Les Musiciens du Louvre 100 % Bizet à La Seine Musicale

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C’était donc à une soirée en hommage à « notre génie national » (selon ses propres mots), que Marc Minkowski nous conviait, avec l’orchestre qu’il a fondé voici maintenant plus de quarante ans. En maître de cérémonie, il présentera les œuvres, et en particulier le contexte des airs d’opéra, de façon vivante et très accessible.

Deux parties, avec un entracte : dans la première, une alternance de pièces orchestrales et d’airs d’opéra.

Les premières sont toutes issues de la Petite Suite, qui est une orchestration de cinq des douze pièces de la suite pour piano à quatre mains Jeux d’enfants. Elles ont donc été jouées séparément : la Marche « Tambour et trompette » dansante, prise dans un tempo assez rapide et jouée avec beaucoup de légèreté (au risque de générer quelques imperfections instrumentales dans les bois) ; la Berceuse « La Poupée », très musicale, mais un peu précautionneuse ; l’Impromptu « La Toupie », dans lequel les musiciens s’amusent beaucoup ; le Duo « Petit mari, petite femme », avec des cordes élégantes, mais à la sonorité quelque peu impersonnelle ; et enfin, le Galop « Le Bal », très brillant.

Toutes ces courtes pièces (entre une et trois minutes) servaient, en quelque sorte, de transition entre des airs d’opéras, confiés à la mezzo-soprano Adèle Charvet et au ténor Kévin Amiel (à la place de Quentin Desgeorges, initialement annoncé).

C’est lui qui rentre le premier sur scène, avec deux airs consécutifs de La Jolie fille de Perth : À la voix d’un amant fidèle et Viens, ma belle. La voix est très belle dans les graves et dans les nuances piano, mais parfois saturée dans les aigus forte. La diction est sans doute perfectible, mais la sensibilité fait mouche.

Puis ce sera le tour d’Adèle Charvet, pour Nour Eddin, roi de Lahore, extrait de Djamileh. Son timbre est très agréable, mais elle est parfois couverte par l’orchestre. Là aussi, nous ne saisissons pas toujours bien le texte. C’est d’autant plus dommage que son interprétation est remarquable sur le plan musical

Kévin Amiel revient pour Je crois entendre encore, extrait des Pêcheurs de perle. Il a décidément toutes les caractéristiques des ténors ! Et comme il s’y prend très bien, et que la musique le sert parfaitement, le public est ravi.

Place à Carmen maintenant, avec, pour se mettre dans l’ambiance, la Séguedille. La voix d’Adèle Charvet est idéale pour ce rôle, et son jeu de scène tout à fait convaincant. 

Et enfin, après le final orchestral des Jeux d’enfants, la première partie se termine avec une longue séquence : toujours extraits de l’opéra le plus joué au monde, les airs Je vais danser en votre honneur, La fleur que tu m’avais jetée et Non, tu ne m’aimes pas (qui constituent le Duo qui clôt la Scène V de l’Acte II). L’accompagnement d’orchestre est particulièrement présent (superbe cor anglais). Adèle Charvet vient aguicher le joueur de castagnettes au fond de l’orchestre, elle danse : voilà une Carmen qui a du caractère ! Don José, dans un rôle bien entendu moins extraverti, parvient aussi à conquérir le public.

En deuxième partie, les deux suites d’orchestre de L’Arlésienne (la première du compositeur lui-même, et la seconde réalisée après sa mort par Ernest Guiraud). Dans le Prélude, Marc Minkowski exacerbe les contrastes dans les deux façons de jouer le thème de la première partie : très militaire quand il est forte, et beaucoup plus phrasé quand il est piano. L’une des caractéristiques de L’Arlésienne est l’utilisation d’un instrument encore rare, à l’époque, dans l’orchestre symphonique : le saxophone alto. Debout pour en jouer dans la deuxième partie, l’instrumentiste est magnifiquement habitée, et la transition avec la troisième partie, transformée en mini-drame par Marc Minkowski, est ainsi aussi émouvante que fluide. Le Menuetto est pris à toute allure : les bois et les violons n’en sont pas moins impeccables. Dans sa présentation, le chef avait parlé de l’attrait de l’Adagio sur Gustav Mahler. Et en effet, interprété ainsi (avec, pourtant, des cordes qui vibrent très peu), les deux compositeurs se rapprochent étonnamment. Il y a beaucoup de tendresse et de sensualité dans la partie centrale. Et enfin, l’obsédant Carillon, avec une volonté manifeste de rendre ce morceau répétitif le moins lourd et statique possible. Les bois dans la partie centrale sont splendides.

Place à la Deuxième Suite. La Pastorale est bien vitaminée, et guère bucolique. Elle fait son effet ainsi. Dans l‘Intermezzo, il y a un duo formidables d’homogénéité entre le saxophone et le cor, placés de part et d’autre de l’une des contrebasses (en effet, les deux contrebasses de l’orchestre adoptent une disposition peu courante – et possiblement peu confortable pour eux – : derrière les cordes, de part et d’autre de la petite harmonie). Pourquoi diriger, même aussi discrètement, le duo entre la flûte et la harpe dans le Menuetto ? Cela oblige le flûtiste à être attentif au chef d'orchestre, alors qu’il pourrait être tout à fait libre, accompagné par la harpe (un peu timide par ailleurs – est-ce que ceci explique cela ?) qui se calerait sur lui seul. Quant à la célébrissime (mais si : « De bon matin j'ai rencontré le train ») Farandole finale, elle est puissante, rapide, d’une irrésistible énergie. Les musiciens (et en particulier les trompettes et les trombones) s’en donnent à cœur joie !

En bis, reprise de la Séguedille, avec une « mise en scène » légèrement différente. Puis de la Farandole entendue quelques minutes plus tôt, dans un tempo peut-être encore plus débridé : très efficace pour déchaîner le public !

Boulogne-Billancourt, La Seine Musicale (Auditorium), 7 février 2025

Pierre Carrive

Crédits photographiques : Franck Ferville / Agence VU

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