Dossier Rimski-Korsakov (II) : un compositeur multiple

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Suite de notre dossier Rimsky-Korsakov sous la plume de Bruno Peeters. Après un premier temps consacré à ses opéras, nous partons explorer les autres facettes de son oeuvre.

  • La musique orchestrale

Même si le “Journal de ma vie musicale”, document capital sur la vie artistique de son temps, n’en parle que de manière élusive, les pièces orchestrales forment une part très importante de son oeuvre. Sans compter les huit Suites d’opéras, elles comprennent trois Symphonies, un Concerto pour piano et une dizaine de pages diverses.

Des Symphonies, on peut moins apprécier la Troisième, austère et un peu scolaire, mais la Première, de prime jeunesse (1865), est tout à fait charmante. Quant à la Deuxième, plus connue sous le nom d’Antar et s’inspirant de Berlioz -comme plus tard le Manfred de Tchaïkovski- que Rimski venait de voir diriger, elle se comporte comme un vaste Poème symphonique en quatre parties, à l’orientalisme ensorcelant, à l’instar de Schéhérazade. Celle-ci, véritable tube d’une ampleur superbe, a été écrite en 1888 tout comme ses deux autres succès purement orchestraux, l’Ouverture de La Grande Pâque russe (ou “Sainte Fête”), et le Capriccio espagnol. Rimski considérait celui-ci comme un vrai Concerto pour orchestre: “La succession des timbres, un choix heureux des dessins mélodiques et des arabesques figurales correspondant à chaque catégorie d’instruments, des petites cadences de virtuosité pour instruments solo, le rythme des instruments à percussion, etc.., constituent le ‘fond’ même du morceau, et non sa parure, c’est-à-dire l’orchestration” .

https://www.youtube.com/watch?v=SQNymNaTr-Y

Termes étonnants pour un compositeur taxé de conservatisme. Cette sensibilité au timbre se révélera très tôt, dès l’introduction magique du Poème symphonique Sadko de 1867 jusqu’à l’étrange Conte féerique (Skazka), sans thématique littéraire aucune. Sur la Tombe est une brève stèle funéraire, très noble d’accents, à la mémoire de Belaïev, et le très réussi Concerto pour piano dépasse de loin en originalité ceux de Balakirev. Il existe aussi une Fantaisie serbe pour violon et orchestre, et même des Concertos pour trombone ou clarinette et harmonie. Je m’en voudrais de ne pas citer in fine une oeuvre par trop méconnue: la Sinfonietta issue d’un Quatuor à cordes et transcrite en 1884, page délicate, au grand charme mélodique, citant entre autres le thème repris aussi par Stravinsky dans la Berceuse de L’oiseau de feu. Un petit joyau.

  • La musique vocale

Alors qu’il était adjoint de Balakirev à la Chapelle Impériale, Rimski a écrit de nombreux choeurs a capella, dont un Notre Père est encore chanté dans nos églises. Dans le domaine profane, il est l’auteur de quatre Cantates pour choeur et orchestre, dans le sillage des Ballades de Schumann. La Chanson d’Oleg et surtout Switezianka (1897) sont les plus frappantes. Tendons aussi l’oreille vers D’après Homère, prélude d’un opéra jamais écrit d’après l’Odyssée datant de l’époque de Servilia: l’évocation marine, après la walkyrienne tempête initiale, est tout à fait ravissante.

Le catalogue de ses Mélodies (ou Romances) s’élève à plus de 80. Datant pour la plupart des années 1897-98, elles développent un récitatif proche du texte, toujours choisi avec soin. Il serait bien qu’elles soient plus présentes au concert, à l’instar de celles de Tchaïkovski ou de Rachmaninov. Il importe ici de citer aussi les recueils des chants populaires russes, qui ont tant influencé son oeuvre propre aussi bien que celle d’autres compositeurs.

  • La musique instrumentale

En 1897, Nikolaï Rimski-Korsakov s’essaya à un Quatuor à cordes et à un Trio avec piano. Sèchement, il note: “Ces deux morceaux m’ont démontré que la musique de chambre n’est pas mon domaine”. Deux oeuvres relevant du genre sont pourtant passées à la postérité, écrites toutes deux en 1876 pour un concours. Si le Sextuor à cordes paraît un peu conventionnel malgré un joli andante nostalgique, le pimpant Quintette pour piano et vents est d’une belle fraîcheur, superbement écrit pour les instruments, et s’écoute avec beaucoup de plaisir. Pour le piano, dont il n’était pas virtuose, on peut citer un gentil Opus 11, Suite un petit peu trop schumanienne. Et il vaudrait peut-être la peine de redécouvrir ses multiples essais pour Quatuor à cordes, tous inaboutis.

  • Les oeuvres théoriques et les arrangements

Avant de terminer ce petit survol rimskien, il ne faut certes pas oublier les Traités théoriques, l’un sur le contrepoint, l’autre sur l’orchestration. Et surtout le fameux Journal de ma vie musicale, souvent cité, mine d’informations indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à cette période cruciale de la musique russe. Ni le colossal travail opéré sur les oeuvres inachevées de Dargomyjski, Moussorgski et Borodine. Il est de bon ton, depuis longtemps, de décrier ce travail si important à ses yeux qu’il délaissera ses propres compositions pour faire vivre celles de ses amis. Sans lui, nous ne connaîtrions ni Boris Godounov, ni La Khovantschina, ni Le Prince Igor, méticuleusement assemblés. Il y a eu d’une part la reconstruction, et d’autre part la recomposition. Sachons distinguer. Et nous souvenir des derniers mots du Maître à propos de Boris: “Si un jour, on trouve que l’original est supérieur à ma rédaction, on n’aura qu’à représenter cette oeuvre dans la partition de Moussorgski”.

Cette phrase dit à quel point Rimski s’était approprié l’opéra de son ami. La “partition de Moussorgski” domine actuellement, sans doute aucun. 

Nikolaï Rimski-Korsakov a été un homme et un musicien prodigieusement doué et diversifié. Respectueux de l’Eglise mais joyeux agnostique, il a rêvé toute sa vie d’une nature déifiée, celle du passé lointain de sa patrie musicalement naissante, pour laquelle il aura ciselé les plus beaux écrins. Virtuose de l’orchestre, il enchante toujours les amateurs de sonorités luxuriantes. Noble et privilégié de naissance, dans un pays en proie à l’excitation sociale, il a su se distinguer de son milieu pour défendre les idéaux de ses étudiants. Né alors que Glinka vivait encore, il a écouté Berlioz puis Wagner et même Debussy (dont il craignait d’admirer Pelléas et Mélisande). Son évolution musicale aura été extraordinaire, partant de la gentille tradition de sa Première Symphonie pour aboutir aux audaces inouïes de Mlada, de Katscheï l’Immortel ou du Coq d’Or. Audaces que récupérera avec avidité son tout jeune protégé, Stravinsky, dès son éblouissant Feu d’artifice qu’il ne put montrer à son Maître décédé subitement... Qui sait à quels rivages inconnus aurait accosté cet intrépide marin?

Bruno Peeters

Crédits photographiques  : DR

Dossier Rimsky-Korsakov (I) : un compositeur opératique ?

 

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