Des "Folles Journées", un concept festivalier idéal !

par

Que recherche-t-on "en festival"? Des festivités, cela va de soi; estivales, c'est la saison. Si l'ambiance est festive, c'est encore mieux! Qu'est-ce qui rend festives les trois journées de Flagey? Le vaste choix de musiques, la qualité des interprètes, des concerts de trente à quarante-cinq minutes répartis sur quatre studios et au Marni, pas de collets montés, la place réservée aux enfants, le prix des places variant de 10 à 17 euros, le lieu légendaire du grand paquebot de Joseph Diongre qui abrita durant presque quarante ans l'INR (Institut National de Radiodiffusion) avant de devenir un centre culturel de premier plan à l'acoustique particulièrement soignée, un chapiteau Place Sainte-Croix où se succèdent divers ensembles sur le thème "The Danube Experience" qui colore les trois journées du Festival Musiq'3 ainsi que l'ensemble du Festival de Wallonie dont il fait partie.
C'était la quatrième édition du Festival Musiq'3 qui, avec ses 34 concerts quasi tous "sold out" a renouvelé ses succès précédents. vaste choix de musiques, la qualité des interprètes, des concerts de trente à quarante-cinq minutes répartis sur quatre studios et au Marni, pas de collets montés, la place réservée aux enfants, le prix des places variant de 10 à 17 euros, le lieu légendaire du grand paquebot de Joseph Diongre qui abrita durant presque quarante ans l'INR (Institut National de Radiodiffusion) avant de devenir un centre culturel de premier plan à l'acoustique particulièrement soignée, un chapiteau Place Sainte-Croix où se succèdent divers ensembles sur le thème "The Danube Experience" qui colore les trois journées du Festival Musiq'3 ainsi que l'ensemble du Festival de Wallonie dont il fait partie.
C'était la quatrième édition du Festival Musiq'3 qui, avec ses 34 concerts quasi tous "sold out" a renouvelé ses succès précédents.
Parmi les concerts auxquels a pu assister Crescendo, on en relèvera ici quelques-uns.

- Vox Luminis dans le Kaiser Requiem K51-53 de Joseph Fux, un compositeur qui, pour être un peu oublié aujourd'hui, fut très admiré par Jean-Sébastien Bach et référence des apprentis compositeurs de Haydn à Beethoven. Cette fois, pour une question de répertoire, l'ensemble était accompagné du Scorpio Collectief. "Voix de la lumière", l'ensemble porte magnifiquement son nom par la pureté vocale de l'ensemble, la finesse des affects et le soin apporté à la polyphonie qui magnifie tout ce qu'il touche dans son intime beauté. Cet ensemble belge fête cette année son dixième anniversaire et avait déjà été remarqué par le jury des ICMA (International Classical Music Awards) en 2012 pour leur entrée discographique avec le Musicalische Exequien de Schütz chez Ricercar. Depuis, de nombreux prix se sont succédés et l'ensemble connaît une renommée internationale.
Samedi 28 juin, 19h, Flagey, Studio 4

- Brundibar, opéra pour enfants de Hans Krasa. En cette année de commémoration des deux guerres, l'opéra de Hans Krasa était bien d'actualité: il fut joué par les enfants de Terezin pour tromper la Croix-Rouge sur les conditions de détention dans le camps. L'histoire : deux enfants doivent acheter du lait pour sauver leur mère malade; Brundibar est le méchant qui se met sur leur route; mais tous les enfants se réuniront pour terrasser l'indésirable. Ils étaient seize, âgés de 8 à 14 ans, qui ont travaillé durant leurs vacances et tous les dimanches de mai et de juin sous la direction toujours professionnelle et dynamique de Patrick Leterme que l'on avait déjà pu apprécier dans La Mélodie du Bonheur -dont on retrouve ici plusieurs enfants- et la mise en scène de Vincent Goffin assisté d'Héloïse Mathieu pour les costumes. Pour résumer l'ensemble: une totale réussite! Une dizaine de musiciens sont réunis sur le côté gauche de la scène, dirigés par Patrick Leterme alternant le piano et l'accordéon. Sans bruit, les enfants entrent sur le côté droit habillés de vêtements de fortune à la dominante ocre jaune. Pour seuls décors, d'anciennes caisses à claire-voie qui se feront chaises, podium, lit, murs d'où s'ouvrent quelques fenêtres... la magie opère... Le public -tant adultes que les nombreux enfants- est capté par l'investissement des jeunes chanteurs, tels de vrais professionnels dont bien des adultes pourraient prendre de la graine, notamment au niveau de l'élocution et de la justesse. La musique de Krasa est toute imprégnée d'accents tchèques que concrétisent en outre les clarinettes, trompette, flûte, accordéon et percussions associées aux cordes. Brundibar tournera dans tous les lieux du Festival de Wallonie cet été. Surtout, ne le manquez pas!
Dimanche 29, 11h, Flagey, Studio 4

