D’autres facettes de Stanisław Moniuszko : sa musique sacrée
Stanisław Moniuszko (1819-1872) : Litanies d’Ostra Brama ; Sub tuum praesidium ; Ecce lignum crucis ; Marche funèbre d’Antoni Orlowski ; Requiem aeternam. Ingrida Gápová, soprano ; Marion Eckstein, alto ; Sebastian Mach, ténor ; Maximilian Argmann, basse ; Goldberg Baroque Ensemble ; Gellert Ensemble, direction Andrzej Szadejko. 2022. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes chantés en latin. 62.38. SACD MDG 902 2278-6.
Du compositeur romantique qu’a été Stanislaw Moniuszko, la postérité a surtout retenu ses opéras Le Manoir Hanté et Halka, basés sur des sujets patriotiques et historiques, le second nommé, considéré comme l’acte de naissance de l’opéra polonais, ayant fait l’objet de plusieurs enregistrements, y compris sur support vidéo. Le catalogue de ce créateur, né dans la province russe de Minsk, formé à Varsovie et à Berlin, et organiste à Vilnius pendant près de vingt ans, s’attache pourtant à d’autres genres, notamment à la musique sacrée, qui compte une centaine de pages diverses. Le 3 juin 2020, nous avons recensé un album Dux qui s’attardait notamment à deux messes qui datent de cette période de Vilnius. Nous avons alors signalé la douce ferveur et la hauteur spirituelle qui habitent ces partitions d’un compositeur très pieux et fidèle pratiquant. Le label MDG propose d’autres facettes de la musique sacrée de Moniuszko, qui confirment, en l’élargissant, la capacité expressive du musicien.
L’essentiel du programme se compose de trois Litanies d’Ostra Brama, composées entre 1843 et 1855, pendant la présence de Moniuszko à Vilnius. L’intéressante notice en français précise que ces pages, écrites à des années d’intervalle, se rapprochent de genres tels que la cantate et l’oratorio, et sont sans doute l’objet d’une commande du poète Tomasz Zan (1796-1855), qui a été un opposant à la police tsariste dans sa jeunesse, puis un géologue réputé. Au fil de ces litanies qui célèbrent la vénération de l’icône miraculeuse de la Vierge d’Ostra Brama (« La Porte de l’Aurore », lieu de culte marial érigé à Vilnius), qui date de la seconde moitié du XVIe siècle, on suit l’évolution stylistique de Moniuszko, qui passe d’un climat mozartien dans la première aux accents romantiques dans la troisième, mêlant à l’atmosphère religieuse que l’on retrouve chez ses contemporains des airs plus profanes (danse polonaise ou mazurka) ou des souvenirs d’art lyrique, dont les ouvertures de Rossini. On lira dans la notice l’épisode de la dédicace d’une publication de la troisième litanie au maître de Pesaro et la lettre que ce dernier écrivit à Moniuszko pour le remercier. On ressent la force de la dévotion, simple mais efficace, imprimée par le compositeur à ces morceaux de moins d’un quart d’heure chacun, qui nécessitent un chœur et des interventions solistes entrelacées ferventes, chaleureuses et adulatrices. Il y a de beaux élans et des phases de recueillement, le tout servi par un style empreint de dignité, selon les propos de Rossini.
Entre la première et la seconde Litanie, on trouve un air pour baryton solo et orgue, ici dans la version orchestrée par un élève de Moniuszko, Sygmunt Noskowski (1846-1909). Ce Sub tuum praesidium (« Sous ta protection ») de 1857, autre hommage à la Vierge d’Ostra Brama, est clairement conçu à la manière d’un air d’opéra. Avant la troisième Litanie, le programme propose encore un air pour baryton, chœur et orchestre, toujours dans l’orchestration de Noskoswski. Cette page plus tardive, Ecce lignum crucis, date de 1872, année de décès du compositeur, et évoque de façon dramatique la crucifixion du Christ. Elle est suivie par une Marche funèbre d’Antoni Orloswki, instrumentation probable par Moniuszko d’une œuvre de cet ami de Chopin (1811-1861). Sa dimension religieuse prête un peu à caution, mais son atmosphère cuivrée est sombrement recueillie. Quant à la cantate Requiem aeternam pour onze voix solistes, un chœur mixte à quatre voix et orchestre de 1868, elle est puissamment intense dans sa brièveté (moins de cinq minutes), et d’une belle essence symphonique. La troisième Litanie vient clôturer avec une ferveur renouvelée une affiche homogène qui met en valeur la foi du compositeur et la subtilité instrumentale qui la sert.
L’intégrale des Litanies d’Ostra Brama (il y en a une quatrième) a déjà fait l’objet de gravures par des interprètes polonais : les Chœurs et l’Orchestre Philharmonique National Varsovie, sous la direction de Henryk Wojnarowski (Accord, 2006), ou les Chœurs de la Radio polonaise et l’Orchestre de Wroclaw, sous la direction de Jacek Kaspszyk (Polskie radio, 2013), avec, à chaque fois, des solistes nationaux. Les participants au présent projet MDG sont à composante polonaise et germanique. Le Gellert Ensemble de Leipzig comprend de jeunes choristes d’Allemagne centrale qui se réunissent en fonction d’une initiative. Le Goldberg Baroque Ensemble a été fondé en 2008 à Gdansk par Andrzej Szadejko (°1984), compositeur et organiste, qui dirige avec une digne sobriété la présente réalisation. La soprano slovaque Ingrida Gápová, qui a notamment travaillé avec Ton Koopman, l’alto allemande Marion Eckstein, qui a étudié avec Julia Hamari, le ténor polonais Sebastian Mach, formé à Wroclaw, et la basse allemande Maximilian Argmann (émouvant dans les deux airs qui lui sont réservés), qui a reçu sa formation à Würzburg, forment l’équipe de solistes, bien investis dans leurs parties respectives. Le travail global est une réussite à mettre à l’actif de ces artistes réunis pour ce projet spécifique qui permet de mieux connaître et apprécier la musique sacrée de Moniuszko, qui se révèle attachante et de belle facture.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 8 ,5 Interprétation : 9
Jean Lacroix