David Grimal, magistral serviteur d’ Ysaÿe.
Génial musicien, Ysaÿe créa les quatuors de Debussy, de Franck, le Concert de Chausson et combien d’autres œuvres. Son admiration pour l’œuvre de Bach, outre son influence sur sa propre production, lui valut d’appeler « Obsession » le mouvement qui ouvre la deuxième sonate, combinant le prélude de la Partita en mi majeur de Bach et le motif du Dies irae. Bach, Biber auparavant, Pisendel, Telemann avaient donné au violon seul ses lettres de noblesse. Après une relative éclipse de près d’un siècle, Paganini et ses 24 Caprices ouvrirent une nouvelle ère dont les sonates d’Ysaÿe constituent l’un des sommets.
Heureux Dijonnais. Hasards du calendrier, il y a une semaine, au Grand-Théâtre, et précisément ce soir, simultanément, à l’Abbaye de Fontenay, deux autres brillantes violonistes (Alexandra Conunova et Elsa Grether) illustraient ces sonates. Non point toutes les six, comme dans le défi de David Grimal, mais un simple bis et la seconde. L’œuvre du génial interprète, connue, sinon jouée par la plupart des violonistes serait-elle en voie de conquérir le plus large public ? Les intégrales enregistrées se comptent par dizaines, mais très rares sont les interprètes qui osent prendre le risque de les jouer toutes au cours d’un même récital.
David Grimal introduira brièvement chacune des sonates avec une bonhommie non dénuée d’esprit. De longue date, sa simplicité, sa gentillesse, son humilité, à l’égal de son intelligence musicale ont conquis ses auditeurs.
Six dédicataires, tous célèbres violonistes et amis, de Szigeti à Quiroga (partenaire régulier de José Iturbi, un peu oublié), en passant par Jacques Thibaud, Enesco, Kreisler et Crickboom, second violon de son quatuor, pour six œuvres aussi dissemblables. De formes et d’ampleur différentes, si aucune ne laisse indifférent, c’est la deuxième qui séduit le plus aisément. Encore que le magnifique contrepoint de la fin de l’allemande (4e Sonate), suivi des pizzicati de la sarabande, ou bien la danse rustique, tonique, de la suivante mériteraient d’être plus souvent joués… La dernière sonate, hispanisante, qu’il affectionne particulièrement, aux accents d’une habanera dont la section centrale s’anime, avec ses innovations et sa technique éblouissante, donne le sentiment d’un épanouissement absolu. Chaque oeuvre, chaque mouvement appellerait un commentaire détaillé, en dehors des procédés les plus audacieux auxquelles elles font appel.
La trop rare fidélité absolue au texte (et aux notations très précises d’Ysaÿe) comme à son esprit mérite d’être signalée. La maturité du jeu est pleinement aboutie, le musicien s’étant approprié l’essence même de chaque mouvement, avec son architecture et sa conduite, sa technique transcendante, toujours humble et fidèle servante de l’ouvrage. La plus large palette, aux couleurs, aux accents, aux dynamiques renouvelés permet de conférer une vérité musicale à ce que certains réduisent à des morceaux de bravoure, et de séduire l’auditeur le moins averti. L’émotion est bien là, par-delà l’admiration devant la maîtrise.
Le violoniste mettra un terme à plusieurs minutes d’acclamations et de rappels en exprimant son bonheur et ses remerciements au public, enthousiaste.
Yvan Beuvard
Opéra de Dijon, Auditorium, le 26 septembre 2020
Crédits photographiques : Opéra de Dijon – Gilles Abegg