Fin aigre-douce du Klarafestival

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Si le Brexit avait eu lieu comme prévu, la dernière soirée du Klarafestival nous aurait amené juste avant la fatidique échéance du 29 mars à minuit pour regretter -et la présence de nombreux Britanniques europhiles était là pour en témoigner- l’incompréhensible Brexit, laissant l’Union européenne affaiblie sur le plan économique et politique, mais aussi culturel.

Les choses étant ce qu’elles sont et l’incertitude régnant en maître quant à savoir si, quand et comment le Royaume-Uni quittera l’Union européenne, ce concert d’adieu s’en trouva soudain prématuré, ce qui ne l’empêcha pas d’être particulièrement prenant grâce aux interventions de trois brillants prosateurs britanniques invités par le festival littéraire Passa Porta puisque Jonathan Coe et Ali Smith lurent des extraits de leurs romans consacrés au Brexit alors que Sulaiman Addonia avait écrit une nouvelle spécialement pour l’occasion.

Mais le volet musical ne demeura pas en reste, nous permettant d’apprécier l’enthousiaste et volontaire Aurora Orchestra britannique, placé sous la direction énergique de Nicolas Altstaedt qui fut aussi le soliste de The Protecting Veil de John Tavener. Extraordinaire succès au Royaume-Uni dès sa création en 1988, l’oeuvre a été assez fraîchement accueillie sur le continent. Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, il s’agit d’une suite de huit mouvements d’une musique fortement influencée par la foi orthodoxe de l’auteur, le plus souvent de nature contemplative (on la qualifiera de modérément planante) où, sur fond d’ostinati d’un orchestre à cordes dans un langage qui tient beaucoup de la musique répétitive à la Steve Reich mais aussi du minimalisme d’un Arvo Pärt, le soliste déploie de généreuses cantilènes. Même si sa sincérité ne saurait être mise en doute, cette musique toute de régularité rythmique et d’harmonies bien consonantes risque fort de paraître à certains invertébrée.

En tous cas, elle n’aurait pu être mieux défendue que par l’excellent soliste-chef qui traita l’oeuvre avec un engagement de tous les instants tout en résistant à la tentation d’en faire trop. Tout au long de l’oeuvre, Alstaedt fit admirer une sonorité claire et délicate dans une interprétation d’une réelle noblesse traitant avec le plus grand sérieux une musique certes humble et sincère, mais dont le manque d’aspérités finit par lasser.

Après l’entracte, Ian Bostridge fut le brillant soliste des Illuminations de Britten. Accompagné avec le plus grand soin par l’orchestre et son chef, le ténor britannique au timbre si particulier (mais qui m’a semblé plus plein que par le passé) mit toute son intelligence et ses qualités d’interprète au service de cette magnifique oeuvre dont la parfaite et miraculeuse adéquation avec les textes visionnaires de Rimbaud frappe à chaque écoute.

Pour clore la soirée, l’Aurora Orchestra et son chef avaient choisi -fort à propos, hélas- la Symphonie des Adieux de Haydn où Nicolas Altstaedt rendit dès l’entame justice à l’imagination et la fantaisie intarissables du compositeur dans les mouvements rapides, comme il le fit pour la tendresse de l’Adagio. Il put compter sur un orchestre totalement impliqué et virtuose, à commencer par des cors d’une sûreté remarquable. Le célèbre Finale où les musiciens quittent la scène un à un pour ne plus laisser que deux violons conclure l’oeuvre fut, plus qu’un clin d’oeil, un rappel de ce qu’un membre de premier rang de l’Union européenne la quittera en principe bientôt.

Bruxelles, Bozar/Klarafestival/Passa Porta, Palais des Beaux-Arts, le 29 mars 2019.

Patrice Lieberman

Crédits photographiques : Marco Borggreve

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