- L'art de Jodie Devos
Jodie Devos, la soprano belge dont personne n'a oublié le nom depuis son 2e Prix au Concours Reine Elisabeth, était doublement l'invitée du Festival Musiq'3 : en récital avec le pianiste Daniel Thonnard et en concert avec le Brussels Philharmonic et le Kocani Orkestar dirigés par Enrique Mazzola qu'il vaut mieux oublier tout de suite tant son caractère "pompier" clôtura, malheureusement de façon intempestive, le Festival. Cela n'empêcha pas Jodie Devos d'incarner une fabuleuse Reine de la Nuit dans ses coloratures les plus extrêmes... car on n'écoutait et ne voyait plus qu'elle tant cette interprète a l'art d'investir totalement son rôle. L'après-midi était consacré à la mélodie et au lied, avec l'amour pour fil conducteur. Il est rare de pouvoir réussir un parcours si éclectique avec un égal bonheur. Ce fut le cas. Schubert, Richard Strauss, Mozart, Debussy, Fauré, Frank Bridge, l'Américain Joseph Schwantner et Irène Poldowski qui n'est autre que la fille de Henryk Wieniawski et que l'on découvre avec bonheur dans trois mélodies de Paul Verlaine. Malgré la fatigue que peut engendrer le parcours du Reine Elisabeth suivi de la série de ses concerts, la soprano en fait fi; on la retrouve avec la même sûreté dans tous les registres, la qualité de son timbre lumineux et de la conduite des phrases, son intelligence du texte, son grand talent de comédienne, la générosité de son chant. Pour la petite histoire, on retrouvait dans la salle des enfants venus écouter leur "grande soeur", puisque Jodie Devos était Liesl dans la Mélodie du Bonheur sous la direction du même Patrick Leterme. Un bonheur ne vient jamais seul!
Flagey, Dimanche 29 juin, Studio 1 à 16h, Studio 4 à 19h
Bernadette Beyne

- Roby Lakatos et ses amis
Ensemble Roby Lakatos ; Laszlo Balogh, guitare ; Kalman Ceski, piano ; Jeno Lisztes, cymbalum ; Laszlo Lisztes, contrebasse ; Laszlo Boni, second violon
"La Passion"
New Alliance - Roby Lakatos
Oblivion - Astor Piazzola
Deux guitares
Fly of the Bumbeblee - Korsakov
Dorogoi Dlinnoyu - Boris Fomin
SK Paraphrase - Roby Lakatos
On ne présente plus Roby Lakatos, le violoniste hongrois-tzigane par excellence qui touche toutes sortes de musiques, du folklore de sa Hongrie natale au jazz américain en passant par la musique latine et les grands tubes de la musique classique. Dans le grand Studio 4 de Flagey, Lakatos a subjugué une fois de plus par la maîtrise extraordinaire de son instrument et de la scène. Il était accompagné par d'aussi bons musiciens que lui, tous des amis. Le concert était consacré à des pièces qui se trouvent dans son dernier disque : La Passion. Des reprises de tangos d'Astor Piazzola, des créations originales inspirées par des musiques du monde et des adaptations de grands classiques de la musique dont une incroyable reprise du Vol du bourdon au cymbalum par le virtuose Jeno Lisztes… Nom prémonitoire. Le cymbalum, instrument typique hongrois fait partie de ces instruments qui étonnent par leur sonorité et leur capacité à aller à des vitesses vertigineuses : pourtant, cet instrument n'a rien de complexe, de simples baguettes tapant des cordes tendues sur une table. Le public du Studio 4 n'en croyait pas ses oreilles. L'ensemble de Roby Lakatos a l'art de mélanger diverses influences et de se créer un son unique et une esthétique très personnelle; peu d'ensemble donnent à ce point l'impression d'être connecté en permanence. Ils jouent avec un plaisir extrêmement communicatif et se jouent des difficultés de leurs instruments comme personne. Roby Lakatos est une énigme pour bon nombre de violonistes. Comment fait-il ceci ? Où trouve-t-il ce son ? Comment joue-t-il si juste ? Rien chez lui ne sent le travail ou la difficulté. Il a dépassé le stade du virtuose, il n'y a plus aucun obstacle technique entre la musique et lui. Un concert stupéfiant de virtuosité et de naturel.
Flagey, Studio 4, le 27 juin 2014

