Fritz Wunderlich dans Don Pasquale de Donizetti, en première mondiale

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Gaetano DONIZETTI (1797-1848) : Don Pasquale, opéra-bouffe en trois actes. Kurt Böhme, Fritz Wunderlich, Raimund Grumbach, Erika Köhn, Hans Hermann Nissen ; Chœurs et Orchestre de l’Opéra d’Etat de Munich, direction Meinhard von Zallinger. Version chantée en allemand. 2020. Livret en allemand et en anglais. 108.00. Profil Hänssler PH19075 (2 CD). 

Un enregistrement public d’un opéra de Donizetti, chanté en allemand selon la coutume de l’époque, au Prinzregentheater de Munich le 18 janvier 1962 ? Un album de deux CD, en première mondiale certes, mais dont le son n’est pas parfait, avec de-ci de-là, les aléas du direct sur le plan de la clarté orchestrale, avec des bruits de scène et quelques toux (on est en hiver) ? Et de plus en mono ? On se risque ? La réponse est oui, et trois fois encore oui, car non seulement le plateau vocal est idéal, mais on s’habitue très vite aux quelques limites d’inconfort sonore, en fin de compte moins nombreuses qu’on aurait pu le craindre, tant l’abattage est tangible (Rudolf Hartmann, qui s’est signalé souvent dans des mises en scène de Richard Strauss, était le meneur de jeu) et la dimension comique présente, les rires perceptibles du public en témoignant à foison. Le passage de l’italien vers l’allemand est vite oublié, car les voix accrochent l’oreille et rappellent combien long travail de fond et d’équipe étaient poussés en cette période de l’art lyrique. 

On connaît l’argument de Don Pasquale, cet opéra-bouffe créé à Paris le 3 janvier 1843, joué dès le mois d’avril à la Scala de Milan avant Vienne, puis Londres et Bruxelles la même année ! L’histoire d’un barbon (Don Pasquale) qui s’obstine à épouser une jeune femme (Norina) et est en rivalité avec son neveu (Ernesto) pour la conquérir, ce n’est pas un thème rare. Grâce à l’aide du médecin de famille (Malatesta) qui imagine le stratagème d’un faux mariage, dans lequel intervient un notaire, le neveu finira par épouser la belle. Chez Donizetti, d’après le livret de Giovanni Ruffini, les aspects humoristiques sont bien dessinés, au cœur d’une partition inventive, dynamique et haute en couleurs. Ce magnifique fleuron de l’opéra-bouffe rencontre toujours un franc succès lorsqu’on le met à l’affiche.

Alors, qu’en est-il de cette production munichoise de 1962 ? Dans le rôle de Don Pasquale, la basse Kurt Böhme (1908-1989), dont la voix était capable d’une ample projection et qui a chanté notamment avec Furtwängler (Der Freyschütz à Salzbourg en 1954), est brillant. Il a été un Baron Ochs dans le Rosenkavalier de Richard Strauss et s’est fait une réputation dans des rôles mozartiens ou wagnériens (à Bayreuth de 1952 à 1967) qu’il a tenus au Covent Garden, à Vienne ou au Metropolitan de New YorK. En Norina, la soprano Erika Köth (1925-1989) bénéficie d’une voix d’une grande souplesse, avec des aigus lumineux, et d’un sens poussé de la comédie, son vibrato léger ajoutant à son charme. Cette cantatrice a été sur la scène de l’Opéra de Munich à de nombreuses reprises de 1953 à 1978, mais elle a aussi chanté à Vienne ou à Salzbourg. Elle excellait dans d’autres rôles d’opéras italiens : Lucia, Gilda, Musetta. Celui de Norina lui convient très bien. Elle peut y développer l’agilité de ses vocalises et assurer une présence que l’on devine gracieuse, mais aussi malicieuse. Dans le personnage de Malatesta, le baryton Raimund Grumbach (1934-2010), qui a connu un vrai succès dans des opéras de Weber, Richard Strauss, Wagner ou Puccini, a le juste ton qu’appelle le côté quelque peu roublard du médecin de famille. En notaire, le baryton-basse Hans Hermann Nissen (1893-1980) fait étalage de sa voix riche et sonore. Ce chanteur, qui était apprécié pour sa présence scénique, était un wagnérien, invité régulier de Bayreuth, mais il s’est fait applaudir tout autant à Vienne, à Salzbourg ou à New-York dans des productions variées. Ce plateau de rêve, que n’importe quel directeur d’opéra actuel s’empresserait de réunir avec l’assurance d’une satisfaction maximale, est complété par Fritz Wunderlich, dont le nom figure en majuscules sur la couverture de la pochette du présent album, écrasant ses partenaires de son jovial sourire légendaire et des lettres de son patronyme ; c’est quelque peu injuste, vu la qualité de ses collègues, mais c’est « logique », en raison de l’impact et de l’aura que suscite encore ce natif de Kusel, ville de Rhénanie-Palatinat, où existe une Fritz-Wunderlich-Gesellschaft. 

