Du Classicisme au Romantisme, la contrebasse à l’honneur dans deux récentes parutions
Doppio espressivo. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos en sol mineur RV 531, en mi mineur RV 409 ; Vedro con mio diletto [Il Giustino RV 717]. Giovanni Bottesini (1821-1889) : La Serenata [Fantasia sur une Canzonette de Rossini] ; Passione amorosa ; Duetto [arrgmt]. Heinrich Wilhelm Ernst (1812-1865) : Élégie par Ernst [arrangement Bottesini]. Rick Stotijn, contrebasse. Johannes Rostamo, violoncelle. Olivier Thiery, contrebasse. Bram van Sambeek, basson. Camerata RCO. Octobre 2021. Livret en anglais, allemand, français. TT 55’23. SACD BIS 2509
Wiener Stimmung. Anton Zimmermann (1741-1781) : Concerto en ré majeur. Johannes Sperger (1750-1812) : Sonate en si mineur. Andreas Lidl (-av 1789) / Franz Xaver Hammer (1741-1817) : Sonate en fa majeur. Karl Kohaut (1726-1784) : Concerto en ré majeur. Joseph Haydn (1732-1809) : Trio en fa majeur Hob. XI:121. David Sinclair, contrebasse viennoise. Leila Schayegh, Soko Yoshida, violon. Mariana Doughty, Lukas Hamberger, altos. Christophe Coin, Jonathan Pesek, violoncelle. Alexandra Zanetta, Hsiang-Chi Lee, cor. Giorgio Paronuzzi, clavecin. Mars & avril 2019. Livret en anglais, français, allemand. TT 73’03. Glossa GCD 922524
Marijn van Prooijen a assuré la plupart des arrangements que nous entendons dans ce programme qui favorise les « bass instruments » et les doubles concertos, comme l’indique le sous-titre du disque. De Vivaldi, voici les RV 531 (initialement pour deux violoncelles) et RV 409 (pour violoncelle et basson) où la contrebasse remplace un violoncelle. On doit au même arrangeur cette mouture de l’air Vedro con mio diletto extrait de l’opéra Il Giustino. La Venise où naquit le Prete Rosso accueillit deux contrebassistes, Giovanni Arpesani et Giovanni Bottesini, lequel écrivit des duos à leur usage dont un « grand concerto » ici transcrit par Boguslaw Furtok, de même que La Serenata du même compositeur, tirée des Soirées musicales de Rossini. C’est encore Bottesini, légitimement à l’honneur de par son importance historique dans ce répertoire, que nous retrouvons pour l’Élégie adaptée d’après une pièce du violoniste Heinrich Wilhelm Ernst, et pour ce Duetto où la contrebasse dialogue avec le basson (au lieu de la clarinette dans l’original), tout cela encore transcrit par les bons soins de Marijn van Prooijen.
Entouré d’un aréopage de solistes des plus qualifiés (Johannes Rostamo, Olivier Thiery, et Bram van Sambeek qui nous avait enthousiasmés lors d’un précédent album chez BIS), épaulé par une Camerata émanée du Concertgebouworkest d’Amsterdam, Rick Stotijn est l’homme de la situation pour animer ces pages avec la virtuosité et l’invention requises. Toujours à l’affut pour étendre sa curiosité et valoriser son instrument (Back to StockHome paru en 2021 sous la même étiquette déployait un récital d’œuvres suédoises), le récipiendaire du Nederlandse Muziekprijs nous sert un assortiment aussi capiteux que l’espresso doppio auquel le titre de ce SACD fait malicieusement allusion.
Après ce savoureux et lumineux parcours italien, Wiener Stimmung nous emmène dans l’empire des Habsbourg et se concentre sur le classicisme austro-hongrois. Tel qu’il put s’incarner dans le foyer majeur de Presbourg : au sein de la chapelle constituée dès 1776, l’éphémère orchestre (dissout en 1783) rassemblait trois des compositeurs rencontrés dans ce disque. Il ne nous reste aucune composition du violoncelliste et contrebassiste Joseph Kämpfer, acclamé dans toute l’Europe. En revanche, Anton Zimmermann écrivit plusieurs concertos à son intention. Dont celui pour contrebasse viennoise qui introduit le programme et connaît ici son premier enregistrement, après sa redécouverte dans l’Abbaye de Kremsmünster. Kämpfer annota la partition, et David Sinclair s’est référé à ces apostilles, par exemple concernant l’octaviation de certains passages.
Johannes Sperger composa d’abondance, dans le genre symphonique et concertant. Le CD a sélectionné sa Sonate en duo datée de 1790, quand à la Cour du Duc de Mecklembourg-Schwerin il s’était retrouvé avec Franz Xaver Hammer qui comme lui avait officié dans les rangs de l’ensemble de Presbourg. Le violoncelle est ici tenu par Christophe Coin, puis par Jonathan Pesek dans une autre Sonate (originellement pour viole de gambe) jouée dans sa rédaction de Ludwigslust et attribuée à Hammer, bien qu’elle émane plutôt d’Andreas Lidl, son ancien collègue à la Cour Esterhazy d’Eisenstadt.
Le reste du programme nous ramène quelques années auparavant. On entend un des quelque cent-vingt Trios que Haydn dédia au baryton, cet instrument dont la vibration des cordes sympathiques avait la faveur du Prince Nicolas I. Ici joué sur contrebasse. L’occasion de mentionner que la réalisation n’a pas hésité à transposer, à adapter l’accord et le diapason selon les œuvres, tout cela détaillé dans la notice qui captivera les spécialistes de l’instrument. L’unique concerto pour contrebasse de Karl Kohaut, un des derniers luthistes de la Cour de Vienne, manifeste une veine plus baroque, avec une apocryphe mention de cors qui ont toutefois été conviés pour cette session captée à Bâle. Une fine équipe de professeurs et d’anciens étudiants de la Schola Cantorum est à la manœuvre, autour d’un soliste qui joue sur un historique modèle signé de Christoph Leidolff (1729). David Sinclair apparaît dans les crédits de plus de cent-soixante disques. Spécialiste de la contrebasse viennoise, il nous offre ici une interprétation des mieux instruites, techniquement et esthétiquement au cœur du sujet et de ses exigences.
BIS = Son : 9,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 7-8 – Interprétation : 10
Glossa = Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 7-8 – Interprétation : 10
Christophe Steyne