- Pascal Sigrist : Croisière sur le Danube
Wolfgang Amadeus Mozart, Variations sur "Ein Weib ist das herrlichste Ding", KV. 613
Franz Schubert, Valses
Johannes Brahms, Valse n°15 en la bémol majeur, op. 39
Franz Liszt, Valse-Impromptu, S. 213
Béla Bartók, Danses roumaines, Sz. 56, BB. 68
C'est une belle croisière musicale sur le Danube que nous a offert le pianiste suisse assimilé Belge depuis plusieurs décennies. Concert commenté qui nous a permis de suivre les liens entre tous ces compositeurs et le Danube. La présentation des pièces est claire et concise et le jeu de Sigrist l'est tout autant. Direct et sans barrière émotionnelle. Les Valses de Schubert sont jouées comme Schubert devait les jouer à l'époque, lors de ses fameuses Schubertiades ; simples, dansantes et de bon goût. De la belle musique qui cache par moments quelques élans nostalgiques et mélancoliques. La Valse-Impromtu de Liszt fut particulièrement réussie, très fine et contrôlée. Le jeu de Pascal Sigrist convient parfaitement à la musique de Liszt, avec sa grande aisance technique et sa vigilance à toutes les subtilités harmoniques. Les célébrissimes Danses roumaines de Bartok furent, elles aussi, très bien jouées car Sigrist ne tombe pas dans le cliché de la musique folklorique aux accents trop paysans. Cette musique comporte parfois ces risques. Elles furent jouées sans emphase et très simplement. Une beau concert aux commentaires utiles qui nous ont fait voyager sur les rives du beau Danube pas seulement bleu.
Flagey, Studio 1, le 28 juin 2014

Jean Rondeau : Clavecin en liberté
Giovanni Pierluigi Da Palestrina, Ricercar del primo tuono
Johann Joseph Fux, Harpeggio e Fuga — Ciaccona — Sonata quarta (Andante, Allegro assai)
Gottlieb Muffat, Componimenti musicali V : Ouverture (Allegretto, Vivace)
Georg-Christoph Wagenseil, Sonate en Fa majeur, op. 1 : Allegro Assai, Andantino Grazioso, Tempo di Minuetto
Joseph Haydn, Sonate pour piano n°31, Hob.XVI:46 : Adagio en ré bémol majeur
Jean Rondeau est un très jeune (23 ans !) claveciniste aux goûts très éclectiques et au parcours déjà bien entamé. Ses goûts musicaux variés le portent vers la musique ancienne bien évidemment, mais aussi vers le jazz, le rock et l'improvisation autant sur clavecin que sur piano moderne. Le programme qu'il a choisi comprend des compositeurs ayant un lien plus ou moins direct avec le Danube. Dès les premières notes de l'oeuvre de Palestrina, on sent un musicien sûr de lui et des sonorités qu'il veut tirer de son instrument. Rondeau a un jeu intelligent, limpide et très musical. C'est un romantique tombé dans la musique ancienne et c'est un grand plaisir d'écouter un jeune musicien passionné par cette musique en lui donnant une nouvelle jeunesse, enthousiaste et vivante. Le jeu est spécialement vivant, il nous emporte dans le voyage musical et nous guide à travers cette musique qui peut parfois paraître austère et  complexe. La sincérité et la spontanéité de son jeu donnent l'impression que la musique se crée instantanément sous ses doigts et qu'elle ne fut pas écrite il y a des siècles. Musicien à suivre.
Flagey, Studio 1, le 28 juin 2014

