mains avec votre père ? La ligne d'interprétation a-t-elle été discutée en détail au préalable ou s'est-elle imposée au moment de l'exécution ?
C'était une nouvelle expérience pour nous deux : à part des lectures occasionnelles et informelles, aucun de nous n'avait jamais préparé sérieusement une pièce à quatre mains, ce qui est très différent de jouer sur deux pianos. Quant à la pièce, nous en avons parlé brièvement mais sans entrer dans les détails, et nous avons commencé à l'étudier séparément. Très vite, nous avons commencé à faire des lectures ensemble, avec des séances qui se sont intensifiées à la veille de l'enregistrement (juin 2022).
Une question peut-être banale : qui joue la ligne de basse ?
Mon père : c'est lui qui l'a suggéré, même si l'inverse aurait tout aussi bien fonctionné !
Schubert est un compositeur important dans le répertoire de Maurizio Pollini. Un Schubert marqué par une certaine « objectivité », que je crois retrouver dans sa propre lecture des Moments Musicaux. Êtes-vous d'accord ?
Je ne sais pas si le concept d'« objectivité » résume vraiment l'approche de Schubert de mon père : il est vrai qu'il y a de grandes différences, par exemple, avec l'approche de Lupu, mais à mon avis, cette idée d'objectivité est trop mise en avant. Et au fil des années, sa lecture de Schubert a beaucoup changé. En ce qui me concerne, une vision « objective » de Schubert n'existe pas vraiment, notamment parce que je ne crois pas à la possibilité d'interpréter un morceau de musique de cette manière : je crois plutôt à l'attention portée aux détails et au respect du texte, qui n'est jamais une limite à la dimension créative de l'interprète. Je vais vous donner un exemple lié à ce cycle : dans Moment n° 4, si vous écoutez l'interprétation d'Arthur Schnabel puis celle de Radu Lupu, les tempi sont complètement différents, de même que la perspective de l'œuvre. Mais on ne peut pas dire qu'ils n'avaient pas une connaissance approfondie du style de Schubert. Prenons par exemple le début de la Fantasia, avec cette indication Allegro molto moderato: on peut choisir de donner plus de poids au premier mot, et donc choisir un métronome plutôt énergique, ou aux deux autres, et garder un tempo plus contemplatif, comme c'est le cas dans le célèbre enregistrement Lupu-Perahia. En tout cas, dans le Schubert de mon père, il y a toujours eu la recherche d'une gamme expressive qui est implicite dans sa musique et qui est très large, non limitée à la dimension d'un compositeur essentiellement lyrique ou poétique, une qualité qui est fondamentale dans sa musique mais qui est loin de l'épuiser. La Fantasia comporte également des aspects orageux, dramatiques et même violents.
Serait-il préférable d'utiliser l'adjectif « structurel » plutôt qu'« objectif » ?
Oui, c'est possible : ce serait un très long discours et il faudrait souligner l'énorme originalité des modes constructifs de Schubert : à tel point que dans le passé ils ont été considérés comme manquant de structure, même par des musiciens célèbres, notamment dans la comparaison fatidique avec Beethoven. Je vois les choses à l'inverse, et je pense que mon père aussi : les digressions de Schubert sont indéniables, et anticipent la génération romantique jusqu'à Mahler, mais ses pages sont incroyablement bien structurées, même dans l'extrême liberté de la forme. La Fantasia elle-même est formellement brillante dans ses équilibres, ses contrastes et son schéma tonal.
La propension de votre père et de vous-même à aimer la musique contemporaine est peut-être révélatrice de votre approche de Schubert ?
Certainement : l'influence de Schubert sur ses successeurs a été moins soulignée que celle de Beethoven, par exemple, mais elle n'en est pas moins décisive. Il suffit de penser à Liszt ou à Schumann, à l'influence de la Wanderer-Fantasie sur le premier, ou des Lieder sur le second, jusqu'à Webern.
Et la Grande est le modèle dont Bruckner s'inspire également...
Sans parler de l'admiration que Brahms lui portait.
Y avait-il d'autres projets prévus avec votre père ?
Rien de concret. Après tout, même ce disque était une expérience singulière, précisément parce que mon père n'avait jamais joué à quatre mains auparavant.
A écouter :

Franz Schubert : Sonate pour piano No. 18 en sol majeur, D. 894 ; 6 Moments musicaux, D. 780 ; Fantasie pour piano à 4 mains en fa mineur D 940. Maurizio Pollini et Daniele Pollini, piano. DGG
Propos recueillis par Nicola Cattò.
Crédits photographiques : Cosimo Filippini