Previn, le conteur magnifique 

par

André Previn. The Warner Complete HMV & Teldec Recordings. Livret en anglais, allemand et anglais. 1 coffret de 96 CD Warner Classics. 0190295065737.

Warner remet en boîte la totalité de ses enregistrements (Emi et Teldec) avec André Previn ! C’est une excellente idée tant ce musicien mérite un hommage adéquat. 

André Previn (né Andreas Ludwig Priwin à Berlin), c’est une carrière exceptionnelle d’une personnalité hors normes : compositeur, pianiste, jazzman, chef d’orchestre, l’artiste a marqué de nombreuses disciplines et glané de nombreuses récompenses dont 4 Oscars pour la meilleure musique de film. Presque contemporain de Leonard Bernstein (de 10 ans son aîné), il partageait avec son homologue et compatriote cette rare capacité à passer du jazz au classique, de la baguette au piano, d’une musique de film à un concerto, avec une aisance naturelle. 

Très réputé dans le monde anglo-saxon, popularisé par la télévision (André Previn’s Night Music et Previn in Pittsburgh), il restait chez nous assez discret, voire injustement négligé alors qu’il était un francophile émérite. Il faut dire que dans les pays de culture latine, on aime catégoriser et coller des étiquettes aux artistes…Mais ce profil de musicien et de chef correspond plus au goût des phalanges anglo-saxonnes, là où le maestro est un catalyseur d’énergies plus qu’un démiurge. Sauf un mandat à l’Orchestre Philharmonique d’Oslo et un poste de chef invité à la NHK de Tokyo, la carrière de Previn se développa essentiellement en Grande-Bretagne (London Symphony Orchestra, Royal Philharmonic Orchestra) et aux Etats-Unis (Houston Symphony Orchestra, Pittsburgh Symphony Orchestra, Los Angeles Philharmonic).  Mais le chef était aussi un homme de caractère, très concerné par la gestion des orchestres qui lui étaient confiés. Ainsi, il claqua violemment la porte du Los Angeles Philharmonic suite aux tensions avec le directeur général qui avait empiété sur ses prérogatives, embauchant sans lui en parler un jeune chef : Esa-Pekka Salonen. 

Le présent coffret est centré sur les années Warner alors que Previn était directeur musical du London Symphony Orchestra (1968-1988), ce qui n'exclut pas quelques albums avec le Pittsburgh Symphony ou l’une ou l’autre phalange de prestige comme les Wiener Philharmoniker ou le Philadelphia Orchestra.  

Ce que l’on retient de ce coffret, c’est qu’il n’y a jamais avec Previn de grandes et de petites musiques. Le même sérieux et la même dévotion servent autant Mendelssohn, Ravel, Debussy, Rachmaninov, Brahms que Goldmark, Singing, Rodrigo….Les critiques anglo-saxons ont souvent reproché à Previn de se consacrer à des musiques “secondaires”, à l’image du chroniqueur Martin Benheimer qui écrivait que le musicien était “un chef d'orchestre de premier ordre pour une musique de second ordre”. Si on observe ce coffret, on constate que cela est avare de certaines partitions-étalons chéries des chefs en mal de démonstration !  Du “Grand répertoire symphonique”,  on relève juste : deux symphonies de Beethoven,  une symphonie de Mendelssohn,  quatre symphonies de Haydn, un Requiem allemand de Brahms, une symphonie de Mahler ...Point de symphonies de Brahms, Bruckner, Schumann, Schubert, ou d’ouvertures de  Wagner... 

De plus, l’accompagnement de solistes n’est pour le chef en rien une activité fonctionnelle : il suffit d’écouter l’attention presque amoureuse dont il enserre Anneliese Rothenberger dans les lieders avec orchestre de Richard Strauss ou l’énergie déployée face à Horacio Gutierrez dans les Concertos n°1 de Liszt et Tchaïkovski sans oublier la totale complicité avec Itzhak Perlman, pour se rendre compte du respect musical envers les solistes quelque soit leurs personnalités.  

Previn était un conteur-né et la musique de ballet est un domaine où il excelle. Il faut dire que cette baguette finement musicienne n’a pas son pareil pour cerner l’esprit des grands ballets de Tchaïkovski (Lac des Cygnes, Casse-noisette et la Belle au bois dormant) et de Prokofiev (Roméo et Juliette, Cendrillon) qui sont depuis longtemps des références incontournables par le sens de la narration et des contrastes ! Les poèmes symphoniques de Strauss sont également de grandes réussites. Au pupitre des somptueux orchestres de Vienne et de Philadelphie, Previn impose des lectures colorées et fascinantes de Don Juan, Till l’Espiègle, Mort et Transfiguration et la Symphonie alpestre

La musique russe est également un terrain musical propice à l’art de Previn. Certes, il y a des lectures plus carrées et puissamment orchestrales des oeuvres de Rachmaninov, de Prokofiev ou de Chostakovitch, mais le chef sait créer des climax et raconter des histoires. Previn est ainsi plus à son aise avec Les Cloches de Rachmaninov ou Alexandre Nevsky de Prokofiev qu’avec la motorique des symphonies.  

