Fables de La Fontaine et de Clérambault, en savoureux compagnonnage

par

Les Fables de La Fontaine. Œuvres de Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749), François Couperin (1688-1733), Etienne Moulinié (1599-1676), Louis de Caix d’Hervelois (1677-1759), Gabriel Bataille (1574-1630), Michel Lambert (1610-1696), Jean-Baptiste Lully (1632-1687) et Antoine Boësset (1587-1643). Marie-Claude Chappuis, mezzo-soprano ; Thierry Péteau, comédien ; La Chapelle Harmonique, direction Valentin Tournet. 2021. Notice en français et en anglais. Textes des fables revisitées, avec traduction anglaise. 69.00. B-Records LBM046.

Publiées en 1668, les Fables de La Fontaine (1621-1695) connurent une rapide notoriété. Clérambault est le premier à les avoir mises en musique au début de la décennie 1730, un peu plus de trente ans après la disparition de l’écrivain. D’autres le suivront au fil du temps, au nombre desquels figurent Gounod, Lecocq, Offenbach ou Poulenc. En 2016, un ensemble dirigé par Iákovos Pappás avait proposé chez Maguelone un programme La Fontaine, revu par Clérambault. La célébration, l’an dernier, des 400 ans de la naissance du fabuliste était une occasion rêvée pour allier à nouveau poésie et musique. Ce que n’a pas manqué de faire La Chapelle Harmonique, fondée en 2017 par Valentin Tournet. Le présent album est l’écho d’une soirée publique donnée le 6 octobre 2021 dans la salle de spectacle L’Estran de la ville de Guidel, commune située dans le Morbihan. Un enregistrement effectué dans le cadre d’une résidence artistique au château de Kerbastic, siège de la Fondation Polignac-Kerjean.

Dans un copieux entretien qui sert de notice, Valentin Tournet précise le projet :

Clérambault a repris des mélodies connues de l’époque (thèmes d’opéras, noëls qui peuplent les recueils de chansons populaires) auxquelles il a ajouté une basse, et chacune s’applique à plusieurs fables dont le texte diffère de la version originale de La Fontaine pour coller à la musique -on ignore d’ailleurs quel librettiste a remanié les Fables, peut-être Clérambault lui-même. Parfois, le texte remanié charrie une signification différente de la fable originale, et ce décalage est souvent pertinent et drôle.

On découvre ainsi des petits bijoux transformés pour la circonstance, avec une attribution de titres différents, La cigale et la fourmi devenant par exemple La fourmi et la sauterelle. Avec des vers moins bien tournés que ceux de La Fontaine.

Pendant l’été,/Chante et bondit la Sauterelle ;/Pendant l’été,/On la voit dans l’oisiveté.

Mais au travail prompte et fidèle/La Fourmi ne fait pas comme elle,/Pendant l’été.

Pendant l’hiver,/La sauterelle est sans pitance ;/Pendant l’hiver,/Elle est réduite à vivre d’air.

Et la Fourmi dans l’abondance,/Lui dit : belle chanteuse, danse,/Pendant l’hiver.

Ailleurs, l’aigle prend la place de ses congénères à plumes pour La tortue et les deux canards. Dans Le corbeau et le renard, les paroles échangées par les deux protagonistes ont été modifiées pour la facilité musicale. Bien sûr, n’est pas La Fontaine qui veut, le génie du célèbre fabuliste atteint d’autres hauteurs, mais les nouveaux termes versifiés ne sont cependant pas à rejeter : ils prennent un vrai charme lorsque la musique les enrobe.

Ce programme dynamique et plaisant prend un caractère théâtral très apprécié, confirmé par les applaudissements nourris qui clôturent la soirée, excellement captée par ailleurs. Il faut dire qu’il y a de quoi prendre du plaisir ! Comment ne pas apprécier une affiche intelligemment conçue qui propose une récitation de haut vol d’une dizaine de textes du fabuliste, très connus ou moins familiers, chacun étant suivi de leur transposition par Clérambault, paroles et musique, ou par des airs de cour ou à contenu cocasse, signés Etienne Moulinié (Amis, enivrons-nous fait l’éloge du vin après la chasse), Gabriel Bataille (Qui veut chasser une migraine appelle à faire bombance), Jean-Baptiste Lully (Sortez de ces lieux, pour effacer les soucis dans le plaisir), Antoine Boësset (A la fin cette bergère, l’amour récompensé) ou Michel Lambert (Goûtons un doux repos, une invitation à se libérer du poids d’un amour, et Charmante nuit, qui ajoute une fluide intimité à la conclusion de ce florilège). On y ajoute de délicats moments instrumentaux signés Caix d’Hervelois ou Couperin, choisis avec un goût très sûr, comme le Prélude du Quatrième Concert royal, qui ouvre le récital.

Saluons d’emblée la qualité des solistes qui évoluent au sein de cet univers bariolé. La volonté exprimée par le chef de la Chapelle harmonique se transforme en réussite. L’essentiel, dit-il, était pour nous de produire un accompagnement poétique qui permette de porter au mieux l’univers des Fables et de s’adapter à leur narration. Ce parcours est une fête, donnée par Geneviève Pungier au traverso, Benjamin Narvey au théorbe, Bérengère Sardin à la harpe, Valentin Tournet officiant à la viole de gambe.

La prestation de Thierry Péteau est ébouriffante. Ce comédien et metteur en scène, qui est aussi un chanteur formé à Toulouse puis au Conservatoire de musique baroque de Versailles, a travaillé avec de multiples ensembles, comme Accentus, La Chapelle Royale, Sagittarius, Musica Nova… Son travail sur l’élocution, d’une lumineuse clarté, les inflexions de la voix, d’une absolue justesse, et l’expression des sentiments sont confondants. On ne risque pas de galvauder le terme « idéal » en l’utilisant pour définir la manière dont il distille, avec une poésie fine et subtile, le dosage du comique et de la satire et le sens de la mise en scène, à tel point que chaque fable de La Fontaine devient un tableau vivant et coloré, animé par une gestuelle du langage que l’on souhaiterait pouvoir apprécier en images. Du grand art -de quoi envier les heureux spectateurs présents à cette soirée. La mezzo-soprano suisse Marie-Claude Chappuis, formée au Conservatoire de Fribourg, puis au Mozarteum de Salzbourg, est une virtuose du chant baroque au vaste répertoire. Elle a chanté notamment Purcell, Bach, Telemann ou Mozart, a travaillé avec des chefs comme René Jacobs, Nikolaus Harnoncourt ou Riccardo Chailly et a enregistré pour plusieurs labels (Sony, Warner, Harmonia Mundi, Decca, Mirare…). Elle met au service des fables transformées et des autres textes la même intensité, la même jubilation dans la prononciation, son timbre chaud et subtil, sa finesse ou son sens du comique, et crée un univers, richement complémentaire, à celui du comédien.

On appréciera par ailleurs le petit opuscule joint, qui propose les vers qui ne sont pas de la main du grand fabuliste, ainsi que l’apport de l’illustratrice nîmoise Anaïs Boileau, dont le dessin qui orne la couverture de la pochette est inséré en grand format au dos de la notice. Voilà un projet intelligent, bien conçu et bien réalisé, qui procure une bonne heure de vrai plaisir. Gageons que La Fontaine lui-même aurait savouré.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix



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