Le Carnaval de Venise d’André Campra : retour au catalogue

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André Campra (1660-1744) : Le Carnaval de Venise, opéra-ballet. Salomé Haller, dessus (Isabelle). Marina De Liso, bas-dessus (Léonore). Andrew Foster-Williams, basse-taille (Rodolphe). Alain Buet, basse-taille (Léandre). Mathias Vidal, haute-contre. Sarah Tynan, dessus (Euridice). Blandine Staskiewicz, bas-dessus. Luigi De Donato, basse. Olivier Schneebeli, Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. Hervé Niquet, Chœur et Orchestre du Concert Spirituel. Livret en français, anglais, allemand ; paroles en langue originale sans traduction. Janvier 2011 (rééd. 2022). TT 69’54 + 58’29. Glossa GCD 921632

Réédition de cet enregistrement réalisé exactement trois cents ans après que le Grand Dauphin fit rejouer en 1711 cet opéra-ballet, initialement créé en janvier 1699 dans la Salle du Palais-Royal. L’œuvre était tombée dans l’oubli, avant son exhumation en 1975 (sous la direction de Michel Plasson, mise en scène de Jorge Lavelli) à l’occasion du Festival d’Aix-en-Provence -ville natale d’André Campra. Celui-ci assura la transition de l’art lyrique entre Lully et Rameau, durant le long crépuscule du règne de Louis XIV. À l’instar des bals masqués de L’Europe Galante (1697), l’histoire se déroule à Venise dont la « sérénissime république », outre la touche de latinité qu’elle instille, peut se comprendre comme une sédition envers l’absolutisme du Roi Soleil. Pour cette thèse, voir l’article Carnival in Venice or Protest in Paris? Louis XIV and the Politics of Subversion at the Paris Opéra de Georgia Cowart (in Journal of the American Musicological Society, Vol. 54, No. 2, été 2001, pp. 265-302).

Tout comme l’Ariane à Naxos de Richard Strauss, l’intrigue intègre une mise en abyme, -un théâtre dans le théâtre. Le Prologue évoque les préparatifs du spectacle, achevés avec le concours des divinités des arts. Sur fond de quiproquos, jalousie, complots et vengeance, les actes I et II illustrent le chassé-croisé amoureux d’Isabelle, Léonore, Rodolphe, Léandre. Quatre galants issus de la commedia dell’arte, alors que, deux ans avant la création de ce Carnaval de Venise, la compagnie de la Comédie-Italienne venait d’être démantelée sur ordre du roi, peut-être comme un gage posthume accordé à la défiance que Lully entretenait envers le mélodrame de sa première patrie. Ce qui n’empêcha pas l’essor des scènes à l’italienne, des vocalises, et de l’aria da capo, un art préservé par des actrices comme « Babet-la-Chanteuse » (Élisabeth Daneret). À l’Acte III, Isabelle et Léandre, réchappé d’une tentative d’assassinat sous la main de Rodolphe, prennent la fuite à la faveur d’un décor descendu des cintres qui installe une représentation d’Orfeo nell’Inferi. Divers divertissements garantissent brio et exotisme : chansons et danses de Bohémiens, d’Arméniens et d’Esclavons, Marche de la Fortune (« suivie d’une troupe de Joüeurs de toutes Nations »), entractes, réjouissance des Catelans avec fifre et tambourin. Et un bal final (Marche du Carnaval, Bourrée, Menuets, Air des Masques chinois, Forlana…) qui cite un populaire air provençal, rappelant les origines de Campra.

Cet enregistrement capté salle Colonne en janvier 2011 venait d’être rodé par une production à Utrecht en septembre, ensuite programmée à Caen et Metz (la représentation au Théâtre des Champs Élysées de Paris fut annulée en raison d’une grève des techniciens). La présence de Luigi De Donato et Marina De Liso (dont l’accent natif reste audible même si la prononciation n’en souffre pas trop) rend hommage aux influences ultramontaines de l’écriture vocale. Son personnage de Léonore et Andrew Foster-Williams insufflent une juvénile ardeur à leur rôle, qu’Alain Buet et Salomé Haller conçoivent avec davantage de composition. On saluera l’Orphée de Mathias Vidal, lumineux et digne. Le plateau choral chante à bonne école, et l’équipe instrumentale du Concert Spirituel flatte la somptuosité de la partition. Bref, un retour bienvenu au catalogue, en attendant que la discographie ne pourvoie une alternative que l’œuvre mérite.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 



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