Festival de Pâques de Deauville 100 % numérique

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Le Festival de Pâques de Deauville s’adapte au contexte sanitaire en mettant en place une édition numérique. Les cinq concerts maintenus sur neuf initialement prévus sont transmis en directe sur plusieurs plateformes de vidéo et d’audio, offrant ainsi aux musiciens des occasions de jouer dans la salle Elie de Brignac, qui a vu tant de jeunes talents débuter et s’épanouir depuis 25 ans. Les 24 et 25 avril ont eu lieu les 2e et 3e concerts du Festival, et chaque soirée a proposé un programme mêlant des œuvres connues et méconnues.

Paris-Espagne

Le concert du 24 avril est consacrée au thématique Paris-Espagne, avec des compositions de Ravel, de Falla et Infante qui ont tous choisi Paris comme lieu d’activité. La harpe et la voix sont particulièrement mises en avant dans la majeure partie de ce programme. La harpiste Coline Jaget est la protagoniste de l’Introduction et Allegro pour flûte, clarinette, harpe et quatuor à cordes, pièce que Ravel a composée sur une commande de la firme Erard qui lançait un instrument à pédales à double action. La finesse et la volonté sont les deux mots qui nous reviennent souvent en écoutant la harpiste qui explore brillamment toutes les possibilités proposées par cette partition fascinante. Mathilde Caldelini (flûte) et Amaury Viduvier (la clarinette) sont en totale harmonie avec Jaget dont le jeu est délicieusement mis en relief avec les cordes talentueuses : Shuichi Okada et Perceval Gilles (violon), Paul Zientara (alto) et Adrien Bellom (violoncelle).

La mezzo soprano Adèle Charvet chante son répertoire de prédilection : la mélodie. Psyché pour voix, violon, alto, violoncelle, flûte et harpe et deux extraits des Siete canciones populares espanolas (Jota et Nana) ainsi que les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé du même Ravel nous offrent des occasions d’apprécier son timbre chaleureux et charnu. Si les aigus ne constituent pas son point fort, elle les tourne intelligemment, de manière à ce que cela crée un contraste avec son medium bien assis. La partie de piano de Jota et de Nana est tenue par la harpe seul, les cordes pincées rappelant celles de la guitare, alors que la cantatrice s’assied pour les chanter, comme on le ferait dans un salon, entouré d’êtres proches, ou dans la rue, devant les passants.

La première « curiosité » de la soirée est le Concerto pour clavecin et cinq instruments de Manuel de Falla. Ecrit pour clavecin, flûte, hautbois, clarinette, violon et violoncelle, il fut créé en 1926 en pleine période de redécouverte de l’instrument après un siècle d’oubli. Dédiée à Wanda Landowska, la figure majeure de cette redécouverte, la partition cherche une sonorité nouvelle, indépendante de la connotation baroque, quoique l’écriture concertante rappelle le style baroque. Justin Taylor, qui ne se cantonne pas à la seule période lointaine pour jouer le clavecin, est un interprète idéal pour une telle composition. On se régale des accords plaqués sous ses doigts, de « Lento giubiloso e energico », ou pour le début de « Vivace flessibile, scherzando » qui rappelle vaguement Stravinsky, mais aussi pour l’ensemble du Concerto qui met la sensibilité de chaque musicien à l’honneur : Nina Pollet (flûte), Philibert Perrine (hautbois), François Tissot (clarinette), Perceval Gilles (violon) et Adrien Bellom (violoncelle).

La dernière partie du concert est dédiée à deux pianos. Ismaël Margain et Clément Lefebvre nous font d’abord découvrir les Danses andalouses de Manuel Infante (1883-1958), compositeur et chef d’orchestre installé à Paris dès 1909. Chacun des trois mouvements, Ritmo, Sentimento et Gracia (Vito), est marqué par des rythmes et des harmonies typiques de la région que les deux pianistes rendent avec grande vivacité. Les deux pianos sont disposés l’un à côté de l’autre et, afin de favoriser la sonorité, une pique spéciale soutient le couvercle de l’un des instruments pour laisser son ouverture moins large qu’habituellement. Car effectivement, leur sonorité est quelque peu métallique et il fallait trouver un son adapté à l’acoustique difficile du lieu, une salle de vente de chevaux ! Mais nos interprètes profitent de cette sonorité sèche de leurs instruments pour accentuer le caractère percussif et obstiné de la musique. C’est encore le cas pour la Rhapsodie espagnole. Malgré leurs tempéraments fort différents, ils réalisent un bon équilibre dans une entente heureuse, variant les discours, les résonances et l’atmosphère.

Weinberg et Tchaïkovsky

Le dimanche 25 avril, on assiste à un quintette avec piano et un sextuor avec David Petrlik et Camille Fonteneau (violon), Manuel Vioque-Judde et Mathis Rochat (alto), Bumjun Kim et Volodia van Keulen (violoncelle) et Jonas Vitaud (piano). Les instrumentistes sont issus de trois excellents trios, Hélios, Messiaen et Arnold (excepté Mathis Rochat). Autant dire qu’ils ont déjà de longues expériences en tant que chambristes, et leurs expériences sont évidentes dans les interprétations. De la froideur violente et ironique du Quintette avec piano de Weinberg (dont ils offrent l’une des premières -si ce n’est la première- en France) au bonheur comblé et lumineux du Souvenir de Florence, ils offrent des expressions infiniment variées dans une respiration commune. Le paradoxe de la grande virtuosité dans une tension inquiétante chez Weinberg est merveilleusement rendue par Jonas Vitaud par son jeu à la fois délicat et puissant, alors que les cordes entrent en résonance réciproque dans des timbres et couleurs différents, selon les mouvements. Après cette période soviétique, lorsqu’ils reviennent cinquante ans en arrière pour Tchaïkovsky, leur incarnation musicale est telle que leurs cordes font vibrer nos cordes intérieures, forcément sensibles devant leur engouement, et la fièvre collective est palpable dans cette salle presque vide. Un expérience inouïe qui montre la force de la musique, cette force qui transcende n’importe quelle condition. Mille bravos aux jeunes musiciens !

Le festival se poursuit jusqu’au 8 mai. Information sur musiqueadeauville.com.
Les concerts sont retransmis en direct puis visibles en replay sur RecitHall.com (dont Ismaël Margain est co-fondateur) pendant 15 jours après la première diffusion.

Victoria Okada

Crédits phorographiques : Claude Doaré

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