Francesco Corti et Il Pomo d’oro au royaume de l’Empfindsamkeit
The Age of Extremes. Jiří Antonín Benda (1722-1795) : Concertos pour clavecin en fa mineur, en si mineur. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Les Folies d’Espagne Wq 118/9. Andante en ut mineur [Sonatine en ut majeur Wq 103]. Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) : Sinfonia en ré mineur Fk 65. Concerto pour clavecin en ré majeur Fk 41. Francesco Corti, clavecin. Il Pomo d’Oro. Janvier 2024. Livret en anglais, français, italien. 77’16’’. Arcana A573
Après ses incursions dans les concertos de J.S. Bach et les Suites de G.F. Haendel, saluées en nos colonnes par un Joker, après des albums tout aussi éminents autour de G. Frescobaldi et D. Scarlatti : Francesco Corti part à l’abordage de l’Empfindsamer Stil, une forme d’expression préromantique qui exploite le contraste émotionnel et exalte le sentiment. Émancipées de la rigueur du contrepoint, démarquées et de la conversation galante, « les formes deviennent imprévisibles et les changements d’humeur soudains, dans une alternance de passages frénétiques et de moments profondément lyriques » explique-t-il dans la notice.
Un répertoire fomenté à la Cour de Prusse, qui forgea son esthétique auprès de Frédéric II, rayonnant depuis la résidence de Ruppin, le château de Rheinsberg, et enfin Potsdam. Témoin de cette École de Berlin, Jiří Antonín Benda, natif du Royaume de Bohême. Ses deux concertos ici entendus précèdent son départ à la Cour de Saxe-Gotha, pour y rejoindre Frédéric III en 1750. En amont, le concerto en ré majeur de Wilhelm Friedemann, écrit vers 1735, et sa Sinfonia qu’on peut associer à la musique d’église pour la Hofkirche de Dresde. Son frère cadet s’invite par un extrait de la Sonatine en ut majeur, et par Les Folies d’Espagne (1778), tardif et désuet exemple de variations sur un thème mélodique qui avait connu son heure de gloire à l’ère baroque.
À la douceur de sépulcre de l’Adagio Fk 65, ouatée par les flûtes de Daniela Lieb et Francesca Torri, l’équipe italienne oppose de fougueux Allegros dans les trois concertos. La douzaine d’archets y galbe un muscle fier et compact, élancé par une profonde scansion. L’accompagnement se fait plus robuste que texturé. Dans cet épais manteau pétille avec finesse l’instrument de Keith Hill (2001, d’après un anonyme allemand c1700), que les micros situent avec discrétion.
Dans la balance, aurait-on préféré un orchestre plus nuancé et un clavecin plus charnu ? Au point de souhaiter davantage de relief pour la galerie sur la Folia, dont Francesco Corti scrute les graciles états d’âme plus que l’exubérance, ce qui n’ôte rien à sa volubilité. C’est la même délicatesse qu’il cisèle dans l’Adagio soliste du même Carl Philipp Emanuel, amenuisant la palette dynamique pour mieux soigner l’ornementation : une précieuse fragilité s’exhale de ces confidences de boudoir, ainsi les exquis gruppetti après la cinquante-troisième mesure (4’29).
Christophe Steyne
Son : 8 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8 à 9 – Interprétation : 9