De L’uberisation, du classique et des compositeurs ! 

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Le site de notre confrère Norman Lebrecht annonçait vendredi la fin des activités de l’éditeur de partition américain Kalmus. Fondé en 1926 à New York par le Viennois Edwin F. Kalmus, l’éditeur s’était fait une spécialité des parutions d’oeuvres tombées dans le domaine public aux Etats-Unis, réimprimées à l’infini pour être vendues à des tarifs plutôt bas. Plusieurs générations de musiciens ont eu dans les mains ces partitions à la couverture facilement identifiable, pour le meilleur et souvent pour le pire tant ces partitions n’avaient jamais apporté la moindre plus-value éditoriale en ne corrigeant pas les erreurs et les fautes d’impression les plus connues des praticiens. Mais à l’heure d’internet et surtout d’Imslp, ce business model est rapidement devenu complètement obsolète même avec des coûts de production des plus bas ! Pourquoi payer pour ce que l’on peut avoir gratuitement ? A regarder la situation de l’édition musicale de partitions libres de droits, seule la plus-value éditoriale des Urtext peut s’avérer un tant soit peu rentable tout en comblant un besoin des professionnels. On est dans un schéma économique classique, seul le “premium” peut résister alors que le “bas de gamme” est concurrencé par une offre gratuite qui élimine naturellement ceux qui ne sont plus compétitifs ! On rejoint ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelait la “ destruction créatrice” : certains secteurs s'effondrent alors que d’autres apparaissent. Mais voyons plus loin la situation dans la composition. 

Internet a permis de modifier toute la chaîne de production de la musique en particulier pour les compositeurs. Plus besoin d’un graveur pour créer ses partitions ! Les logiciels Finale et Sibelius le permettent ! Plus besoin d’un éditeur car des plateformes comme Babelscores proposent une auto-édition qui référence les oeuvres en les proposant à travers le monde ! Plus besoin d’un label car un service comme Soundcloud propose la mise en ligne gratuite de fichiers musicaux (du moins dans le cadre de l’offre “Basic”). Pas besoin d’un service de promotion car les systèmes de mailing sont aussi nombreux qu’efficaces ! Le compositeur est désormais son propre producteur et son propre diffuseur. Tout irait bien alors car jamais mettre en ligne sa musique n’a été aussi facile à distribuer et si démocratiquement accessible.

Cependant, il ne faut pas se leurrer ! La création de valeur économique reste des plus faibles ! D’autant plus que les revenus tirés du streaming sont ridiculement bas ! Pour un professionnel ou pour un instrumentiste en recherche de nouveaux répertoires, il est très difficile de se frayer un chemin et de faire des choix dans cette profusion d’offres (même si qualitative !). Le réseau professionnel et la force de diffusion d’un éditeur classique restent au final les meilleurs atouts pour se faire jouer ! D’un autre côté, les droits d’auteur (dans toutes ses formes y compris les droits voisins, mécaniques ou patrimoniaux) sont de plus en plus contestés, y compris par des institutions officielles à travers le monde. Il est tellement facile d’exiger du gratuit, puisque tout est gratuit partout ! Les coûts pourtant restent fixes : réaliser un matériel (le conducteur du chef et les parties séparées des instrumentistes) pour une partition d’ensemble ou d’orchestre va au-delà de la simple impression d’un fichier, sans oublier les frais d’imprimerie et de reliure de dizaines de pages, le packaging et l’envoi (il apparaît même que certaines structures ont exigé de garder un matériel après la performance !). Cela prend du temps et coute de l’argent pour un créateur qui doit déjà courir entre d’autres fonctions pour s’assurer un viatique quotidien. D’ailleurs, même à l’ère des plateformes en tous genres, les « vieux » éditeurs croulent sous les envois de manuscrits ! 

 La “Société du coût marginal zéro” si chère Jeremy Rifkin reste largement une utopie tant il est difficile de créer de la valeur dans un système global qui, s’il permet aux compositeurs de s’afficher comme créateur de musique, génère très peu de revenus alors que la visibilité est noyée dans une masse toujours en expansion ; visibilité hypothétique qui en vient à être même considérée comme une opportunité exceptionnelle, nouvelle forme de « rétribution » contemporaine ! Il en va du rôle du compositeur comme de tant d’autres professions intellectuelles et créatives ! Un appauvrissement généralisé ! 

Crédits photographiques : Pixabay

Pierre-Jean Tribot

       

 

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