Découverte de la Missa Regalis, chant du cygne de Francisco Valls

par

Francisco Valls (1671-1747) : Missa Regalis. Francisco Correa de Arauxo (1584-1654) : Tiento y discurso de segundo tono ; Tiento de medio registro de tiple de septimo tono. Juan Bautista José Cabanilles (1644-1712) : Tiento de falsas primer tono. Joseph Crouch, basse de violon ; Inga Klaucke, douçaine ; Edward Higginbottom, orgue continuo. Matthew Martin, orgue et direction du Chœur du Keble College. Décembre 2018 et Juillet 2019. Livret en anglais. Paroles latines de la Messe et traduction anglaise. 40’48. AAM008

Deux constats, presque contradictoires, s’imposent au premier abord. La brièveté du programme (une quarantaine de minutes) et l’épaisseur de la notice, qui accrédite un luxueux livre-disque. On supposerait que les 72 pages incluent une déclinaison tri ou quadrilingue (ce qui serait déjà copieux). Mais non : seulement en anglais ! En fait, le label a vu les choses en beau (nombreux clichés des manuscrits et des interprètes) et en grand : avant-propos de Matthew Martin et du Chief executive de l’Academy of Ancient Music, présentation de Valls et son œuvre par le Professeur Alvaro Torrente puis par Simon Heighes (éditeur de la Missa Regalis), présentation des pièces d’orgue par Stephen Farr ; introduction au Tiento et à l’orgue ibère ancien par Mark Merrill ; présentation de l’orgue et des artistes ; remerciements ; le tout couronné par la discographie du label AAM qui, depuis sa création en 2013, propose ici son huitième album. On comprend bien qu’un prudent calendrier d’une seule production par an se justifie par une telle qualité éditoriale : un modèle, qui rend honneur au disque en tant qu’objet, et à la curiosité de son acquéreur.

Dommage qu’en plusieurs endroits l’orthographe des patronymes soit écorchée : Cabazón, Arouxo,  Cabinilles (sic). La page 7 aligne même trois coquilles ! Après tout, les plus somptueux tapis persans incluent des défauts volontaires pour rappeler que la perfection n’appartient qu’à Dieu… On regrette davantage le disque à moitié rempli.

Dans le contexte troublé de la guerre de succession pour la couronne espagnole, Francisco Valls fut une figure majeure de la vie musicale catalane au début du XVIIIe siècle. Et polémique en raison de ses audaces harmoniques, telle la fameuse dissonance non préparée de sa Missa Scala Aretina, sa messe la plus célèbre parmi la quarantaine qu’il écrivit, et qui à l’époque suscita un clivant scandale. On se souvient de l’enregistrement par John Hoban (gravé chez CRD dans la foulée d’un concert à Barcelone en octobre 1978), actualisé par le flamboyant CD de Gustav Leonhardt (DHM 1992). Valls fut aussi un innovateur dans le genre du Villancico et de la Messe où il osait des sections contrastées, tant pour le rythme que la tonalité. Il légua un fondamental traité, Mapa Armónico-Práctico, illustrant les techniques anciennes du contrepoint mais aussi du nouveau style concertato.

Son opus ultimum daté de 1740 et en l’honneur de João V, la Missa Regalis, se caractérise par son esthétique sobre, ce qui s’explique par les stricts canons de la chapelle du Roi du Portugal, dérivés de l’obédience au cérémonial romain. Comme la Missa Scala Aretina, elle fonde le cantus firmus sur l’hexacorde. Ici transposé sur ré, et qui alimente deux autres échelles (figurant sur la page titre !), par tierces et quartes, utilisées en séquence ascendante ou descendante, engendrant un ingénieux tissu polyphonique. Non accompagné par un orchestre en grande pompe, mais un discret continuo qui (en l’absence d’indication autographe) a ici opté pour orgue, douçaine et basse de violon. On observera que le Benedictus, conformément à la pratique liturgique ibère en ce temps, est absent de la nomenclature. Le présent album aurait pu en inclure le plain-chant. Depuis les années 1980, Simon Heighes s’est penché sur cette œuvre conservée à la Biblioteca de Catalunya, qui lui transmit une copie ; il est l’auteur de la performing edition qui est ici enregistrée pour la première fois, et il argumente toutes les subtilités de langage dans son intelligente notice. 

Les choristes du Keble College cisèlent une interprétation à la fois précise, souple et lumineuse, dans une perspective large et une acoustique agréablement réverbérée. On saluera cette prestation dans la mesure où sa chaleur n’est pas la qualité qu’on prête toujours aux équipes anglaises. Quelques individualités ressortent dans la texture, notamment au sein du Credo, et évitent une parure trop lisse ou austère. On est également séduit par la ductilité du souffle qui émane d’un plateau pourtant étoffé (une trentaine de chanteurs)et qui valorise la présence des voix féminines. Tout ceci nous garantit de sveltes inflexions. Le « chant du cygne » de Valls se fait ici rayonnant. Le programme intercale trois Tientos des deux grands maîtres de l’orgue baroque espagnol, joués sur l’Aubertin du St John’s College (33 jeux sur trois claviers & pédalier), instrument d’esthétique classique française compatible avec des répertoires voisins : un choix judicieux, qui inspire à Matthew Martin des phrasés fluides et aérés (un peu vifs, surtout pour Cabanilles) mais moins charismatiques que sa conduite de la messe.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 10 (Au regard de l'exceptionnelle qualité du livret, nous n'avons pas minoré l'évaluation que nous établissons à 10/10) – Répertoire : 9 – Interprétation : 7 (orgue) et 9 (messe)

 

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