Edgar Moreau : L'archet prodige
Jean-Sébastien Bach, Troisième Suite pour violoncelle seul en do mineur
Ludwig van Beethoven, Bei Männern, welche Liebe fühlen, Wo0. 46 (7 variations sur un thème de la Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart)
Christoph Willibald von Gluck, Melodie
Vittorio Monti, Czardas
Pierre-Yves Hodique : piano
Plus jeune encore que le claveciniste Jean Rondeau, Edgar Moreau le violoncelliste français du moment. Lauréat de nombreux grands concours internationaux et révélation instrumentale aux dernières victoires de la musique classique, Edgar Moreau débute à 20 ans une carrière internationale sur de solides bases.La Sonate pour violoncelle seul de Kodaly initialement prévue fut remplacée par la Troisième Suite de Bach. Un bonheur pour nous car elle fut remarquablement jouée. Il est rare d'entendre de jeunes musiciens exceller dans Bach, compositeur universel mais si complexe. Moreau a un jeu énergique, rapide et d'une grande émotion. Il n'est pas dans la maîtrise contrôlée et trop policée, il se donne entièrement à la musique, sans barrières techniques. Il dispose d’un large éventail de couleurs et de sons qui confèrent une fraîcheur incroyable à cette musique. Sans vibrato malvenu dans cette pièce, Edgar Moreau a le goût sûr et n'a pas oublié que chaque morceau de cette Suite est une danse ! Moreau injecte dans Bach sa jeunesse, sa fougue et une grande variété de couleurs. Ajoutées au programme, les Variations de bravoure sur des thèmes de Moïse de Rossini de Paganini furent phénoménales. Quelle aisance technique et musicale ! Tout semble couler se source naturellement. Et quelle complicité avec l'aussi jeune pianiste français Pierre-Yves Hodique au jeu sûr et à l'écoute permanente de son partenaire. Le son du violoncelle de Moreau est chaleureux, ample et très chantant. Il impressionne le public par sa musicalité plus que par sa stupéfiante technique. Un jeune musicien mais déjà un grand artiste.
Flagey, Studio 1, le 28 juin 2014

- Louis Lortie and friends : Quintette de Dvorak
Antonin Dvorák, Quintette pour piano en la majeur, op.81
Gustav Mahler, Quatuor pour piano et cordes en la mineur (1877)
Philippe Graffin, premier violon ; Gérard Caussé, alto ; Louis Lortie, piano ; Marie Hallynck, violoncelle ; Ning Kam, second violon
Le trop rare Louis Lortie était accompagné par d'aussi grands musiciens que lui dans deux grands chefs-d'oeuvre de la musique de chambre. Le Quatuor pour piano et cordes en la mineur de Mahler découvert il y a quelques années est une oeuvre d'une incroyable beauté et nous fait regretter que le compositeur ne se soit pas plus intéressé à la musique de chambre. Oeuvre de jeunesse certes mais d'une rare intensité musicale et qui témoigne du grand don mélodique du jeune compositeur. L'oeuvre fut jouée magnifiquement mais on aurait aimé plus de présence du pianiste, parfois trop en retrait. Le violoncelle de Marie Hallynck sonne comme peu de violoncellistes savent le faire sonner; un son ample, chaud et d'une profondeur inouïe, elle est toujours à l'écoute de ses partenaires et sait leur répondre toujours de façon très juste. On ne peut pas non plus passer à côté de l'altiste Gérard Caussé au son large et généreux. L'oeuvre est jouée avec énergie, très contrastée, ce qui lui convient bien. Le Quintette pour piano en la majeur de Dvorak fut encore plus réussi. On a senti Louis Lortie plus à sa place, déployant un jeu construit, intelligent et d'une grande aisance musicale. Le premier violon Philippe Graffin a conduit ce quintette d'une façon très énergique, intense, donnant à l'oeuvre tout son sens. Le mouvement lent fut d'une grande réussite, touchant et paisible, les musiciens échangeant simplement. Lortie se joue des difficultés pianistiques de cette pièce et semble en permanence concentré sur l'homogénéité de son de l'ensemble. Le résultat est là. Une grande leçon de musique de chambre.
Flagey, Studio 4, le 28 juin 2014

