Sophie Pacini, un récital en forme de puzzle 

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La  pianiste Sophie Pacini, qui fut jeune artiste des International Classical Music Awards 2017, fait paraître un nouvel album intitulé Puzzle (Fuga Libera).  Ce récital propose un parcours personnel avec des œuvres de Chopin et de Scriabine. Crescendo Magazine est heureux d’échanger avec cette formidable musicienne. 

Votre nouvel album s'appelle "Puzzle" ? Pourquoi avoir choisi ce titre ? 

J'ai décidé, le plus honnêtement possible, de mettre ma vie à l'envers, d'être moi-même et de laisser mes émotions attacher les pièces du puzzle qui forment ma vie jusqu'à présent à une chaîne de notes. Nos concerts sont basés sur des souvenirs, des impressions et des attentes qui sommeillent en nous comme la somme de nos expériences, de nos vies. J'en fais ici l'expérience à travers la musique de Chopin. C'est clairement ainsi que Scriabine se voit dans Chopin -c'est ainsi que la musique de film est créée et que les images apparaissent dans le miroir de ce que nous entendons ; c'est ainsi que la perception se développe et que la bande sonore de nos vies est créée.

Vos albums ont souvent des titres, est-il important pour vous de vous raconter une histoire au-delà de la musique ? 

Pour moi, il existe une combinaison naturelle entre la musique et les événements quotidiens de ma vie. Chaque composition partage une histoire en soi, chaque jour de la vie qui passe laisse une trace et, ensemble, ils créent comment la musique se fixe dans ma moëlle et comment ils créent un titre de souvenirs. Les couleurs et les images que je relie aux morceaux et à l'ensemble du programme que je choisis font également partie de cette histoire. La musique classique peut s'expliquer d'elle-même au moment où vous l'écoutez, mais avant cela, il y a un titre qui doit conduire et attirer l'auditeur potentiel vers une certaine route d'attentes pour rejoindre ce voyage très personnel de mon album. Et ainsi être capable de flotter à travers les chapitres de sa vie et les chambres de son âme. 

Cet album contient des œuvres de Chopin et de Scriabine. Pourquoi ces deux compositeurs ? 

Chopin est l'un des compositeurs qui m'ont aidé à grandir émotionnellement et c'est aussi un compositeur avec lequel j'ai partagé beaucoup des chapitres les plus formateurs de mon développement pianistique. Il a été une épaule sur laquelle m'appuyer pendant mon adolescence et a fait partie intégrante de tous mes programmes de concert. Sans Chopin, je ne peux exister. Et Scriabine offre une fenêtre sur le monde après Chopin, un aperçu provisoire d'une époque de déclin, d'oubli, de regards lugubres vers le passé, de complaisance et d'un faible espoir que la vue du squelette du nouveau siècle ne soit qu'une phase. J'ai donc voulu attirer l'attention sur ce compositeur, pour moi totalement "sous-représenté" dans les concerts, en utilisant le projecteur de Chopin. Car Scriabine est pour moi une facette complète de l'héritage de Chopin, développant et créant une nuance tonale unique du présent dans le miroir du passé et du futur dans le miroir du présent.

Le nombre d'œuvres composées par Chopin et Scriabine est assez impressionnant, alors pourquoi avez-vous choisi ces partitions en particulier ?

Cet album est un résumé de mes trente dernières années, avec des enregistrements de petites histoires (Ballades), de pièces noctambules (Nocturnes), d'improvisations (Impromptus), de raffinements (Études), d'interludes (Préludes) et de danses calmes (Valses). Les Études que j'ai sélectionnées pour moi montrent parfaitement que Chopin ne les entendait pas comme de simples exercices de doigts ou des sprints d'une rapidité folle, mais qu'il s'agit de relever un certain défi, encore et encore, et notamment en termes de technique d'écoute et d'émotion. Ils sont tels un exercice de discipline et de maîtrise de soi éclairant pour atteindre la liberté tout en maîtrisant les obstacles afin de créer un chemin sans heurts. Ces Études sont des exemples musicaux d'obstacles que nous rencontrons constamment dans la vie de tous les jours, à tous les niveaux et dans tous les domaines, de moments où nous atteignons nos limites, de défis à surmonter qui nous préparent à des tâches encore plus grandes. Ils nous aident à comprendre notre volonté et à la façonner. Ils créent le plaisir d'être mis à l'épreuve et façonnent le respect de soi et la patience sur le chemin du but. La combinaison des cinq Valses de Chopin choisies, de l'Impromptu en la bémol majeur, du Nocturne en do dièse mineur et des trois Préludes d'Alexandre Scriabine qui les ponctuent est pour moi un assemblage de pièces d'un puzzle qui touche à la compréhension de soi. Les Valses sont des instantanés de pensées dansantes, d'observations tournantes, de pirouettes invisibles autour de soi, de contacts roulants et peut-être finalement de la forme la plus délicate de l'inexorabilité. La juxtaposition de l'Étude op. 25/7 de Chopin et du Prélude op. 11/4 de Scriabine est particulièrement résonnante : un souhait que le nouveau émerge de l'ancien et que nous continuions à créer des pièces de puzzle assorties -car nous en avons besoin.

En 2014, vous avez sorti un album entièrement consacré à Chopin. Votre vision du compositeur et vos concepts d'interprétation ont-ils évolué au fil des années ? 

En fait, ma perception de Chopin, que je partageais déjà à l'époque, est peut-être devenue encore plus radicale et tranchante, je suis devenue plus courageuse pour mettre encore plus en évidence les contrastes "déroutants". Je suppose que j'ai été subtilement encouragée par mon développement pianistique dans ma vingtaine -personnellement et en termes de carrière. Je dirais que la vie m'a ramenée à un moment (l'enregistrement de Chopin en 2014) qui a eu un impact décisif sur moi et je vous en remercie en consacrant le résumé de mes dernières années à ce choix de répertoire.

Avez-vous déjà d'autres projets d'albums en tête ? 

Mon prochain album sera dédié à l'un des autres compositeurs qui m'ont formée : Franz Liszt. Un compositeur que j'ai l'impérieux besoin de représenter sous toutes ses facettes et de souligner son importance décisive, partiellement pas assez mentionnée et révélée dans l'histoire de la musique. Sur tous les plans. En plus de cela, un album orchestral est en préparation. 

Vous êtes également très active à la radio et à la télévision. Vous venez de créer une série de programmes pour la radio fédérale allemande. Quelle importance revêtent ces activités pour votre développement artistique ?  

Je dirais que c'est crucial pour moi. Comme je viens d'une famille sans tradition musicale, j'ai été élevée en expliquant et en partageant avec tout le monde autour de moi ce qu'est cette fascination pour la musique classique. Pour moi. Il est donc naturel et essentiel pour moi de parler (également en animant mes concerts) de la façon dont, à mon avis, la musique classique enrichit la vie de chacun lorsqu'elle est communiquée dans un contexte de vie quotidienne et qu'elle s'insère dans des contextes "non classiques" inattendus. Quand la musique vous fait vous écouter. Un moment de soin de soi dans un silence sonore. 

Le site de Sophie Pacini :  www.sophie-pacini.com

  • A écouter :

Puzzle. Oeuvres de Frederic Chopin et Alexander Scriabine. Sophie Pacini, piano. 1 CD Fuga Libera. FUG811.

 

 

Crédits photographique : A2 Photography

Propos recueillis par : Pierre-Jean Tribot

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