Falot récital baroque pour trompette et orgue, enfumé dans un prétexte spécieux

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Musik ist der beste Trost. Barocke Werke für Trompete und Orgel. Oeuvres de Tomaso Albinoni (1671-1750), Johann Sebastian Bach (1685-1750), Georg Philipp Telemann (1681-1767), Giuseppe Tartini (1692-1770), Giuseppe Torelli (1658-1709), Antonio Vivaldi (1675-1741), Jean-Baptiste Lully (1632-1687). Joachim K. Schäfer, trompette. Matthias Eisenberg, orgue de l’église Saint Nicolas de Grünlichtenberg. Livret en allemand, anglais. Octobre 2022. TT 55’37. Christophorus CHR 77470

Arrangement de trois concertos pour violon italiens (Albinoni, Vivaldi, Tartini) et d’une sonate pour hautbois de Telemann, le concerto pour trompette « Estienne Roger » de Torelli, des transcription de Bach (Wachet auf, ruft uns die Stimme extrait des Schübler, chorals des cantates BWV 137 et 147), et pour conclure la Marche de Thésée de Lully : réuni sous le titre « la musique est la meilleure consolation », voici le menu de ce disque qui affiche en couverture la Sainte Cécile de Simon Vouet (1590-1649). On ne comprendrait pas bien en quoi ce programme, et notamment les virtuoses concertos vénitiens, revendiqueraient spécifiquement ces vertus curatives. Suspecterait-on quelque charlatanerie ?

La notice lève le voile sur cette onction : les deux interprètes utilisent des instruments ici accordés autour de la fréquence 432 Hz, sensiblement plus basse que le standard normalisé à 440 Hz. « Le facteur déterminant est l'effet positif sur le corps, l'esprit et le bien-être que les spécialistes attribuent à la tonalité plus basse » (nous traduisons de l’allemand, page 7). Défilent alors dans le livret un faisceau de références à la cymatique, à la médecine chinoise, à Vardinistar, à Platon… Pour compléter l’argumentaire sur le pouvoir guérisseur prêté à la musique, on peut consulter cette page. Et pour ramener un peu de science sur le diapason, on gagnera à consulter cette autre. Ce récital avait-il besoin de s’étayer naïvement sur un tel fumeux prétexte, qui navigue entre banalités et ésotérisme psycho-acoustique ? Entend-il se ranger au rayon de la sophrologie et des thérapies fallacieuses ?

Le livret aurait été mieux inspiré de nous parler de ce petit orgue (21 jeux) de la Nikolaïkirche de Grünlichtenberg. Alors que son émission semblait jusque-là étranglée et poussive, la restauration par les ateliers Rühle a révélé un Kammerton (433 Hz à 15°C) et une aisance d’expression qui était certainement entrevue par son concepteur Christian Friedrich Göthel (1804-1873), dans le sillage d’une facture Silbermann. Les sonorités douces et tamisées de ces tuyaux forment le décor d’une interprétation qui apparaît cependant regrettablement léthargique. Souvent sur la réserve, sur la prudence, sous la ligne de flottaison. La prestation du trompettiste semble se modérer contre-nature, et en tout cas ne se classera pas au rayon des plus accomplies. L’organiste semble parfois dans l’inconfort, voire terriblement : Torelli, en proie à de fâcheuses instabilités rythmiques. 

Même si on n’en attend pas forcément un brio tonitruant : un duo pour trompette et orgue dans le répertoire baroque était-il le vecteur optimal pour expérimenter et valoriser ce diapason de chambre ? Du moins, ce projet ne nécessitait-il pas un résultat plus abouti ? Une inspiration moins rabotée ? Au terme de ces cinquante-cinq minutes, au mieux ennuyeuses, au pire malaisantes, on serait tenté de détourner pudiquement les yeux et hausser le regard, comme la patronnesse sur la pochette.

Christophe Steyne

Son : 8 – Livret : ??? – Répertoire : 7-9,5 – Interprétation : 3,5

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