- Sophie Karthauser : Apparition !
Wolfgang Amadeus Mozart, Das Veilchen ; Sei du mein Trost ; Der Zauberer ; Abendempfindung
Clara Schumann, 4 Rückert Lieder : Er ist gekommen in Sturm und Regen — Liebst du um Schönheit — Warum willst du And're fragen — Die gute Nacht, die ich dir sage
Francis Poulenc, Tel jour telle nuit (Cycle de neuf mélodies sur des poèmes de Paul Éluard), FP. 86 ;  À sa guitare ; Les chemins de l'amour
Eugène Asti : piano
On retrouvait Sophie Karthäuser dans un récital consacré à son cher Mozart mais aussi à quelques lieder oubliés de Clara Schumann et des mélodies de Poulenc. Dès les premières notes, on sent que ce sera un Mozart fin et élégant. La voix de la soprano est pure, sans effet et d'une grande puissance émotionnelle. Son Mozart coule de source. Chaque phrasé, chaque respiration et chaque nuance sont à leur place. Le pianiste Eugène Asti est aussi fin qu'elle et lui amène chaque phrase parfaitement. La complicité de ces deux artistes est évidente. Les 4 Rückert Lieder de Clara Schumann sont d'une grande musicienne à l'égal des lieder de son mari. Dommage qu'ils ne soient pas plus chantés. Sophie Karthäuser en a fait des bijoux de poésie. Tout semble simple, les couleurs sont dosées et contrastées, les lignes mélodiques claires et le rubato sincère sans effort. Les mélodies de Poulenc furent du même niveau. Chez Poulenc, il est parfois malaisé de se situer entre sentimentalisme ironique et profondeur sincère. Ce ne fut pas le cas ici. Le cycle inspiré par Paul Éluard fut admirablement bien chanté. Ajouter de la poésie à celle d'Éluard, Poulenc l'a fait. Karthäuser et Asti aussi. Simple, honnête et directe, cette musique parle au coeur sans obstacle. Un beau moment de complicité musicale.
Flagey, Studio 4, le 28 juin 2014

Alexeï Lubimov
Franz Schubert, 4 Impromptus op. 90, D.899
Ludwig van Beethoven, Sonate pour piano n° 14 en do dièse mineur, op. 27/2, "Clair de lune"
Véritable institution de l'école russe de piano, Alexei Lubimov est un touche-à-tout de génie. Il connaît aussi bien la musique baroque que les compositeurs de l'avant-garde qu'il a pratiqué énormément durant sa jeunesse. Il joue beaucoup sur clavecin et, surtout, sur pianoforte les compositeurs auxquels il se consacre ces dernières années : Schubert, Mozart, Haydn et Beethoven. Le studio 4 fut le théâtre de la rencontre d'une copie d'un pianoforte de Conrad Graf réalisée par Chris Maene avec Schubert et Beethoven. Et quelle rencontre! Les magnifiques Impromptus op 90 furent joués comme rarement. De cette musique à la fois simple mais si inaccessible par certains côtés, Lubimov saisit et offre toutes les beautés. Attaque précise, contrôle des voix et une grande science des plans sonores. Et une musicalité inimitable. On est loin des versions parfois lisses de certains interprêtes. Les Impromptus “ naissent ” de ses doigts, il joue comme s'il improvisait. Le son du pianoforte pouvait au début paraître un peu faible par rapport aux Steinway habituels mais l'écoute du public est d'une telle attention et le son de Lubimov offre tellement de subtilités que l'oreille s'habitue bien vite et qu'on en délaisserait presque la puissance massive des pianos modernes. Lubimov joue des multiples harmoniques de l’instrument et donne à entendre telle couleur ou telle harmonie qu'on entendrait sur un piano moderne. Les dynamiques changent aussi : le son du piano est plus clair, plus direct et moins sourd ou étouffé. Le premier mouvement de la Sonate "Clair de lune" fut joué dans un tempo assez allant, droit mais tellement chantant et profond. Son jeu est simple et efficace, son expression nourrie d'une intelligence musicale parfaite, de cette profonde connaissance d’oeuvres qu'il côtoie depuis des décennies. Un concert qui fait redécouvrir des oeuvres très connues. Un pianiste qui confirme son statut de légende.
Flagey, Studio 4, le 29 juin 2014
François Mardirossian

Bruxelles, Flagey, du 26 au 29 juin 2014

Les commentaires sont clos.