C’est cette dernière qui détenait les bandes originales, restaurées à Baden-Württemberg par TechneAudio ; la notice précise que certains spécialistes pensent que l’enregistrement aurait été effectué par Wunderlich lui-même, qui était attiré par les technologies en évolution. Faut-il rappeler la stupeur qui frappa le monde lyrique lorsqu’on apprit le décès de Wunderlich le 17 septembre 1966, suite à une malencontreuse chute dans un escalier ? Il n’avait que 35 ans et s’était imposé comme l’un des plus parfaits chanteurs du temps, abordant tous les genres (lieder, opéras, opérettes, oratorios…) avec une incroyable aisance, un timbre lumineux et raffiné, aidé d’une émission claire et d’un souffle auquel l’apprentissage du cor n’était pas étranger. Wunderlich reçut la consécration suprême pour un chanteur allemand, le titre de Kammersänger, qui lui fut attribué en 1962, l’année même de ce Don Pasquale. Il avait rejoint la troupe de l’Opéra de Munich deux ans auparavant et s’y était distingué dans le répertoire italien. Ici, on le retrouve avec ce naturel qui le caractérisait, ce style radieux, ce sens inimitable de l’intention scénique (son Povero Ernesto ! de l’acte II en témoigne), des qualités qui, à elles seules, justifieraient l’existence de cet album. Mais on est tout autant happé par la qualité d’ensemble, car la restauration, que l’on ne peut que féliciter, a pu conserver aux voix leur présence et leurs couleurs. A cet égard, l’acte II est à savourer dans sa totalité. Le public est en plein délire, et c’est plus que mérité ! Cette production est dirigée par Meinhard von Zallinger (1897-1990), chef d’origine autrichienne que Richard Strauss remarqua, au point de le recommander à Munich où il officia avant de rejoindre l’Opéra de Cologne. Membre du NSDAP pendant la période nazie, il connut quelques soucis après la seconde Guerre Mondiale. Ce qui n’empêcha pas son retour comme premier Staatskapellmeister à Munich en 1956. Il conduit ici les chœurs et l’orchestre de l’Opéra local avec une grande vivacité, apportant aux voix un soutien attentif et efficace. 

En fin de compte, cette première mondiale se révèle une belle découverte. La cotation, globale, tient compte de tous les facteurs réunis, de l’ambiance irrésistible qui traverse cet opéra-bouffe dont l’appellation prend ici tout son sens, et surtout du retour inespéré de ce moment de l’art lyrique. Il existe heureusement bien des témoignages de la voix prodigieuse de Fritz Wunderlich, dont un superbe documentaire -un DVD Deutsche Grammophon de 2006- retrace la trop brève carrière ; ce Don Pasquale vient s’ajouter à ce riche héritage.

Note globale : 7 (9 pour le plateau vocal)

Jean Lacroix

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