Un autre domaine de prédilection de Previn réside dans la musique française dont il fut un éminent serviteur. Narrative et colorée, elle trouvait sous cette baguette des teintes et un ton fascinants ! Berlioz, Ravel et Debussy explosent dans un festival à la fois dramaturgique et contrasté ! Personnalité curieuse, Previn n’hésita pas à programmer la Turangalîla Symphonie de Messiaen. Si l'œuvre est désormais un tube de la musique du XXe siècle, maintes fois enregistrée, elle était encore -les années 1970- une rareté, et la mettre à l'affiche londonienne fit un grand four au box office dans l’histoire de la phalange. Il n'empêche : aux commandes d’un LSO affûté, Previn signe, avec Michel Béroff et Jeanne Loriod, une interprétation qui depuis 40 ans est un classique. Il faut saluer aussi la très complète somme des oeuvres pour piano et orchestre de Saint-Saëns avec Jean-Philippe Collard, une intégrale toute en élégance racée.    

Avec le London Symphony Orchestra, Previn a naturellement exploré avec brio la musique anglaise. Les lectures des grandes partitions de Britten (dont la Spring Symphony), des Variations Enigma d’Elgar, les Planètes de Gustav Holst ou la Symphonie n°2 et Belshazzar's Feast de William Walton ou des plus rares The Perfect Fool ou Egdon Heath de Holst, The Rio Grande de Constant Lambert ou Scapino et Orb and Sceptre de Walton, restent des références. 

Même dans un répertoire classique, Previn est étonnant par la narration déployée : ses symphonies de Haydn, plutôt placides de ton, valent pour la saynètes composites imaginées par une baguette dansante et élégante. La symphonie n°5 de Beethoven est presque schubertienne par son ton posé et sa joliesse, même si elle manque de lignes directrices. La Symphonie n°7 est par contraste plus tendue et orchestralement démonstrative. Le Requiem allemand de Brahms est puissamment charpenté mais émouvant par sa piété humaniste. Si la Symphonie italienne de Mendelssohn est brillante sans plus, l’interprétation de l’intégrale du Songe d’une nuit d'été est un classique. On aime aussi beaucoup la très allante et élégante Symphonie n°4 de Mahler avec Pittsburgh et la soprano Elly Ameling, une interprétation injustement oubliée.

Côté jazz, deux albums Gershwin avec le Pittsburgh Symphony quand le maestro se met au piano pour les deux, le Concerto en fa et les deux Rhapsody. Previn est également fort à son aise dans un sympathique album Scott Joplin avec rien moins que son ami Itzhak Perlman au violon, alors qu'il troque la baguette pour le clavier. Le violoniste retrouve aussi le musicien pour un album jazz d’oeuvres de Previn lui-même, un jazz élégant même si peu disruptif. 

Le coffret présente aussi Previn comme pianiste, soliste de deux excellents concertos n°17 et n°24 de Mozart sous la direction très élégante d’Adrian Boult ou en compagnie de Radu Lupu pour le concerto pour deux pianos de Mozart dirigé du clavier. En tant que chambriste, Previn s’occupe avec brio des parties pianistiques de Ravel, Chostakovitch, Brahms, Schumann...avec des équipes ad-hoc cosmopolites et solides.  

Pour clore cet article, on saluera quelques pépites inclassables : The Young Person's Guide to the Orchestra de Britten et Pierre et le Loup de Prokofiev avec en narratrice Mia Farrow (alors Madame Previn), un double album de chansons et ballades de l’époque victorienne et le Concerto pour Sitar et orchestre de Ravi Shankar. 

En bonus, comme de coutume chez Warner, un Cd nous propose un sympathique et émouvant documentaire audio (en anglais) en compagnie de musiciens du LSO. Ces derniers évoquent les souvenirs avec le chef et le respect envers ce fabuleux artiste.

Dès lors, il faut thésauriser ce coffret ! Autant pour sa diversité que sa qualité musicale, sans oublier le portrait musical sincère qu’il dresse d’une fabuleuse personnalité. 

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Pierre-Jean Tribot

 

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