Deuxième volet des symphonies inédites du Suisse Joseph Lauber
Joseph Lauber (1864-1952) : Symphonies n° 3 en si mineur et n° 6 en ré majeur ; Die Alpen, suite symphonique. Orchestre Symphonique de Bienne Soleure, direction Kaspar Zehnder. 2021. Notice en allemand, en français et en anglais. 72.55. Schweizer Fonogramm LC 91357.
La majorité des compositions du Suisse Joseph Lauber, en particulier ses symphonies, sont demeurées inédites, à l’abri au milieu d’archives que le chef d’orchestre Kaspar Zehnder, à la tête du Symphonique de Bienne Soleure depuis la saison 2012/13, et le label Schweizer Fonogramm ont eu le flair d’exhumer. Le 20 avril dernier, Patrice Lieberman a présenté ici le CD consacré aux deux premières symphonies de Lauber, dont il a souligné les qualités et l’intérêt. Nous renvoyons le lecteur à ce texte. Un deuxième album vient compléter le portrait de ce créateur méconnu, qui sera complet sur le plan des symphonies lorsque les quatrième et cinquième seront publiées, formant ainsi un ensemble éclairant sur l’activité de ce musicien qui consacra une grande partie de sa vie à l’enseignement.
Pour rappel, Joseph Lauber, né à Ruswil dans la campagne lucernoise, fait des débuts de pianiste à Neuchâtel dans un ensemble dirigé par son père, puis étudie plusieurs instruments au Conservatoire de Zurich avec Friedrich Hegar, un ami de Brahms, auquel il est présenté en 1881 et qui lui fait un accueil aimable. Ce sera ensuite le Conservatoire de Munich avec Joseph Rheinberger, puis Paris, avec Jules Massenet pour la composition et le virtuose Louis Diémer pour le piano. Il est nommé au Conservatoire de Zurich où il enseigne dès 1897, puis au Conservatoire de Genève, où il occupe la fonction de directeur du Grand Théâtre pendant deux ans, au milieu de la première décennie du XXe siècle. Il se consacre aussi à la composition : pages symphoniques et instrumentales, musique de chambre, mélodies, un oratorio, un opéra : « Die Hexe » (« La Sorcière »).
Lauber écrit ses deux premières symphonies en 1895-96, installé dans un chalet des Alpes vaudoises. La Symphonie n° 3 est composée à la même période. La notice propose un entretien croisé entre le chef d’orchestre Kaspar Zehnder et le directeur artistique Frédéric Angleraux, sous l’intitulé « Nature - Nation - Nostalgie, un triptyque Laubérien ». Angleraux estime que les deux premières symphonies se situent dans une phase de recherche et dans la ligne du langage musical de la fin du XIXe siècle, aux accents encore romantiques, alors que la troisième se positionne complètement dans l’évolution artistique de la deuxième, tout en utilisant un effectif plus important que la première. Zehnder rappelle que 1896 est l’année de la disparition de Bruckner avec lequel le frère de Lauber, Emil (1866-1935), a étudié à Vienne. Si l’écriture demeure traditionnelle, l’Allegro initial montre une vraie capacité de mélodiste et l’habileté de l’orchestrateur. Une influence brucknérienne se fait jour dans un majestueux Andante maestoso dont la densité est soulignée par les violoncelles et les basses dès le début pour se poursuivre par une avancée dynamique qui n’est pas dénuée d’envolées et de traits sombres, voire dramatiques (le compositeur avait choisi ce qualificatif pour désigner sa symphonie, avant d’y renoncer). L’Allegro scherzando adopte un caractère de transition plus légère avant un Final qui fait réapparaître le thème du second mouvement, puis un Allegro moderato aux couleurs chaleureuses, servies par le contrebasson et le tuba dans un rôle soliste. Zehnder y voit une musique exposée au vent et au temps et une tempête qui se prépare ; il évoque une toile de l’époque, Les mères diaboliques, signée par Giovanni Segantini (1858-1899), peintre symboliste né sur le lac de Garde mais installé en Haute-Engadine suisse, où il mourut. Le chef précise que Lauber aimait créer en pleine nature, simplement installé à une table, d’où le rapprochement avec l’art pictural.
Lorsqu’il écrit la Symphonie n° 6 cinquante ans plus tard, en 1949, Lauber a derrière lui une longue carrière. L’effectif est plus léger et la structure générale plus ramassée, que Zehnder situe dans un « néo-néo-classicisme » qui pourrait avoir été inspiré par Carl Nielsen, Lauber étant un admirateur de la musique nordique et du Danemark qu’il visita à plusieurs reprises. On y découvre une série d’interventions solistes (violon, flûte, clarinette) et un caractère global enjoué, que les deux interviewés n’hésitent pas à inscrire dans un contexte de musique de cinéma, comme s’il s’agissait d’entendre l’évolution du film muet au film sonore jusqu’à Disney. Nonobstant, on appréciera l’alacrité d’une partition séduisante, avec un Scherzo imaginatif et un Adagio d’une grande sérénité, traversé par un superbe solo de violon. Lauber retrouve le romantisme tardif qui a imprégné son inspiration première, offrant ainsi une œuvre lyrique que l’on découvre avec un sentiment de plénitude, confirmé dans l’Allegro final.
Retour sur l’année 1896, avec la suite symphonique en trois mouvements Die Alpen, qui clôture le programme. Comme l’indique son titre, c’est un hommage aux montagnes, où l’on ne retrouvera pas les aspects démesurément grandioses ou mystérieux que Richard Strauss a insérés dans son Alpensinfonie de 1915. Ici, la nostalgie traverse l’Andante initial, avec de beaux appels de cors, alors que le Tempo di Valse salue une sorte de panorama paysagiste. Dans la troisième partie, Jour d’été dans la haute montagne, on ressent comme une exaltation et une ivresse, magnifiées par l’apparition de l’ancien hymne national suisse, qui prête à confusion avec le God save the Queen. Une jolie partition que l’on pourrait comparer à un livre d’images qui aurait été préparé avec amour et fierté.
On salue l’initiative de sortir de l’ombre un compositeur qui méritait bien de quitter le purgatoire. L’Orchestre Symphonique de Bienne Soleure qui a, entre autres, bénéficié par le passé de la présence d’Armin Jordan, effectue, sous la baguette engagée de Kaspar Zehnder, un remarquable travail de précision et de recherche du beau son. La réussite est au rendez-vous. L’intégrale des symphonies de Joseph Lauber sera bientôt disponible, la parution des quatrième et cinquième est annoncée.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 8,5 Interprétation : 10
Jean Lacroix