Un imposant coffret-souvenir pour célébrer  les 70 ans de Frédéric Lodéon « le flamboyant »

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frédéric lodéon

Frédéric Lodéon : Le flamboyant.  «The Complete Erato & EMI Recordings. Oeuvres de  Richard Strauss (1864-1949), Serge Prokofiev (1891-1953), Joseph Haydn (1732-1809),  Felix Mendelssohn (1809-1847),  Luigi Boccherini (1743-1805), Robert Schumann (1810-1856), Gabriel Fauré (1845-1924),  Ludwig van Beethoven (1770-1827), Maurice Ravel (1875-1937), Georges Auric (1899-1963), Edouard Lalo (1823-1892), André Caplet (1878-1925), Vincent d’Indy (1851-1931), Frédéric Chopin (1810-1849), Franz Schubert (1797-1828),  Antonio Vivaldi (1678-1741) : Dmitri Chostakovitch (1906-1975),  Piotr Illitch Tchaikovsky (1840-1893), Camille Saint-Saëns (1835-1921),  Jean-Louis Duport (1749-1819).   Frédéric Lodéon, violoncelle ; Daria Hovora, Anne Queffélec, Michel Dalberto, Jean-Philippe Collard, Jean Hubeau, François-René Duchâble, Pascal Rogé, piano ; Pierre Amoyal, Augustin Dumay, Jean Mouillère, violon ; Bruno Pasquier, alto ; Michel Portal, clarinette ; Jean-Pierre Rampal, flûte ; Xavier Gagnepain, violoncelle ; Bournemouth SO et Nouvel Orchestre Philharmonique, direction Theodor Guschlbauer ; Orchestre National de l’Opéra de Monte-Carlo et Orchestre de chambre de Lausanne, direction Armin Jordan ; Philharmonia Orchestra, direction Charles Dutoit ; Orchestre de chambre Jean-François Paillard ; Ensemble orchestral de Paris, direction Jean-Pierre Wallez. 1973-1986. Notice en français, en anglais et en allemand. Une vingtaine d’heures de musique. Un coffret de 21 CD Erato 0190296546259. 

Je peux dire aujourd’hui que ces années d’enregistrements m’ont vraiment passionné. Puis le destin m’a entraîné vers d’autres voies musicales : la direction d’orchestre, la télévision, et surtout vingt-huit ans d’émissions à Radio France, ce que j’ai également adoré. J’espère que vous trouverez du plaisir à l’écoute de certains souvenirs de ma vie d’avant présentés dans ce coffret d’anniversaire. Ainsi s’exprime Frédéric Lodéon (°1952) en guise de conclusion à la notice de six pages qu’il a rédigée pour cet hommage qui lui est rendu à l’occasion de ses 70 ans. Oui, mille fois oui, le plaisir est présent tout au long de cette évocation de la petite quinzaine d’années au cours desquelles cet élève d’André Navarra pour le violoncelle et de Jean Hubeau pour la musique de chambre, qui remporta, seul Français, le 1er Prix du Concours Rostropovitch en 1977 (ex-aequo avec Lluis Claret), a signé, avec des partenaires de talent, une série de gravures de qualité. Elles nous sont rendues par la réunion des legs Erato et EMI, agrémentées de la reproduction des pochettes d’origine et d’un travail soigné de remastérisation. Les feux médiatiques sous lesquels ont été placés ce Parisien de naissance à partir du début des années 1990, lorsqu’il a entamé une seconde carrière dans l’audiovisuel, ont eu tendance à occulter sa période 1973-1986, riche en productions discographiques dont on peut mesurer l’excellent niveau grâce à ce précieux coffret. 

Dans la notice, Frédéric Lodéon évoque avec clarté les étapes de son parcours, depuis sa première expérience d’enregistrement, des sonates de Richard Strauss et de Prokofiev, et sa collaboration avec la brillante chambriste que fut la pianiste française Daria Hovora (1947-2017) qui était sa compagne. Avec elle, le partenariat va s’étendre à Mendelssohn en 1975, à Schumann en 1977, puis à Schubert (Arpeggione) et Chostakovitch (sonate op. 40) en 1982, des versions qui n’avaient pas jusqu’ici fait l’objet d’une réédition en CD. Quelle aubaine de retrouver cette osmose qui allie la hauteur de vues (Mendelssohn !) à l’expressivité chaleureuse ! D’autres complicités musicales vont se forger au fil des ans. Ce sera d’abord avec le chef autrichien Theodor Guschlbauer (°1939) à Bournemouth en 1974 pour des concertos de Haydn stylés. Deux partitions de Boccherini (1976), qui respirent avec raffinement, et un noble Concerto de Schumann (1983) viendront s’y ajouter. Pour ce dernier, le soliste évoque un partage inoubliable

