Des interprètes polonais enflamment l’accordéon et la guitare

par

Albert Hamann (1939-2003) : Suite ‘Azanca’ pour guitare, accordéon et orchestre à cordes. Máximo Diego Pujol (°1957) : Suite ‘Buenos Aires’ pour accordéon et guitare. Richard Galliano (°1950) : Opale Concerto pour accordéon et orchestre à cordes. Elwira Śliwkiewicz-Cisak, accordéon ; Jakub Niedoborek, guitare ; Silesian Chamber Players, direction Piotr Wijatkowski. 2021. Notice en polonais et en anglais. 57.02. Dux 1852.

Dans son pays, l’accordéoniste polonaise Elwira Śliwkiewicz-Cisak (°1962) est une artiste de premier plan dont l’audience a été favorisée notamment par des enregistrements pour la radio et la télévision nationales. Elle a accompli ses études à l’Académie de Musique Chopin de Varsovie dans la classe de Lech Puchnowski (1932-2014), considéré comme le promoteur de l’accordéon en Pologne ; ce pédagogue a fondé un quintette, devenu célèbre, pour l’instrument. La soliste qui nous occupe ici est le fil rouge d’un album sur lequel plane le souvenir d’Astor Piazzolla. La Suite ‘Azanca’ pour guitare, accordéon et cordes d’Albert Hamann ouvre le programme. Ce bandonéoniste et compositeur, originaire de Garches, a accompli sa formation à Paris. Fasciné dès l’âge de huit ans par les créations de Piazzolla, il a effectué avec son quintette maintes tournées internationales qui l’ont conduit jusqu’à Buenos Aires. Il s’est produit avec le maître argentin à plusieurs reprises. Dans la ligne de l’Hommage à Liège de ce dernier (voir à ce sujet notre article du 3 janvier 2022), cette suite en trois mouvements concrétise une réflexion de Hamann rapportée dans la notice : le tango est plus que du rythme, c’est un état d’esprit, un chemin de vie et de pensée. L’Allegro initial illustre cet acte de foi musical entre contrastes fougueux et fin lyrisme. Dans l’Andante, le son poétique de la guitare ajoute de l’intensité émotionnelle au dialogue avec l’accordéon. L’Allegro marcato final exploite une mosaïque de couleurs sonores agrémentées d’effets de percussion. Ici aussi, l’apport délicat de la guitare est couplé à l’accordéon avec une belle science instrumentale.

L’affiche se prolonge par la Suite ‘Buenos Aires’ de l’Argentin Máximo Diego Pujol, écrite au départ pour flûte et guitare. Cette pièce est dédiée à l’éminent guitariste anglais Julian Byzantine. Influencé lui aussi par Piazzolla et le tango. Pujol rend hommage à quatre lieux emblématiques de la capitale de l’Argentine : le quartier populaire de Pompeya, où le tango est né, Palermo, la partie administrative de la cité, avec son paysage urbain et sa multiculturalité, et San Telmo, vieux district avec son abondance de marchés et de cafés, et ses soirées de danse. Microcentro, centre commercial animé, clôture cette promenade, qui peut s’assimiler à une découverte mythique du tango originel. Il s’agit ici d’un arrangement pour guitare et accordéon effectué par les deux solistes/complices qui recréent avec un goût très sûr les atmosphères festives, colorées ou descriptives de la visite, comme un retour aux sources.

L’album est complété par l’Opale Concerto d’un autre Français, Richard Galliano, né à Cannes.

Il compte à son actif des enregistrements pour Deutsche Grammophon et a travaillé avec des chanteurs, notamment avec Claude Nougaro. Considéré comme un accordéoniste exceptionnel qui a été aussi attiré par le jazz, Galliano, fasciné par Piazzolla, a accolé au tango un style français populaire, dans la tradition de la musette. Un album de 1996 (New York Tango, chez Dreyfus Jazz) constitue la matière de base de l’exaltant thème principal de l’Allegro energico, troisième mouvement qui clôture cet Opale Concerto pour accordéon et cordes. L’Allegro furioso initial est, quant à lui, placé sous le signe d’un dynamisme ardent, avant un Moderato malinconico où la nostalgie s’alimente auprès de souvenirs de valse, avant une excitation conclusive. L’accordéoniste montre l’étendue de son talent dans une cadence qui la met bien en valeur.

On ne peut que couvrir de louanges Elwira Śliwkiewicz-Cisak pour la virtuosité qu’elle apporte à ces pages pleines de sève et de vitalité. Elle joue non seulement avec un art consommé, mais elle ajoute à sa démonstration une ferveur qui fait mouche. Les interventions du guitariste Jakuk Niedoborek, formé à l’Académie de musique Szymanowski de Katowice, sont à placer au même niveau d’excellence. Il a lui aussi beaucoup enregistré pour la radio et la télévision polonaises. Ces deux remarquables solistes sont en vraie connivence avec les Silesian Chamber Players, menés avec un souci constant du détail et du rythme par Piotr Wijatkowski, un élève de Henryk Czyz à Varsovie et de Michael Gielen à Salzbourg. 

Voilà en tout cas une heure de vif plaisir musical, enregistrée les 29 et 30 janvier 2021, qui apporte la preuve de l’universalité du tango nuevo, enflammé par Astor Piazzolla, et des multiples facettes qu’il inspire.  

Son : 10  Notice : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 



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