Des cordes sereines, douloureuses ou passionnées pour Pēteris Vasks

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Pēteris Vasks (°1946) : Musica serena, pour orchestre à cordes. Musica dolorosa, pour orchestre à cordes. Musica appassionata, pour orchestre à cordes. Concerto n°2 pour violoncelle et orchestre à cordes « Présence ». Uladzimir Sinkevich, violoncelle ; Anna-Maria Palii, soprano ; Münchner Rundfunkorchester, direction Ivan Repušić. 2020. Notice en allemand et en anglais. 76.53. BR Klassik 900336.

Dans sa production, le compositeur letton Pēteris Vasks a toujours eu une prédilection pour les cordes, leur transparence, leur capacité de pouvoir expressif, de confidence élégiaque et de transmission émotionnelle. Ce fils d’un pasteur baptiste a étudié le violon, puis la contrebasse et la composition à Vilnius, en Lituanie. L’une de ses partitions les plus célèbres, son Concerto pour violon et orchestre « Distant Light », d’une haute élévation, a fait l’objet d’enregistrements auxquels Crescendo a fait écho. Dans le présent CD, trois partitions, étalées sur une trentaine d’années, entre 1983 et 2015, sont consacrées exclusivement aux cordes. C’est le cas aussi du Concerto pour violoncelle n° 2 qui complète le programme, avec intervention d’une voix de soprano, et date, lui, d’il y a une dizaine d’années.

En 1983, Vasks compose Musica dolorosa, après la disparition de sa sœur Marta. Il s’agit d’une poignante lamentation de treize minutes, basée sur le Mater dolorosa, souffrance intime sur laquelle vient se greffer la pénible situation politique de la Lettonie, alors sous domination soviétique. Le sentiment tragique tissé par les cordes domine, dans un univers qui semble sans espoir. Près de vingt ans plus tard, en 2002, le contexte historique a évolué, la Lettonie est devenue un état indépendant depuis 1991. Musica appassionata est créée à Vaasa, en Finlande, par l’Orchestre de chambre d’Ostrobothnie, sous la direction de Juha Kangas (°1945), un ami de Vasks. Si l’intensité émotionnelle demeure, les contrastes dynamiques sont accentués, dans un contexte chaleureux et expressif qui parcourt les dix-huit minutes de la partition, envoûtante, mais aussi traversée de climax, de rythmes et de passages en pizzicato. La musique porte bien son titre : « passionnée », elle entraîne l’auditeur dans un univers sonore fascinant. C’est aussi le cas pour la lumineuse Musica serena de 2015, écrite pour le même ami, Juhan Kangas, à l’occasion de son 70e anniversaire. Plus condensée (une dizaine de minutes), cette page qui ouvre le programme du CD, s’inscrit d’emblée dans une atmosphère claire et aérée qui va peu à peu se développer vers un crescendo de grande ampleur avant de retrouver le pianissimo par lequel cette page a débuté. Dans ces trois œuvres dont l’inspiration couvre trente années, le compositeur assure une continuité dans sa conception d’une musique qui fait appel à une attitude contemplative, avec une vision du monde qui englobe l’homme et la nature dans un vaste projet intériorisé. C’est à la fois beau, éloquent et très communicatif, car Vasks s’adresse à l’intimité de chacun d’entre nous.

Le Concerto pour violoncelle n° 2 de 2011/12 se situe dans la même veine philosophico-musicale, mais sa dimension même (trente-cinq minutes, avec une courte intervention d’une soprano dans le Final), lui confère une portée encore plus vaste. En 1993/94, Vasks avait écrit un premier concerto pour violoncelle, dans lequel la tonalité était quelque peu bousculée par l’influence de Penderecki, vite abandonnée. Ici, on baigne dans un univers de timbres que les violons, les altos, les violoncelles et les contrebasses tissent autour de l’instrument soliste qui évoque l’évolution d’un être humain sur la terre. L’œuvre a été écrite à la demande de la virtuose argentine Sol Gabetta, qui l’a créée le 25 octobre 2012 à Gand avec l’Amsterdam Sinfonietta, sous la direction de la violoniste et cheffe d’orchestre écossaise Candida Thompson, avant de la graver pour le label Sony avec la même équipe. Le lent et méditatif premier mouvement Cadenza I - Andante cantabile est une illustration des premiers pas dans la vie, gonflés « d’amour et d’idéalisme », selon les propos mêmes de Vasks. Ces dix minutes d’émotion sont suivies d’un Allegro marcato incisif, signe des perturbations et des aspects négatifs qui traversent l’expérience d’une existence, avec en permanence la question que le compositeur dit avoir voulu suggérer dans cette musique pleine de puissance, avec des cadences solistes éperdues : « Comment accomplir son destin sur terre ? Quelle direction doit prendre la vie ? » Le vaste Adagio final tente d’apporter un sens au questionnement, à travers une vision cosmique et un retour à la terre et à la nature, portés par une berceuse et des allusions à la musique populaire. C’est alors que s’élève, comme en extase, une voix humaine dont la dimension spirituelle porte le sous-titre de la partition « Présence » au plus haut degré de l’incantation. Ce temps est court mais, dans sa capacité d’apesanteur, il semble ouvrir sur l’éternité. Il était chanté par Sol Gabetta elle-même lors de la création et sur le CD qui a suivi. Dans la présente version, dont l’immatérialité va aussi loin que dans la version Sony, c’est la voix d’Anna-Maria Palii que l’on entend ; membre des chœurs de la Radio bavaroise, elle s’est déjà produite comme soliste dans Mozart, Humperdinck, Weber ou Britten. Elle donne à ce bref moment une aura luminescente. Au violoncelle, le Biélorusse Uladzimir Sinkevich, violoncelle principal du Münchner Rundfunkorchester depuis 2011, s’investit dans un esprit hautement spirituel tout au long de ce parcours fortement émotionnel, qu’il traduit, sous la baguette inspirée d’Ivan Repušić, avec une juste compréhension du message que contient la musique de Vasks. Ce dernier a de la chance : ses partitions inspirent les solistes et les orchestres. On ne départagera pas la présente version de celle de Sol Gabetta ; toutes deux se situent à un remarquable niveau et peuvent sans souci faire bon ménage sur les rayons d’une discothèque. 

Son : 10    Livret : 9    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix  

Ivan Repusic, chef d’orchestre 

 

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