Flûte et orgue à Roquevaire : autour de Debussy, un récital qui raffine ses sortilèges

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Autour de Debussy… Claude Debussy (1862-1918) : Prélude à l’Après-Midi d’un faune * ; Six Épigraphes antiques *. Olivier Messiaen (1908-1992) : Louange à l’Éternité de Jésus * [Quatuor pour la Fin du Temps]. Pierre-Octave Ferroud (1900-1936) : Toan-Yan, la fête du double-cinq [Trois pièces pour flûte seule]. Jehan Alain (1911-1940) : Deuxième Fantaisie pour orgue ; Aria pour flûte et orgue. Jean-Louis Florentz (1947-2004) : Seigneur des Lumières [Laudes op. 5]. (*Transcriptions par le Duo Éolien). Mélanie Filipiak, flûte. Aurélien Fillion, orgue. Octobre 2021. Livret en français et anglais. TT 68’13. Ctésibios 079

Quelle est la place de l’instrument à tuyaux parmi les compositeurs français épris de couleurs, dans le sillage de Claude Debussy ? « L’orgue, dont la registration ne progresse que par succession de plans fixes, si brefs soient-ils, entretiendra longtemps un retard par rapport au piano et à l’orchestre » argumente la fort intéressante notice de Jean-Pierre Rolland, qui cite en exemple l’éviction des jeux de mutation dans la facture romantique, et la difficulté à varier les intensités pour un même timbre. On sait qu’un magicien des nuances instrumentales tel que Ravel ne laissa rien pour l’orgue, ce qui n’empêcha pas voire stimula les transcriptions de ses grandes pages pour orchestre (Bolero, Ma Mère l’Oye, La Valse…) Le projet de ce disque affronte cette frilosité « en se donnant les moyens de transgresser les codes de l’orgue français du début du XXe siècle tout en les prenant en compte », grâce à la vaste palette de la console de l’église Saint-Vincent (72 jeux sur cinq claviers et pédalier), et grâce à la ductilité du souffle vivant de la flûte comme facteur de modulation des registrations. La tuyauterie de cet orgue de Roquevaire, inauguré en 1997 par Jean Guillou, assemble une partie de l’instrument personnel de Pierre Cochereau, une partie de l’ancien instrument du lieu, et plus de deux tiers de tuyaux neufs. Ces ressources avaient déjà été choisies pour l’intégrale Florentz gravée par Thomas Monnet (Hortus, 2014).

On aurait aimé que le livret s’attarde sur la présentation des œuvres. Au demeurant, le programme n’est pas avare d’exotisme, quitte à en constituer le fil rouge, qu’il soit temporel ou spatial : à l’écoute d’un melos archétypal fantasmé par les Épigraphes de Debussy ou transcendé par les liturgies d’Olivier Messiaen ; à l’écoute des influences de l’ailleurs, l’Afrique des diverses latitudes, condensées par Jehan Alain ou rendues à leurs sources pures par Jean-Louis Florentz. On connaissait déjà plusieurs adaptations du Prélude à l’Après-Midi d’un faune : Cameron Carpenter (Telarc), Peter Conte, David Briggs ou Jean-Baptiste Robin à Cincinnati (Brilliant, 2009) ; c’est la première fois que nous l’entendons pour flûte et orgue, et l’alchimie fonctionne, même si l’on aurait souhaité une flûte plus séductrice. On regrette aussi sa discrétion dans la Louange de Messiaen, un peu pâle. L’arrangement des Épigraphes, murmuré, confident, envoûtant, se confine dans semblables atmosphères raréfiées. Autre rareté pour l’Aria de Jehan Alain (adaptée par son frère Olivier, éditée chez Leduc) : depuis le tout premier enregistrement en septembre 1990 par Françoise Gyps et Georges Guillard (Arion), on comptait peu d’alternatives hormis Moshe Aron Epstein & Wolfgang Zerer (Ambitus, 2006), et l’on salue donc l’initiative de l’inclure dans ce récital, en compagnie de la plus célèbre Deuxième Fantaisie par Aurélien Fillion qui la distille avec subtilité.

Que ce soit dans les pièces en duo, pour flûte ou orgue seuls, le raffinement domine l’interprétation. « Le génie musical de la France, c’est quelque chose comme la fantaisie dans la sensibilité. Il faut que la beauté soit sensible, qu’elle nous procure une jouissance immédiate, qu’elle s’impose ou s’insinue en nous sans que nous ayons aucun effort à faire pour la saisir » écrivait l’auteur de Monsieur Croche dans La Revue bleue le 2 avril 1904. Ce CD cultive parcimonieusement cette sensibilité. Au-delà de l’imagination poétique, de la magie souvent au ras du silence, et malgré un sous-grave qui n’échappe pas aux micros, aurait-on ainsi souhaité que les impressionnistes ambiances visitées par les deux musiciens ne s’incarnent sous des atours plus palpables et sensuels ?

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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