Sonates pour flûte de Bach : la discographie se pare d’un gouttereau

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Toucher Bach. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Sonates pour flûte et clavecin obligé en sol mineur BWV 1020, en si mineur BWV 1030, en si bémol majeur BWV 1031 (arrgmt), en la majeur BWV 1032 (complétée) ; Sonate en trio en si bémol majeur BWV 525a arrangée pour flûte à bec et clavecin (arrgmt). Leonard Schelb, flûtes ; Anne-Catherine Bucher, clavecin. Livret en anglais, allemand, français. Août 2019. TT63’13. ET’CETERA KTC 1695

Le programme se focalise sur les Sonates et clavecin obbligato, en délaissant délibérément celles avec basse continue (BWV 1034 et 1035). Les questions de paternité sont évoquées dans le livret, qui a pris le soin d’investiguer, de supputer, jusqu’à envisager les connexions entre les œuvres, tendues vers l’accomplissement de la BWV 1030. On nous y explique aussi pourquoi la sonate en si bémol majeur est ici jouée à la flûte à bec et non au traverso, et comment celle en la majeur (où 46 mesures manquent à l’original) a été ingénieusement complétée par Leonard Schelb lui-même.

Outre son érudition, ce professeur à la Hochschule für Musik und Tanz de Cologne est un poète qui a de l’imagination, confirme chaque page de sa notice. Le titre de l’album y renvoie à plusieurs acceptions du verbe toucher : architecturale, organologique, et tirée du lexique de l’escrime. Le chemin des voix dans le dialogue polyphonique, vu comme analogie chorégraphique avec le langage du corps. « Au moment de choisir entre telle ou telle interprétation, nous avons toujours opté pour celle dont le mouvement nous semblait le plus naturel ».

C’est justement ce naturel, cette sobre élégance qui se dégagent de l’écoute, et aussi une gravité (au double sens de l’ethos et de la pesanteur) qu’explique en partie le diapason bas (403 Hz). Un pitch qui se situe 1,5 demi-ton sous le La 440 mais un peu plus haut que celui de certains vents français de l’époque (392 Hz, par exemple utilisé par Siegbert Rampe pour ses Brandebourgeois enregistrés chez Virgin) : ces deux diapasons correspondent à ce que Bach connut vraisemblablement à Cöthen. Les instruments de copie toute récente (traverso d’après Buffardin, flûte à bec d’après Stanesby, clavecin d’après Dulcken) confortent ce sentiment de sérénité et installent des humeurs saturniennes même dans les étapes animées. Anne-Catherine Bucher tisse un soutien subtil et bienséant, le phrasé se cadre avec une régularité sans débord. Au revers de ces vertus, et d’une sensibilité omniprésente, fruit de l’écoute mutuelle avant de prendre la parole, on pourrait souhaiter davantage d’impulsion, de relief, d’invention spontanée, d’audace. Mais ne faisons pas procès à la sagesse quand elle ainsi revendiquée et si posément assumée.

Dans ces œuvres où d’ordinaire la tentation solistique peut virer au tape-à-l’œil, à la virtuosité extravertie en façade, on apprécie sans relâche cette fluidité qui s’écoule et ruisselle comme d’un larmier. Si vous êtes lassé des ostentations et du plein soleil de ces pages loquaces, la discographie s’orne par cet album d’un havre de défluxion qui comblera les oreilles enclines à la poésie. Quels que soient les mérites des versions ornant déjà nos étagères (Frans Brüggen sur sa Scherer de 1773 chez Seon, Wilbert Hazelzet chez Archiv et Glossa, Barthold Kuijken chez DHM et Accent, Marc Hantaï chez Virgin et Mirare…), on pourra leur ajouter la présente alternative. Un très beau CD, qu’on ne réservera pas aux jours de pluie, et si l’on ose dire : un CD touchant.

Son : 8 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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