Si l’on fait le bilan des gravures de Lodéon avec orchestre, la moisson est en fin de compte limitée. Avec Armin Jordan, il y aura deux autres Boccherini en 1980, joués avec l’Orchestre de Chambre de Lausanne dans un élan un peu moins net, après un Triple de Beethoven bien dosé (avec Pierre Amoyal et Anne Queffélec) à Monte-Carlo deux ans auparavant, puis un Saint-Saëns vif-argent et des Variations rococo de Tchaïkowsky péremptoires en 1982. Avec Charles Dutoit et le Philharmonia, le Concerto de Lalo, au lyrisme majestueux maîtrisé, voisine en 1980 avec une admirable Epiphanie de Caplet, peut-être la réussite la plus parfaite de Lodéon, inspiré par une dimension qui intègre de vigoureuses tensions à un langage en profondeur. Ce disque a été récompensé en son temps par le Grand Prix de l’Académie Charles Cros. On s’attardera moins sur des concertos de Vivaldi avec Jean-Pierre Wallez (1981), au style un peu daté ; on leur préférera pour leur fréquentation peu courante des pages de Jean-Louis Duport (1982), auteur en son temps d’un traité technique sur l’instrument. Ce romantisme naissant convient très bien aux accents chantants de Lodéon. Huit CD suffisent en réalité pour faire le tour de la discographie qui concerne des concertos, dont certains sont pour la première fois disponibles sur CD. On aurait aimé que ce virtuose présenté comme « flamboyant » puisse enregistrer d’autres grands concertos du répertoire ; le destin en a décidé autrement.

Heureusement, la musique de chambre nous mène vers d’autres sommets. Avec de nouveaux partenaires dès 1976 : Pierre Amoyal, violoniste à la sonorité de rêve, selon les propos de Lodéon, et Anne Queffélec, qui affiche une riche personnalité et une humeur souvent joyeuse. Les deux Trios de Mendelssohn sont le reflet d’une entente frémissante, mais aussi d’une exigence formelle commune. Les débuts chez EMI l’année suivante créent l’osmose avec Jean-Philippe Collard dans des sonates passionnées de Fauré et une série de pièces de courte durée du même, dont l’Élégie op. 24 avec son poids de gravité (Lodéon gravera la version orchestrale avec Armin Jordan en 1982). Augustin Dumay se joint à eux, toujours dans Fauré en 1978, pour un Trio op. 120, ferveur lyrique à l’appui, ainsi que Bruno Pasquier, pour le Quatuor à clavier op. 15 qui éclate de lumineuse puissance. Schubert bénéficie de l’enthousiasme engagé de Collard/Dumay/Lodéon pour de mémorables Trios op. 99 et 100 pleins de couleurs complices et de nuances stylistiques partagées (1982 et 1986). Le partenariat avec Pierre Amoyal se renouvelle en 1982, avec Pascal Rogé au piano, pour un Trio op. 50 de Tchaïkowsky aux élans généreux et extravertis. L’année précédente, c’est avec François-René Duchâble que la Sonate op. 65 révélait son romantisme de velours. Schumann n’est pas négligé non plus : les deux Trios avec piano sont gravés en 1978 avec Jean Mouillère au violon et Jean Hubeau, qui a été le professeur de Lodéon ; cette rencontre de générations entraîne l’adhésion. Deux charmants Duos pour deux violoncelles de Duport, avec Xavier Gagnepain en 1985, font l’objet d’une première gravure en CD. On se régalera encore avec le Trio de Ravel à la forme parfaite (avec Dumay et Collard en 1980), avec cet étonnant Concert pour piano, flûte, violoncelle et cordes de Vincent d’Indy (Rampal/Duchâble/Paillard, 1981) ou avec le Trio pour clarinette, violoncelle et piano op. 114 de Brahms (1978), à placer parmi les références de la discographie, avec ses inflexions intenses et une identité sonore soulignée aussi bien par Frédéric Lodéon que par Michel Portal, en état de grâce, et Michel Dalberto. 

On accueillera comme il le mérite ce passionnant coffret à prix attractif, truffé de photographies en noir et blanc. La certitude du partage avec une riche personnalité musicale est garantie pour de belles heures d’écoute.  

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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